Jusqu'où
s'entêtera-t-il ? A peine le gouvernement a-t-il, toute honte bue, abandonné
son projet de Taxe Carbone, vaincu par le conseil constitutionnel et la
grève des urnes de l'électorat de droite, que Nicolas Sarkozy,
jamais découragé, a annoncé, dans un discours de fin de
sommet continental, qu'un projet européen de "Taxe Carbone Aux
Frontières", en
abrégé TCAF par la suite,
était à l'étude.
Je doute qu'un
tel projet puisse recueillir l'unanimité encore nécessaire en
matière fiscale au sein de l'union (cf.
Premières réactions européennes),
mais depuis la promulgation de l'infâme traité de Lisbonne et la
façon dont le vote dudit traité a été
arraché aux irlandais, je me méfie.
Rappel: l'économie est
pénalisée par le protectionnisme
Ecartons
l'obstacle politique d'un revers de manche, et intéressons nous au
volet économique de cette proposition. Comme toute mesure
protectionniste, et comme je l'ai déjà expliqué dans
ces colonnes, une telle taxe, en augmentant le
prix de certaines importations, diminue l'offre accessible aux acheteurs, réduit
le spectre des transactions acceptables par deux parties sur un territoire
donné, et donc réduit le nombre de transactions effectivement
réalisées, donc la taille du marché global.
De fait, les emplois
"sauvegardés" dans les secteurs bénéficiaires
du protectionnisme sont plus que négativement compensés d'une
part par la perte des emplois qui vivaient de l'importation, et d'autre part
par la baisse de la part que les ménages peuvent consacrer aux offres
nouvelles apparaissant sur le marché -parce que leurs consommations existantes sont rendues
plus chères-, et donc la diminution des
opportunités offertes aux entreprises nouvelles de trouver leur
clientèle.
Sans oublier, bien sûr, les pertes d'emplois liées aux mesures
de rétorsion commerciales que ne manque en général pas
de prendre les pays visés par les mesures protectionnistes. Le saviez
vous ? La balance commerciale de l'Allemagne vis à vis de la Chine est
positive ! Croyez vous que patronat et syndicats allemands verraient d'un bon
oeil la chute des exportations de leurs entreprises ?
La Taxe Carbone: pas
de problème qui n'ait de pollution !
Mais la justification de la TCAF par le président de la
république est plus malicieuse. Son argument tient dans une phrase que
je régurgite de mémoire: "imaginez que nous imposions des
contraintes environnementales à nos aciéries, devons nous pour
autant accepter naïvement l'acier chinois qui ne subit pas la même
contrainte ?". Le président ne s'en cache
même pas: derrière le bon sentiment environnementaliste, la
Chine, voilà l'ennemi !
Tout d'abord, nous noterons que, sémantiquement parlant, la TCAF
limite l'impact environnemental d'une production à ses rejets de CO2.
Il est vrai qu'une Taxe Environnementale Intégrale Aux
Frontières basée sur la performance environnementale
complète de chaque produit, serait absolument impossible à
évaluer. On comprend donc que pour être opérationnel, le
gadget protectionniste voulu par notre président soit simple à
comprendre et puisse paraitre "simple" à appliquer. Va pour
la "Taxe Carbone", donc...
Passons sur cette simplification que d'aucuns pourraient juger abusive,
passons rapidement sur le fait que le caractère
polluant du CO2 est plus que sujet à caution,
y compris en matière climatique... Admettons un tout petit instant que
les climato-sceptiques aient tort et que l'équivalence "Pollutions les plus graves
<==> CO2"
soit établie. Dans ce cas, me demanderez vous, l'argument
présidentiel n'est il pas valide ? Après tout, n'est il pas
sain de renoncer à quelques centièmes de points de croissance,
en adoptant des mesures protectionnistes limitant notre pouvoir d'achat, pour
limiter les rejets mondiaux d'une substance nocive ?
En apparence, cela parait sensé. Mais le raisonnement est
déficient sur de nombreux points.
