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Technologie moderne et barbarie

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Published : October 25th, 2012
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Category : Editorials

 

 

 

 

Au fil des années, je suis venu à me rendre compte que le système de réseau téléphonique Américain représente le meilleur exemple du problème de la vie de tous les jours qu’est celui des retombées technologiques. Ces ‘reflux’ négatifs se produisent lorsqu’une innovation technologique apparaît dans le but d’améliorer le fonctionnement de quelque chose mais finit par le dégrader. 


Nous avons passé quarante années et dépensé des milliards de dollars à informatiser les réseaux téléphoniques aux Etats-Unis. L’objectif en était d’améliorer les télécommunications. La conséquence de tous ces efforts et investissements est qu’il est désormais impossible d’être mis en ligne avec un être humain en chair et en os après avoir composé le numéro de téléphone de toute société, agence ou institution. Nous en sommes réduits à parler à des robots répétant sans cesse ce petit message rassurant : ‘… votre appel est important pour nous …’. Bien entendu, ce mensonge n’en est qu’un parmi les millions de mensonges auxquels nous sommes exposés chaque jour et qui nous propulsent toujours plus profondément dans une sphère de publicité mensongère à laquelle nous devrions adhérer… Je m’égare…


En informatisant les réseaux téléphoniques, nous avons permis à chaque société, agence et institution d’abandonner l’ensemble de ses soucis transactionnels en les plaçant sur les épaules des consommateurs, des clients et des citoyens… sur nos épaules. Cette informatisation a été mise en place dans un souci d’efficacité, un terme à la mode tiré de tous ces discours mensongers que notre nation de lâches confond avec des paroles de sagesse. Ainsi, ACME Corporation, n’ayant plus besoin de payer ce que l’on appelait autrefois les opérateurs téléphoniques et les réceptionnistes, économise 250.000 dollars par an. Dans le même temps, les dizaines de milliers de personnes qui tentent de joindre ACME se retrouvent coincées, baladées ou tout simplement perdues dans la jungle de la téléphonie robotique. Et tout ça en le nom de l’efficacité. Multipliez le nombre de clients ACME victimes de cette nouvelle forme d’efficacité par les dizaines de milliers de sociétés et organisations aux Etats-Unis, et vous obtenez l’étendue des dommages que ce système cause à l’échelle d’une nation.


La cruauté et la stupidité implicites à cette soi-disant efficacité sont bien trop importantes pour être mesurées – quelqu’un a-t-il déjà tenté d’en faire le calcul ? Quelqu’un, à l’école du MIT Sloan ou à l’Université de Chicago, a-t-il déjà tenté de mesurer l’étendue des souffrances endurées par le public Américain en le nom de cette efficacité tant vantée ?


N’avez-vous jamais vous-même été pris d’une crise de larmes à la suite d’un coup de téléphone de ce type, n’avez-vous jamais eu envie de donner de gros coups de poings dans les murs ou, pire encore, de vous lancer dans un échange d’insultes avec le robot au bout du fil ?


Il y a un peu plus d’une semaine, j’étais ficelé tel une dinde de Noël sur une table d’opération orthopédique. Pourquoi ? Par la faute d’une autre de ces retombées technologiques. J’ai porté pendant longtemps l’une de ces prothèses de hanche avec couple de frottement métal-métal, qui étaient offertes aux patients les plus jeunes au début des années 2000 parce qu’elles étaient censées avoir une longévité bien plus longue que les implants fait de métal et de plastic. Il s’est par la suite avéré que ces produits n’avaient pas fait l’objet de recherches assez approfondies. Un grand nombre de ces prothèses n’ont pas tenu bien longtemps. Une simple fissure au niveau de l’articulation de l’implant suffit à libérer des ions de cobalt et de chrome capables d’endommager les tissus environnants, de détruire os et muscle, et d’infecter le patient de la métallose – empoisonnement par contact direct avec du métal. Heureusement pour moi, je fais partie des plus chanceux. Mes tissus n’ont pas été détruits, et j’ai simplement souffert d’une série de symptômes d’empoisonnement durant quelques années. Des dizaines de milliers de personnes sont actuellement dans le même cas que moi, leur nombre grandissant chaque mois, dans le même temps que leurs prothèses vieillissent et finissent par subir des dysfonctionnements. Il s’agit là du plus important scandale orthopédique de l’histoire moderne… Mais encore une fois, je m’écarte du sujet.


