Au fil des années, je suis venu à me rendre compte
que le système de réseau téléphonique
Américain représente le meilleur exemple du problème de
la vie de tous les jours qu’est celui des retombées
technologiques. Ces ‘reflux’ négatifs se produisent
lorsqu’une innovation technologique apparaît dans le but
d’améliorer le fonctionnement de quelque chose mais finit par le
dégrader.
Nous avons passé quarante années et
dépensé des milliards de dollars à informatiser les
réseaux téléphoniques aux Etats-Unis. L’objectif
en était d’améliorer les
télécommunications. La conséquence de tous ces efforts
et investissements est qu’il est désormais impossible
d’être mis en ligne avec un être humain en chair et en os
après avoir composé le numéro de téléphone
de toute société, agence ou institution. Nous en sommes
réduits à parler à des robots répétant
sans cesse ce petit message rassurant : ‘… votre appel est
important pour nous …’. Bien entendu, ce mensonge n’en est
qu’un parmi les millions de mensonges auxquels nous sommes
exposés chaque jour et qui nous propulsent toujours plus
profondément dans une sphère de publicité
mensongère à laquelle nous devrions adhérer… Je m’égare…
En informatisant les réseaux
téléphoniques, nous avons permis à chaque
société, agence et institution d’abandonner
l’ensemble de ses soucis transactionnels en les plaçant sur les
épaules des consommateurs, des clients et des citoyens… sur nos
épaules. Cette informatisation a été mise en place dans
un souci d’efficacité, un terme à la mode tiré de
tous ces discours mensongers que notre nation de lâches confond avec des
paroles de sagesse. Ainsi, ACME Corporation, n’ayant plus besoin de
payer ce que l’on appelait autrefois les opérateurs
téléphoniques et les réceptionnistes, économise
250.000 dollars par an. Dans le même temps, les dizaines de milliers de
personnes qui tentent de joindre ACME se retrouvent coincées,
baladées ou tout simplement perdues dans la jungle de la
téléphonie robotique. Et tout ça en le nom de
l’efficacité. Multipliez le nombre de clients ACME victimes de
cette nouvelle forme d’efficacité par les dizaines de milliers
de sociétés et organisations aux Etats-Unis, et vous obtenez
l’étendue des dommages que ce système cause à
l’échelle d’une nation.
La cruauté et la stupidité implicites
à cette soi-disant efficacité sont bien trop importantes pour
être mesurées – quelqu’un a-t-il déjà
tenté d’en faire le calcul ? Quelqu’un, à
l’école du MIT Sloan ou à
l’Université de Chicago, a-t-il déjà tenté
de mesurer l’étendue des souffrances endurées par le
public Américain en le nom de cette efficacité tant
vantée ?
N’avez-vous jamais vous-même été
pris d’une crise de larmes à la suite d’un coup de
téléphone de ce type, n’avez-vous jamais eu envie de
donner de gros coups de poings dans les murs ou, pire encore, de vous lancer
dans un échange d’insultes avec le robot au bout du fil ?
Il y a un peu plus d’une semaine,
j’étais ficelé tel une dinde de
Noël sur une table d’opération orthopédique.
Pourquoi ? Par la faute d’une autre de ces retombées
technologiques. J’ai porté pendant longtemps l’une de ces
prothèses de hanche avec couple de frottement
métal-métal, qui étaient offertes aux patients les plus
jeunes au début des années 2000 parce qu’elles
étaient censées avoir une longévité bien plus
longue que les implants fait de métal et de plastic. Il s’est
par la suite avéré que ces produits n’avaient pas fait
l’objet de recherches assez approfondies. Un grand nombre de ces
prothèses n’ont pas tenu bien longtemps. Une simple fissure au
niveau de l’articulation de l’implant suffit à
libérer des ions de cobalt et de chrome capables d’endommager
les tissus environnants, de détruire os et muscle, et d’infecter
le patient de la métallose –
empoisonnement par contact direct avec du métal. Heureusement pour
moi, je fais partie des plus chanceux. Mes tissus n’ont pas
été détruits, et j’ai simplement souffert
d’une série de symptômes d’empoisonnement durant quelques
années. Des dizaines de milliers de personnes sont actuellement dans
le même cas que moi, leur nombre grandissant chaque mois, dans le
même temps que leurs prothèses vieillissent et finissent par
subir des dysfonctionnements. Il s’agit là du plus important
scandale orthopédique de l’histoire moderne… Mais encore
une fois, je m’écarte du sujet.
