Les images
impressionnantes et le lourd bilan (plus de 70 morts, et des centaines de
millions de dégâts) des ruptures de digues occasionnées
par la tempête Xynthia sont l'occasion d'un authentique déchaînement médiatique contre "le laxisme
de ces maires" qui ont accordé des permis de
construire en "zone inondable". La faiblesse des analyses
diffusées par les médias face à ce qui sera pour nombre
de familles un souvenir tragique confine à l'indécence. La
peine que les victimes ont enduré nécessiterait au contraire,
par respect pour elles, que le choeur des politiciens et journalistes analyse
un peu plus en profondeur les circonstances, les causes et les mesures
correctrices à prendre suite à cet épisode douloureux,
au lieu de sonner mécaniquement les trompettes du "nécessaire
renforcement des normes", ou de la vindicte des "vilains maires
laxistes".
Loin de moi l'idée de dire
qu'aucun élu local n'a fait preuve de légèreté
dans l'application des règles en vigueur, ou de nier que certaines
digues aient fait l'objet de défauts d'entretien caractérisé.
Mais si les maires de communes modestes et moyennes en sont arrivés
là, le moins que l'on puisse dire est que l'état, endossant
pourtant les habits du père fouettard par la voix de son
président, les a largement poussés dans la mauvaise direction.
La construction en
zone inondable a toujours existé
De tout temps, les anciens ont construit dans des zones inondables. Oh,
bien sûr, ils ont autant que faire ce peut évité les
zones régulièrement inondées ou celles dans lesquelles
l'inondation se doublait d'un courant d'eau dévastateur, mais ils se
sont accommodés du risque d'inondation occasionnelle. Paris,
Orléans, Tours, pour ne citer qu'elles, ont été des
cités en partie inondables et pourtant prospères. Sans parler
de Venise, zone inondable par excellence !
Nos anciens n'étaient pas fous.
Simplement, la mer ou le fleuve ont longtemps constitué les voies
d'acheminement les plus praticables pour les marchandises lourdes ou
volumineuses, et donc de nombreuses personnes dépendaient de la voie d'eau
pour leurs moyens d'existence. Or, les moyens de transport étant ce
qu'ils étaient, nombreux étaient ceux qui habitaient sur ou au
plus près de leur lieu de travail.
Pour limiter les risques liés aux inondations, les anciens
bâtissaient des quais rehaussant le terrain naturel, et adaptaient
lorsque cela était possible les règles de construction à
l'existence de hautes eaux. Ainsi, à Venise, mais aussi dans les
maisons nantaises traditionnelles, le Rez de Chaussée était il
réservé au stockage de pondéreux ou de matériels
facilement déplaçables en cas de coup dur, et les pièces
"à vivre" étaient aménagées aux
étages des constructions.
Plus rarement, la décision d'établir des villes en des zones
inhospitalières fut le fait de princes ou de bureaucrates. St
Petersbourg fut développée sur un marais inhospitalier sur
ordre de Pierre le Grand et agrandie par ses successeurs. La Nouvelle
Orléans, coincée derrières des digues sous le niveau de
la Mer, du Mississipi et du Lac pontchartrain, fut établie sur
décision individuelle d'un émissaire du régent Philippe
d'Orléans, un certain Le Moyne, sieur de Bienville, qui eut sans doute
été mieux inspiré de choisir d'autres lieux, mais c'est
facile à dire aujourd'hui...
Aujourd'hui toutefois, nous avons, dans
nos pays riches, la chance de pouvoir dissocier nos lieux d'habitation et de
travail, merci l'automobile ! Quand bien même nous serions encore
liés à notre moyen d'existence par l'eau, plus rien ne nous
oblige à construire nos habitations dans les endroits les plus
exposés par nécessité. En contrepartie, il est souvent
préférable de développer des activités
économiques près des cités existantes, ce qui conduit
parfois à vouloir perpétuer des extensions urbaines dans la
continuité de zones construites par les anciens dans des lieux
inondables.