Une mesure soit
injuste, soit inapplicable...
Le concept de justice est très difficile à établir de
façon rigoureuse en économie, mais on peut essayer de
l'évaluer au moins approximativement. Voici la liste des productions
de CO2 par tête et par pays de 50 nations :
COUNTRY
TONS OF CO2 PER CAPITA
Qatar
49.26
Kuwait
34.22
United-Arab-Emirates
32.94
Bahrain
28.62
Luxembourg
23.89
USA
18.95
Australia
17.93
Canada
16.65
Oman
16.03
Saudi-Arabia
16.03
Estonia
13.02
Finland
12.62
Kazakhstan
12.62
Singapore
12.51
Taiwan
11.93
Czech-Republic
11.16
Russia
10.94
Ireland
10.32
Netherlands
10.28
Japan
10.24
Belgium
10.17
Greenland
9.99
Israel
9.99
Denmark
9.91
South-Korea
9.8
Germany
9.77
Nor-ssb
9.59
United-Kingdom
9.04
South-Africa
8.74
Austria
8.67
Greece
8.63
Norway
8.6
Libya
8.27
Spain
7.97
Italy
7.72
New-Zealand
7.28
Iceland
7.24
Bosnia
7.13
Belarus
7.06
Malaysia
7.02
Slovakia
6.91
Ukraine
6.8
Iran
6.62
Venezuela
6.33
Bulgaria
6.22
France
6.18
Hungary
5.7
Portugal
5.67
Sweden
5.59
Switzerland
5.56
Croatia
5.3
Macedonia
5.3
China
4.64
Vous noterez sans peine que la Chine, visée par le président,
rejette moins de CO2 par tête que la France.
"Ah mais", rétorquerez
vous, "vous oubliez que le PIB de la Chine par habitant
est 4 fois moins élevé que celui de la France. Ne faudrait il
pas considérer non pas les rejets par têtes, mais les rejets par
tête et par point de PIB" ? Dans ce cas, cela
reviendrait à pénaliser la Chine parce que ses habitants sont
plus pauvres que nous ! Mais il n'en reste pas moins qu'à ce jour, un
Chinois rejette moins de CO2/h qu'un Européen, et que par
conséquent, la justification éthique d'une taxe CO2 aux
frontières d'un produit Made in China est difficile, sinon impossible à
justifier.
Vous me direz également qu'au train où la Chine augmente sa
production, elle dépassera sans peine sous peu notre pays en terme
d'émissions de CO2 par habitant. Certes, mais dans ce cas, pourquoi la
pénaliser tout de suite ? Et pourquoi l'empêcher
d'écouler ses produits, ce qui lui permettra de dégager les
marges nécessaires pour améliorer le "rendement
carbonique" de son appareil de production ?
Encore d'autres
contradictions...
Il y a un autre problème avec une TCAF européenne. Les
émissions des pays Européens varient entre 6 et 23 tonnes par
habitant selon ce tableau. Faut il pénaliser uniquement les nations
moins vertueuses que le Luxembourg, dernier élève de la classe
européenne ? Mais cela ne laisse plus que quatre pays
pétroliers à taxer... Ahem. Faut il alors placer la barre au
niveau de la moyenne, qui doit tourner autour de 8-9 t/h ? Mais alors, dans
ce cas, où est la justice si l'on taxe les importations en provenance
du Japon (10,2 t/h) et pas les produits fabriqués en Finlande (12,6
t/h), qui circuleront librement sur le marché intérieur
européen ? Naturellement, le problème est encore plus aigu si
on prend en compte la vertueuse France et ses centrales nucléaires,
à environ 6t/h/an.
Et puis se pose également le problème de la non discrimination
entre producteurs. Entre deux aciéristes chinois, l'un pourra avoir
fait des efforts pour "décarboner" sa production, et pas
l'autre. Faudra-t-il que l'Europe suive à la trace chaque producteur ?
Impossible, sauf à y consacrer des ressources bureaucratiques hors de
proportion avec ce qu'il est raisonnablement possible de financer.
