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« L'art de l'imposition consiste
à plumer l'oie pour obtenir le plus possible de plumes avec le moins
possible de cris. ». Cette citation, attribuée à
Jean-Baptiste Colbert, Contrôleur général des Finances du
roi Louis XIV, est encore d’actualité. La fiscalité
municipale, est, en la matière, source de nombreux enseignements.
Depuis quelque temps, l’idée me chatouille
d’établir un florilège des impôts les plus absurdes
et/ou les plus iniques jamais inventés par les pouvoirs publics. Les
exemples ne manquent pas en Belgique, championne du monde de la pression
fiscale. Rappelez-vous par exemple la fameuse « cotisation
spéciale sur les commissions secrètes » de 309%. Les
taxes les plus inventives se retrouvent en général au niveau
local. En effet, les législations fiscales de la plupart des pays
développés fonctionnent selon le principe « non bis in idem »,
bien que la portée réelle de ce dernier soit souvent exagérée.
Les pouvoirs locaux n’ont donc que les « miettes
fiscales » des niveaux supérieurs, et ne peuvent donc taxer
que ce qui ne l’a pas encore été.
Du passé faisons table rase
Mon premier mouvement fut de me rappeler des taxes
communales et provinciales de la Belgique de mon enfance, plus
précisément de la Province de Brabant Flamand. Certaines sont
en effet restées gravées dans ma mémoire car elles
touchaient directement mon quotidien de petit garçon : les
provinces, par exemple, imposaient l’immatriculation annuelle des
vélos, y compris des vélos d’enfants, moyennant paiement
d’une redevance. À la même époque, les
propriétaires de chiens devaient s’acquitter d’une taxe et
étaient obligés d’accrocher une médaille, preuve
du paiement de ladite taxe, au collier de leur compagnon à pattes.
Lors de mes recherches, cependant, je suis tombé un peu par hasard sur
la liste des taxes communales
actuellement en vigueur dans la Ville de Bruxelles (qui, pour rappel est une
des 19 « communes » ou municipalités
bruxelloises). Inutile donc de fouiller le passé : le
présent, même d’une seule municipalité,
s’avère suffisamment édifiant.
Taxes à gogo
Première constatation : les idées
n’ont pas manqué aux édiles bruxellois. Il existe, en
effet, à Bruxelles pas moins de 44 taxes communales
différentes ! Elles frappent tous les domaines de la vie des
particuliers comme des entreprises, et les poursuivent jusque
dans la tombe, voire même deux fois sur le chemin de celle-ci
puisqu’il existe deux taxes distinctes sur les transports mortuaires (ici
et là).
Relevons quelques exemples parmi les plus iniques :
·
la
taxe sur les immeubles
laissés à l’abandon ou négligés ou
inoccupés ou inachevés. L’idée, bien entendu, est
prétendument louable : il s’agit officiellement de lutter
contre les chancres urbains. Une lecture attentive du règlement communal
révèle cependant que la définition des termes
« inoccupé » et
« négligé » laisse place à un
arbitraire peu réjouissant ;
·
la
taxe sur les surfaces
de bureau : votre entreprise occupe un bureau de 100m2, ça
fera 745 euros par an, mon bon monsieur. Auxquels s’ajouteront, soit
dit en passant, la taxe régionale sur les entreprises (environ 200
euros) ainsi que la cotisation de sécurité sociale des
entreprises (environ 400 euros). Le simple fait d’avoir
créé une entreprise vous impose donc de payer plus de 100 euros
par mois à divers niveaux de pouvoir
·
la
taxe sur les emplacements
de parcage : pour punir les entreprises qui auraient le culot de
proposer des places de parking à leur personnel ou, pire encore, à leurs clients ;
·
la
taxe sur les
agences bancaires et les distributeurs de billets : tu veux du cash,
citoyen ? Sache que ta banque sera imposée pour avoir
l’outrecuidance de mettre à disposition des lieux où tu
pourras récupérer une partie de l’argent que tu lui as
confié ;
·
La
taxe sur la
délivrance de documents administratifs : parce qu’un
monopole, ça s’exploite. Même une simple demande de
renseignements en matière urbanistique se monnaie !
·
La
taxe sur les
« parties de danse habituelles » : vous
exploitez une discothèque ou un salon de danse ? Ce sera
0,40€ par entrée dans la salle.
La Ville de Bruxelles,
proxénète à ses heures
Jusqu’ici, nous étions simplement dans
l’inique. À présent, faisons un tour dans les parties les
plus scandaleuses du règlement communal. Sachez en effet que le sexe,
dès qu’il est illégitime ou tarifé, sera lui aussi
l’objet des attentions communales. Ainsi, les salons de strip-tease
sont lourdement
imposés : 5.000 euros par an pour chaque
« cabine », qu’elle serve à regarder une
strip-teaseuse ou un film pornographique.
Si pour vous, les strip-teaseuses sont moins attirantes
qu’un petit 5 à 7 à l’insu de votre
légitime, vous passerez également à la caisse. La
commune prélève en effet une taxe spéciale (2 500 euros
par an et par chambre) sur les « maisons de
rendez-vous ». Le
charmant nom dont les édiles ont baptisé les hôtels de
passe, me direz-vous ? Pas seulement ! En effet, la
définition donnée par le règlement est explicite :
« tout immeuble qui abrite un ou plusieurs locaux (chambre,
appartement, salon ou autres pièces) qui, moyennant paiement ou non,
est mis à disposition en vue de la rencontre
intime entre personnes, sans intention d’y passer la nuit ».
En clair, si vous sollicitez les services d’une prostituée et
que celle-ci vous reçoit chez elle ou dans une maison close, cela
donnera lieu à la perception d’une taxe.
Et là, il y a réellement de quoi
s’indigner…. Mieux, il y a de quoi poursuivre les édiles
en justice. L’alinéa 1, paragraphe 4 de l’article
380 du Code Pénal belge stipule en effet que « Sera puni d’un emprisonnement
d’un an à cinq ans et d’une amende de cinq cents francs
à vingt-cinq mille francs (…) quiconque aura, de quelque
manière que ce soit, exploité la débauche ou la prostitution
d’autrui. » Lever une taxe sur les locaux où
s’exerce la prostitution, n’est-ce pas justement
l’exploiter ? Evidemment, difficile pour les tenanciers de tels
lieux de protester, puisqu’ils peuvent être poursuivis en vertu
du même article. Ils préfèrent donc se taire que
protester. Les plus persifleurs ne manqueront sans doute pas de relever un
parallèle entre ce genre de taxe et les célèbres
« taxes de protection » prélevées dans
certains pays méridionaux par des associations peu recommandables.
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