Inondable VS
submersible
De nombreux exemples de créations de digues pour sécuriser des
espaces inondables existent de par le monde. Citons les Polders des
Pays Bas, dont environ 20% se situent sous le niveau de la mer, et
l'édification des digues de la Loire entre Orléans et Nantes
après les grandes crues de 1857.
De même, pour permettre l'urbanisation le long de la seine et de ses
affluents, dont la valeur économique a toujours été
primordiale pour le bassin parisien, et encore aujourd'hui, de nombreux
aménagements visant à réguler le débit du fleuve
ont été effectués: digues, barrages, canaux de
dérivation, bassins d'écrétage des crues, etc...
Des réponses techniques au risque d'inondation existent donc, mais ne
sauraient en aucun cas constituer une protection totale. Les digues,
lorsqu'elles sont mal entretenues, finissent par être
fragilisées. Le plus grand danger qui menace les digues fluviales,
soumises à des courants plus ou moins forts, n'est d'ailleurs pas la
submersion par le dessus mais le ravinement des fondations et l'infiltration
par des failles ("trous de renard") en niveau inférieur. Les
digues maritimes sont par contre plus sensibles à des risques de
débordement, ainsi qu'aux dommages causés à la longue
par la répétition des houles. Les courants marins peuvent
également en saper les fondations.
Les zones situées derrière des digues ne devraient pas
être caractérisées comme "inondables", comme le
serait une zone naturellement recouverte par la montée d'un Fleuve,
mais comme "submersibles", c'est à dire soumises à un
risque d'envahissement brutal suite à rupture accidentelle d'une
digue.
A l'époque ou ces digues ont été érigées,
la question de la constructibilité derrière elles ne se posait
pas: les terrains libérés par la digue avaient une valeur
économique, généralement agricole, et le manque de
transports convenables obligeait les familles à s'installer à
proximité. Les digues ont été édifiées
pour cela: il était à l'époque hors de question
d'interdire, au nom d'un principe de précaution, de construire
derrière ces digues malgré le risque connu et assumé de
rupture qu'elles portaient. Les habitants s'en remettaient à un
dispositif de surveillance plus ou moins fiable, à Dieu, et à
l'industrie naissante de l'assurance.
Quelques rappels sur
les tempêtes en France
Notons avec satisfaction que les hurlements au "réchauffement
climatique" se sont faits discrets suite à cette tempête.
Malgré tout, pour couper court à toute polémique sur ce
front, comme je l'avais fait après les tempêtes de janvier 2009
dans les Landes, je rappelle cette étude (PDF) de l'ancien directeur de la climatologie de
météo France, Pierre Bessemoulin, qui montre que les
tempêtes d'aujourd'hui ne sont ni pires ni plus nombreuses qu'elles ne
l'étaient au début du XXème siècle, et que nombre
de tempètes du passé ont également eu des
conséquences dramatiques. En voici un extrait (passages en gras par
moi même):
Il n’existe pas
d’inventaire exhaustif des tempêtes en France remontant sur
plusieurs siècles, ce qui est regrettable. Météo-France
essaie d’y remédier en développant depuis 1999 une
« Base de données d’événements marquants
» (BDEM, projet interne pour le moment), incluant la documentation
d’événements historiques. Le nombre d’épisodes de vent fort
présente une forte variabilité interannuelle (7 en 1968, 26 en
1962), ainsi que celui des fortes tempêtes (0 en 1989, 1993 et 1998, 5
en 1965), mais les études ne mettent pas
en évidence de tendance significative sur les cinquante
dernières années.