Devra-t-elle s'en remettre à un classement établi par la Chine,
si tant est que l'empire du milieu accepte un tel diktat, rions un peu ?
Voire même, rions encore plus, à une "organisation mondiale
de l'environnement" dont tous les pays accepteraient le verdict - naturellement impartial et vierge
de tout soupçon de corruption... - des inspecteurs ?
Pire encore. Le problème est déjà difficile à
résoudre pour une production "simple" comme un acier. Mais
Quid d'une automobile dont l'électronique viendra de Chine, l'Acier du
Brésil ou de Suède, les produits pétroliers composant
ses plastiques d'une quinzaine de pays producteurs différents, qui
serait assemblée en Turquie, et amenée en France par des
bateaux sous pavillon panaméen ? Comment calculer le
"contenu carbone" d'un tel produit, sans même tenir compte de
la différence d'efficience entre producteurs ?
L'éternel
problème du passager clandestin...
Bref, les éventuelles pénalités infligées aux
produits venant d'un pays ne pourront l'être que sur des
critères liés à la performance globale d'un pays et non
à celle de chaque produit ou producteur, ce qui revient à
attribuer à chaque pays une "note" en fonction de ses rejets
de CO2. Et j'imagine l'ambiance au G8 quand l'Europe annoncera aux USA ou
à la Chine qu'elle dégrade leur note environnementale !
Mais dans ce cas, quel sera l'intérêt d'un producteur individuel
de faire un effort en vue de réduire sa facture CO2 individuelle si de
toute façon, sa note est celle du pays qui l'héberge ? Les
cancres auront intérêt à attendre que les bons
élèves fassent l'effort pour eux. Une telle mesure, au lieu
d'accélérer les efforts individuels des producteurs, aura
plutôt tendance à les retarder, ceux ci ne faisant alors que le
minimum vital prévu par la législation de leur pays...
Alors, efficace, la TCAF ?
Moins de croissance
pour résoudre les problèmes de demain...
Mais évidemment, l'argument ultime contre une telle taxe est plus
général. En rallumant la guerre protectionniste, à
l'instar du Smoot Hawley Act de 1930,
la TCAF aurait pour effet immédiat une contraction globale de toutes
les économies (cf.
début de ce billet), puis une moindre croissance. Nous
accepterions donc aujourd'hui des conséquences économiques
graves, qui frapperont, comme d'habitude, les plus démunis en
priorité, pour résoudre de très hypothétiques
problèmes posés par un non moins éventuel
éventuel réchauffement climatique dans 30, 50 ou 100 ans.
Mais si
le CO2 est bien le problème que l'on nous annonce - Encore une fois, "si",
l'hypothèse étant de moins en moins crédible
- et si l'objectif est d'en réduire les émissions de
façon drastique, alors vous conviendrez que seules des
évolutions technologiques majeures - tout à fait envisageables par ailleurs, cf.
plus loin - doivent nous permettre d'y parvenir. Ces
innovations se situeront principalement dans le domaine de la production
d'énergie, du couple chauffage-isolation, ou dans celui des
transports. Mais au delà des découvertes technologiques qu'il
convient encore de faire pour changer nos paradigmes
énergétiques actuels, fondés sur la consommation des
ressources fossiles, il faudra aussi renouveler le parc d'actifs
considérable que nous avons bâti au cours du siècle
précédent dans tous ces domaines: centrales, automobiles,
camions, locomotives, bâtiments, etc... Et ce changement demandera de
lourds investissements.
Question à plusieurs billions d'Euros: pensez vous que ces
investissements seront favorisés par une économie en
dépression, et où les nouvelles découvertes se
heurteront à des barrières protectionnistes pour trouver leur
marché ?