Le chirurgien est parvenu avec succès à changer ma prothèse avant de me renvoyer chez moi 36 heures après opération. J’ai ensuite dû passer des coups de fil au département des décharges de l’hôpital dans lequel j’ai subi mon opération, ainsi qu’au cabinet de mon chirurgien, dans une ville voisine. Dans les deux cas, mes appels ont fini par se perdre dans la jungle robotique qu’est celle de la téléphonie. Personne ne me répondait, la ligne était incessamment coupée, j’ai dû patienter en écoutant de mini-concerts de salsa dont je n’avais certainement pas fait la demande ou des publicités éclair n’ayant rien à voir avec la raison pour laquelle j’avais décroché mon téléphone, et de nombreuses voix robotiques sont venues me rassurer de l’importance de mon appel. En d’autres termes, il semblerait que cela soit considéré être un traitement décent pour un patient sous Percocet, l’un des narcotiques les plus puissants que peut contenir un kit de pharmacie. Notre société est désormais si stupide qu’elle très ses communications entre patients et docteurs de la même manière qu’entre acheteur et marchand de chaussures. Je suis même persuadé que les acheteurs de chaussures sont bien mieux traités que les patients tout juste sortis du bloc opératoire.


Tout ceci coïncide avec l’une de mes théories : le plus cher désir des personnes gérant aujourd’hui les télécommunications est de transformer les Etats-Unis en la Bulgarie de l’Ouest en recherchant constamment à en empirer le fonctionnement et en accentuer le degré de cruauté.


En partant de ce principe, il paraît logique de dire que tout ce que les politiciens disent ou font dans le but de créer des emplois ne vise en fait qu’à favoriser l’ineptie et la contre-productivité. Le fait est que nous ne voulons pas réellement créer plus d’emplois pour les Américains, mais simplement prétendre que nos intentions sont les bonnes – dans le même temps que nous mettons tout en œuvre pour rendre les choses pires qu’elles ne le sont déjà.


Ainsi, dans le but de m’opposer à la tournure tragique que prend notre histoire, je propose une initiative qui pourrait permettre à la création de milliers d’emplois aux Etats-Unis : la Loi Décrochez ce Foutu Téléphone 2012. Ma proposition ne coûtera pas un centime. Il suffira de demander au Sénat et au Congrès de déclarer qu’à partir de maintenant, dans tel et tel secteurs, tous les appels téléphoniques devront être pris en charge par des humains, et d’imposer des pénalités à ceux qui refuseraient de se plier à cette règle. Les sociétés, institutions, agences et organisations moins essentielles pourraient quant à elles faire l’objet de taxes sur leurs lignes téléphoniques robotisées – et qui soient supérieures au salaire de la personne qui serait autrement employée pour accomplir ce travail.


Par chance, la Cour Suprême a récemment donné au gouvernement l’autorisation d’imposer des taxes aux personnes n’ayant pas pris leurs dispositions pour s’assurer une couverture maladie. Il y a quelque temps, l’image Républicaine Mitt Romney déclarait que les entreprises étaient, elles aussi, des personnes. Tout comme ces fainéants des assurances santé, les entreprises devraient elles aussi devoir payer une taxe pour contrebalancer les dommages sociaux qu’elles affligent, ou employer une vraie personne pour répondre à ce foutu téléphone.


Décrochez ce Foutu Téléphone. C’est ce dont l’Amérique a besoin !




 

 

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James Howard Kunstler est un journaliste qui a travaillé pour de nombreux journaux, dont Rolling Stones Magazine. Dans son dernier livre, The Long Emergency, il décrit les changements auxquels la société américaine devra faire face au cours du 21° siècle. Il envisage un futur prochain fait de crises sociales à répétition, la fin de la Surburbia et du modèle économique associé, une guerre mondiale pour les ressources en énergie. Il prédit la déconstruction des empires européens et américains et pense que, lorsque les convulsions seront terminées, le monde fonctionnera de manière décentralisée et local.
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