L'auteur, qui a fait une recherche
historique sur les tempêtes ayant "marqué les
esprits", nous apprend en outre que le 24 décembre 1118, une tempête ravagea le Nord de la France
et provoqua la chute de nombreux clochers, qu'une autre en 1698 provoqua de gros dégâts dans les
forêts, qu'une tempête baptisée "The Storm" survenue les 7 et 8 décembre 1703, balaya la partie Ouest de la Bretagne et le Sud
de l'Angleterre où elle fut la cause de
milliers de morts. En 1716, puis en 1739, il y eut de gros dégâts dans les
forêts d'une grande partie du territoire français. Les 25 et 26
Oct 1859, 11 voiliers sont engloutis dans la
Manche. En 1865, Quimper se retrouve sous 1,6 m
d'eau et l'île de Sein est inondée. En 1930, 207 morts en Bretagne, en 1978 30 morts, en 1979
une trentaine de morts etc...
Il n'est donc pas exceptionnel que des tempêtes fassent de gros
dégâts. La situation que nous vivons, pour impressionnante
qu'elle paraisse, n'a rien d'inédit.
Une submersion
"envisageable" mais pas nécessairement "prévisible"
?
La tempête qui a provoqué les inondations de l'arc Atlantique
était, en terme de vent, moins forte que celle de 1999. Mais cette
tempête s'est conjuguée à des marées d'un
coefficient fort, et le coeur dépressionnaire qui l'a
accompagné à amplifié la montée des eaux,
provoquant une submersion de nombreux ouvrages et leur ruine.
L'événement était donc "envisageable" mais pas
nécessairement "prévisible", bien que la tempête
ait été très correctement annoncée par
Météo France.
Certains des ouvrages de protection étaient ils mal entretenus ?
L'enquête le dira, mais il faut savoir qu'en cas de submersion
importante, même un ouvrage flambant neuf - c'est également le
cas des barrages - peut ne pas résister: le ravinement de la
crête, conjugué avec la force de la houle et les variations de
pression le long de la paroi, génèrent des contraintes
très importantes que l'ouvrage ne subit pas en temps normal.
Se pose aujourd'hui la question de savoir si "il faut toujours" ou
si "il ne faut plus" laisser construire des habitations
derrière des digues dans des zones sujettes à des risques de
submersion accidentelle, puisque les outils de la mobilité disponibles
ne sont pas ceux d'hier et ne rendent pas obligatoire l'habitat en des endroits
dangereux. Mais avant de tenter de répondre à cette question
difficile, voyons si les accusations de "laxisme
réglementaire" sont justifiées.
La
réglementation est elle laxiste ?
Oser affirmer que les constructions de lotissement en bord de mer sont le
reflet d'une loi par trop laxiste relève du mensonge ou du déni
de réalité pur et simple. Il est impossible de recenser toutes
les lois encadrant la constructibilité des terrains depuis 1967,
depuis la trop fameuse loi d'orientation foncière, et la loi littoral,
sans oublier la loi SRU et quelques autres.
Le fait est que la loi littoral impose des restrictions non seulement sur les
bandes littorales (c'était son objectif) mais sur
l'intégralité des territoires des communes mitoyennes du
littoral, même si ces communes s'enfoncent de plusieurs
kilomètres dans les terres. On en arrive donc au paradoxe qu'une
commune littorales s'enfonçant, par exemple, de 5 km dans les terres
sera soumise à des restrictions plus importantes qu'une autre non
adjacente mais qui s'approchera jusqu'à 1km des plages (cas
réel).
La conjonction de ces lois et des "Schémas de cohérence
territoriaux" déjà évoqués ici fait que dans
les zones littorales, le législateur verrouille les hameaux
constructibles ou pas, protège férocement les "coupures
d'urbanisation", rationne la quantité de terrains ouvrables
à la construction... En outre, les procédures
d'élaboration des PLU sont devenues tellement contraignantes que dans
une commune littorale, réviser ce document demandera au minimum 5 ans,
et parfois jusqu'au double. Si la quantité de terrain
libérée par un PLU est donc un peu juste, une pénurie
est inévitable au bout de quelques années.
Le résultat de toutes ces avanies bureaucratiques est que si, en
moyenne nationale, le prix des terrains a été multiplié
par 6 à 7 tous territoires confondus, cette augmentation a atteint un
facteur de 10 à 12 en zone littorale, et pas uniquement pour les
terrains immédiatement adjacents à la bande
côtière.