Croit-on sérieusement en haut lieu que si l'on coupe les ailes exportatrices
de la Chine, celle ci se forcera à faire les investissements de
modernisation nécessaires à l'amélioration de son
efficacité énergétique ? Ou au contraire, la Chine ne
risque-t-elle pas de faire tourner plus longtemps ses vieilles usines, pour
satisfaire sa demande intérieure et celle des pays émergents
qui ne rentreront pas dans le jeu des taxes carbone ? Le raisonnement vaut
bien sûr pour n'importe quel autre nation.
Non seulement la proposition de notre président créerait
à court terme des désordres économiques non
négligeables, voire graves, mais en plus elle irait rapidement
à l'encontre de l'objectif affiché en terme de réduction
d'émissions carbonées.
Un mouvement naturel
La proposition d'une TCAF est de toute façon inutile, puisque tout
pousse en faveur d'une réduction drastique et naturelle des
consommations d'énergie fossiles à moyen long terme, et ce
même avec très peu ou pas d'intervention de l'état.
Voici par
exemple, fourni par l'excellent blog canadien "antagoniste",
l'évolution du nombre de barils de pétrole nécessaires
aux USA pour obtenir, en dollars constants, 1 million de dollars de PIB,
alors que là bas, le pétrole est taxé comme n'importe
quel produit de consommation courante, donc très peu, aux standards
européens :
Source: antagoniste
Et oui, les
vilains capitalistes qui, comme tout militant écologiste le dit et
répète, ne penseraient qu'à gaspiller les ressources, ne
songent en fait qu'à en améliorer l'usage, même sans
surtaxation spécifique, exigence de compétitivité
oblige. Même Karl Marx l'avait remarqué et écrit
dès le XIXème siècle. Encore une idée
reçue qu'il faut réviser: la concurrence, ça permet
d'économiser les ressources naturelles.
J'ai commencé à évoquer par le passé certains
nouveaux développements dans le domaine de l'énergie (un exemple,
un autre,
un
troisième) qui promettent des
réductions d'emploi des énergies fossiles encore plus rapides
dans les cinq décennies à venir. Ces évolutions se
produiront quand bien même les états ne s'en mêleraient pas,
simplement parce qu'elles seront porteuses de rentabilité accrue
des entreprises. Pire même, que l'état s'en mêle et il ne fera que retarder
ce progrès sur le long terme, car il
favorisera l'adoption massive de technologies prématures moins
efficaces que celles qui seraient apparues sur le marché quelques
années plus tard en l'absence de toute subvention, et qui du coup
peineront à trouver leur place sur un marché sur-investi de
technologies non rentables.
La TCAF est donc un artifice politicien aux effets positifs contestables et
au potentiel de nuisance avéré.
Conclusion
Si l'intelligence
gouvernait le monde, la Taxe
Carbone Aux Frontières serait morte née.
Bien que notre histoire montre à l'infini que "l'intelligence
collective" des gouvernements n'est qu'une vue de l'esprit, il faut
souhaiter que la proposition de TCAF européenne de notre
président ne rencontre que mépris amusé et
condescendance polie de la part d'un nombre suffisant de ses
collègues. Mais si le pire n'est jamais certain, il est toujours
possible...
source despair.com
Malheureusement, de l'autre côté de l'Atlantique, le
protectionnisme, qu'il soit climatique ou qu'il ne se donne même pas
cette peine, est en plein renouveau politique. Et si la loi de
protectionnisme carbonique "Waxman Markey"
n'a pas été votée par le Sénat (elle a
passé le cap de la Chambre des Représentants) et semble en
perte de vitesse, nul doute que la naissance d'une initiative
européenne allant dans le même sens risquerait de lui redonner
de la force.
Espérons
que nous n'aurons pas à déplorer de tels développements
dans les mois à venir, et que l'obsession carbophobique de notre
président s'éteindra tout doucement.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Vincent Bénard est Président de l'institut Hayek
(Bruxelles) et Senior Fellow de Turgot
(Paris), deux thinks tanks francophones dédiés à la
diffusion de la pensée libérale, et sympathisant des deux seuls
partis libéraux français, le PLD et AL.
Publications
:
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec
Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen",
2003, La doc française, avec Pierre de la Cos