Le chirurgien est parvenu avec succès à
changer ma prothèse avant de me renvoyer chez moi 36 heures
après opération. J’ai ensuite dû passer des coups
de fil au département des décharges de l’hôpital
dans lequel j’ai subi mon opération, ainsi qu’au cabinet
de mon chirurgien, dans une ville voisine. Dans les deux cas, mes appels ont
fini par se perdre dans la jungle robotique qu’est celle de la
téléphonie. Personne ne me répondait, la ligne
était incessamment coupée, j’ai dû patienter en
écoutant de mini-concerts de salsa dont je n’avais certainement
pas fait la demande ou des publicités éclair n’ayant rien
à voir avec la raison pour laquelle j’avais
décroché mon téléphone, et de nombreuses voix
robotiques sont venues me rassurer de l’importance de mon appel. En
d’autres termes, il semblerait que cela soit considéré
être un traitement décent pour un patient sous Percocet, l’un des narcotiques les plus puissants
que peut contenir un kit de pharmacie. Notre société est
désormais si stupide qu’elle très ses communications
entre patients et docteurs de la même manière qu’entre
acheteur et marchand de chaussures. Je suis même persuadé que
les acheteurs de chaussures sont bien mieux traités que les patients
tout juste sortis du bloc opératoire.
Tout ceci coïncide avec l’une de mes
théories : le plus cher désir des personnes gérant
aujourd’hui les télécommunications est de transformer les
Etats-Unis en la Bulgarie de l’Ouest en recherchant constamment
à en empirer le fonctionnement et en accentuer le degré de
cruauté.
En partant de ce principe, il paraît logique de dire
que tout ce que les politiciens disent ou font dans le but de créer
des emplois ne vise en fait qu’à favoriser l’ineptie et la
contre-productivité. Le fait est que nous ne voulons pas
réellement créer plus d’emplois pour les
Américains, mais simplement prétendre que nos intentions sont
les bonnes – dans le même temps que nous mettons tout en
œuvre pour rendre les choses pires qu’elles ne le sont
déjà.
Ainsi, dans le but de m’opposer à la tournure
tragique que prend notre histoire, je propose une initiative qui pourrait
permettre à la création de milliers d’emplois aux
Etats-Unis : la Loi Décrochez ce Foutu Téléphone
2012. Ma proposition ne coûtera pas un centime. Il suffira de demander
au Sénat et au Congrès de déclarer qu’à
partir de maintenant, dans tel et tel secteurs, tous les appels
téléphoniques devront être pris en charge par des
humains, et d’imposer des pénalités à ceux qui
refuseraient de se plier à cette règle. Les
sociétés, institutions, agences et organisations moins
essentielles pourraient quant à elles faire l’objet de taxes sur
leurs lignes téléphoniques robotisées – et qui soient
supérieures au salaire de la personne qui serait autrement
employée pour accomplir ce travail.
Par chance, la Cour Suprême a récemment
donné au gouvernement l’autorisation d’imposer des taxes
aux personnes n’ayant pas pris leurs dispositions pour s’assurer
une couverture maladie. Il y a quelque temps, l’image
Républicaine Mitt Romney déclarait
que les entreprises étaient, elles aussi, des personnes. Tout comme
ces fainéants des assurances santé, les entreprises devraient
elles aussi devoir payer une taxe pour contrebalancer les dommages sociaux
qu’elles affligent, ou employer une vraie personne pour répondre
à ce foutu téléphone.
Décrochez ce Foutu Téléphone. C’est
ce dont l’Amérique a besoin !
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