Je me souviens d'un échange avec Christian Julienne, auteur avec
lequel nous partageons de nombreuses vues communes, sur la marge de manoeuvre
des maires. J'affirmais que les maires étaient pieds et poings
liés par la réglementation alors que lui prétendait que
les maires, en matière d'urbanisme, pouvaient "faire ce qu'ils
voulaient". Et bien croyez le ou non, mais nous avions tous les deux
raison.
Un maire qui veut faire plaisir à la frange conservatrice ou
écologiste de son électorat a aujourd'hui absolument toute
latitude pour empêcher un terrain d'être constructible. La loi
lui donne absolument tous les outils nécessaires pour parvenir
à ses fins.
Par contre, un maire soucieux de permettre à sa commune de se
développer autrement que dans l'enveloppe généralement
très contrainte calculée pour lui par une bureaucratie qui ne
tire son salaire que de son pouvoir d'obstruction se verra opposer moult
chausse-trappes législatives, agitées aussi bien par
l'état que par les associations anti-construction pour
l'empêcher d'ouvrir trop de terrains à la
constructibilité.
Bref, si l'on s'en tient à la réglementation, les maires ne
peuvent pas être laxistes. Nous avons, notamment sur le littoral, une
des réglementations les plus contraignantes du monde.
L'intensité de la bulle immobilière en est la
conséquence la plus visible.
L'application de la
réglementation est elle laxiste ? Ou inintelligente ?
Si la loi ne peut être taxée de laxiste, quid de son application
sur le terrain ? Une réglementation pléthorique n'est rien sans
une application stricte. Or, de ce point de vue, notamment en fonction de
certaines différences géographiques, la situation est...
variable.
L'application de la réglementation des sols, au sommet de la bulle, a
multiplié par plus de 500 la valeur des terrains constructibles par
rapport à ceux qui ne le sont pas dans les zones littorales, alors que
les terrains ouvrables à la construction sont très rares. Dans
ces conditions, les tentations sont grandes, pour les propriétaires de
terrains, d'exercer une pression très grande sur les élus pour
être les heureux gagnants de la loterie du PLU. Certains élus
sont, disons, plus réceptifs que d'autres à certaines
formes de lobbying très appuyé, comme
l'écrit dans ses rapports le service central de prévention de
la corruption depuis 2006.
Ceci dit, rien ne nous permet d'affirmer que les lotissements construits
derrière les digues aient vu leur constructibilité
octroyée suite à un de ces processus occultes parfaitement
condamnables. Il n'est pas déraisonnable de penser que certains aient
pu l'être, mais d'autres ne l'ont sûrement pas été.
Quel est l'âge des lotissement submergés ? Combien ont
été construits avant ou après la loi littoral ? La
loi SRU (celle qui impose les SCOT) ? Et surtout, était-il
déraisonnable, à l'époque où cela a
été fait, d'accorder une constructibilité à des
terrains protégés par une digue ? On en revient toujours au
même problème: la digue est supposée protéger.
Mais si son entretien est mauvais, une construction sûre à une
époque donnée pourra ne plus l'être quelques
années plus tard, comme l'ont appris aussi les habitants de La
Nouvelle Orléans en 2004.
La demande pour les terrains en bord de mer ou très proches de la mer
est forte. Toutes les enquêtes, statistiques et études
prospectives montrent que les populations sont de plus en plus
attirées par le littoral, de préférence
ensoleillé, et que la proportion de la population localisée en
bord de mer, dans le monde entier, augmente.
