Créée pour « contribuer au coût du service de collecte et de
traitement des ordures ménagères », la taxe d’enlèvement des
ordures ménagères, ou TEOM, a rapporté plus de 6 milliards
d’euros l’an dernier. Pourtant, s’il est vrai que cette taxe permet
de financer un service essentiel à la charge des communes, certaines
collectivités territoriales en ont littéralement détourné l’objet premier
pour se constituer de confortables cagnottes parfaitement illégales.
C’est le cas par exemple de la communauté urbaine de Lyon qui, entre 2007
et 2014, a dégagé un excédent moyen de 50 millions d’euros chaque année, en
votant sciemment des taux de TEOM rapportant bien plus que le coût réel de ce
service. De la même façon, les services municipaux de la ville de Paris ont
visiblement un peu trop salé la note des contribuables de la capitale,
puisque l’excédent de la TEOM a dépassé les 70 millions d’euros
pour la seule année 2014.
Ordures : des abus sanctionnés par les tribunaux
Sur l’ensemble du territoire, à côté de ces exemples particulièrement
frappants, on trouve beaucoup d’autres communes où la “surestimation” des
coûts de traitement des déchets est certes bien plus modeste mais tout aussi
irrégulière. Au grand dam des usagers et contribuables qui, lassés de voir
leurs impôts locaux grimper sans justification (parfois de plus de
40% d’une année sur l’autre), ont décidé d’en référer aux autorités.
Ainsi, une association de contribuables de la région lyonnaise a saisi le
Tribunal Administratif de Lyon, lequel a finalement statué en faveur des usagers le 29 janvier 2015 en précisant que
la TEOM « n’a pas le caractère d’un prélèvement opéré sur les
contribuables en vue de pourvoir à l’ensemble des dépenses budgétaires, mais
a exclusivement pour objet de couvrir les dépenses exposées par la
collectivité pour assurer l’enlèvement et le traitement des ordures ménagères
et non couvertes par des recettes non fiscales ; il en résulte que le produit
de cette taxe et, par voie de conséquence, son taux, ne doivent pas être
manifestement disproportionnés par rapport au montant de ces dépenses ».
Évidemment, dans un monde idéal, la communauté urbaine de Lyon aurait dû être
condamnée à restituer les sommes illégalement perçues aux usagers
spoliés (ce qui représentait tout de même plus de 100 euros
par an et par foyer fiscal). Au lieu de cela, le tribunal s’est
contenté d’annuler les taux de la dernière année contestée pour les remplacer
par ceux de l’année précédente… qui étaient quasiment les mêmes.
Toutefois, l’essentiel est ailleurs, car cette décision fait désormais
jurisprudence et le Conseil d’État lui-même a rappelé que le taux de
la taxe d’enlèvement des ordures ménagères ne doit pas être “manifestement
disproportionné” par rapport au montant des dépenses
réellement engagées par la commune pour assurer l’enlèvement et le
traitement des ordures ménagères. Et, bien que la TEOM ait la même assiette
que la taxe foncière sur les propriétés bâties, elle n’a “pas le
caractère d’un prélèvement opéré sur les contribuables en vue de pourvoir à
l’ensemble des dépenses budgétaires“. En clair, elle ne peut pas, et ne
doit pas, servir à financer autre chose.
Une situation opaque qui favorise la fraude
Mais alors, comment se peut-il que des communes puissent ainsi agir sans
éveiller les soupçons pendant plusieurs années ? La raison est double. Tout
d’abord, il existe des communes qui minorent volontairement la taxe
d’enlèvement des déchets afin d’attirer les futurs propriétaires sur
leur territoire, quitte à utiliser d’autres sources fiscales pour combler le
déficit. C’est souvent le cas dans des communes majoritairement rurales mais
aussi dans certaines villes réputées peu attrayantes, situées en banlieue par
exemple, ou qualifiées de villes-dortoirs quand l’essentiel de leur économie
réside dans un complexe industriel situé à proximité.
Ensuite, certaines municipalités n’appliquent pas la TEOM mais la REOM
(pour Redevance d’Enlèvement des Ordures Ménagères) qui est calculée en
fonction du service rendu à l’usager. Elle concerne généralement des communes
rurales qui la gèrent directement sans passer par le Trésor public (à la
différence de la TEOM) et qui peuvent la moduler à leur guise en fonction du
nombre d’habitants par foyer, par exemple, du type de déchets ou encore de la
fréquence et du mode de collecte. Au final, si le montant de l’assiette est
fixé librement par les communes, ou leur groupement, le produit de la
redevance doit équilibrer exactement le montant total des dépenses ;
aucun financement complémentaire n’est admis. Dans les faits, la REOM
concerne près de 30% des communes et 1 Français sur 10.
Enfin, le coût total de collecte et de traitement des déchets en France
est estimée à environ 6 milliards d’euros par an… soit justement le montant
de la taxe perçue, là encore au niveau national. Par conséquent, si certaines
communes se montrent particulièrement économes, d’autres en revanche peuvent
parfaitement gonfler leurs taux de perception sans que le
total s’en ressente. En clair, la parcimonie d’un grand nombre compense sans
le savoir les excès d’un petit nombre, le plus souvent des communes urbaines,
d’ailleurs, là où les coûts réels sont certes plus élevés en valeur absolue
mais bien plus faibles par habitant en raison des économies d’échelle
réalisées.
Le tri sélectif des ordures est rentable… mais pas pour les usagers
Reste la question des coûts, justement, dont on nous avait promis la
réduction progressive grâce à la valorisation des déchets et au tri
sélectif. Pourtant, force est de constater que la TEOM
augmente en moyenne de 3% chaque année (et parfois beaucoup plus
dans certaines communes particulièrement gourmandes). Le tri sélectif
serait-il une mauvaise idée?
En réalité, selon l’Ademe,
tous les efforts consentis par les usagers, qui sont une très grande majorité
à jouer le jeu d’une meilleure gestion de leurs ordures ménagères, ont
réellement provoqué une baisse significative du coût de ce service
évaluée à environ 5% par an. Mais au lieu de faire bénéficier les usagers des
économies ainsi réalisées et de voter des taux en baisse, les collectivités
ont préféré continuer à percevoir des sommes excédentaires
pour se constituer des « cagnottes » qu’elles utilisent à d’autres fins.
Ainsi, en 2015, le montant moyen de la taxe sur les ordures ménagères
s’élevait à un peu plus de 100€ par habitant, pour un service qui, quant à
lui, n’en coûte que 85. Soit près d’un milliard d’euros que
certains élus peu scrupuleux sont allés chercher directement au fond de nos
poubelles.