Sans même parler de corruption, la conjonction d'une demande soutenue
et de la rareté des autorisations d'ouverture de terrain à la
construction en zone littorale donne la plus grande chance de vaincre les
murailles réglementaires à celui qui dispose des plus grandes
incitations à les vaincre, c'est à dire celui dont le
bénéfice tiré de la constructibilité sera le plus
grand. Par conséquent, les propriétaires des terrains adjacents
aux bourgs déjà construits (pas de réseaux longs
à tirer) et avec vue sur mer (demande plus forte) sont plus enclins
à se battre comme des lions pour arracher les O combien
précieuses autorisations que les propriétaires de terres
agricoles à 2km du rivage.
Il en découle que des terres "submersibles" mais
protégées par une digue seront soumises à une
très forte pression des développeurs de lotissement pour
être bâties, et si le législateur évalue mal la
qualité de la protection offerte par la digue, en cas
d'événement extrême, il y aura danger.
Le problème
de la distorsion de l'information par la norme
Osons un parallèle avec la crise financière et les
réglementations de type "Bâle II" (banques) ou
"Solvency" (assurances). Dans les deux cas, une norme
décrète que posséder des obligations d'état est
plus sûr que de posséder des actions de grandes entreprises
multinationales, ce qui pouvait être vrai à un instant
donné, mais ne l'est plus maintenant. Qu'importe. Comme je l'ai
déjà écrit, et comme le confirme
Charles Gave dans ce fascinant petit article
qu'il vient d'écrire pour l'institut Turgot, les banques et assurance
ont garni leur portefeuille non plus en fonction de leur évaluation du
risque par type d'actif, mais en fonction de la charge financière
exigée par la règle en cas de possession d'actifs jugés
plus ou moins surs de façon rigide par le législateur. La
notion de sécurité du placement, dans l'esprit des
investisseurs, est devenue petit à petit celle qui était
définie par le législateur, pas celle résultant d'un
travail d'analyse fin de l'investisseur. Et voilà comment pendant des
années, les investisseurs institutionnels ont amassé des
obligations grecques... et françaises, en les considérant comme
insubmersibles. Le réveil sera douloureux.
Quel rapport avec la construction sur des terrains potentiellement
submersibles ? De la même façon, le jugement de l'acheteur est
perverti par l'octroi d'un sceau de "constructibilité" sur
certains terrains par l'autorité publique. "Si l'autorité publique dit
que le terrain est constructible, c'est qu'il n'y a plus de problème".
De fait, l'acheteur devient moins regardant sur l'exposition aux risques
naturels (ou moins naturels, comme les incendies de forêt...) du
terrain sur lequel se trouve sa maison.
Or, rien n'est plus faux que de croire cela. Car, et ce n'est pas là
la moindre des aberrations de nos lois régissant, ou plutôt
contraignant la construction, l'examen des risques majeurs applicables
à une zone donnée est plutôt superficiel, par la faute
d'une information insuffisamment répandue et accessible sur ces
questions, et parce qu'elles ne sont que quelques critères parmi
d'autres lors de l'examen des PADD (plans d'aménagement et de
développement durable) qui servent à établir le corset
environnemental dans lequel le PLU devra s'inscrire.
N'ayons pas peur de dire que malgré le temps passé à
élaborer un PLU, le problème de la prise en compte des risques
naturels majeurs n'y est pas toujours traité à sa juste place
tant en terme de compétences qui y sont affectées que
d'information géographique de qualité accessible pour le
traiter efficacement. Un domaine exigeant des compétences pointues,
compétences dont les directions régionales de l'Environnement
disposent, mais hélas uniquement en quantité limitée, se
retrouve donc, lors des réunions d'élaboration de PLU, en
compétition avec l'économie agricole, la biodiversité,
les désidératas de groupes de pression très fortement
motivés, pour déterminer un compromis acceptable par tous. Dans
ces conditions, quel point de vue est mieux défendu ?
Autrement dit, ce n'est pas parce qu'un terrain est jugé constructible
par le législateur qu'il est "sûr" ou "sans
problème". Mais pourtant, c'est ce que le propriétaire va
être tenté de croire, surtout au prix que lui aura
coûté le terrain, où la maison.
Transformer le
Certificat d'urbanisme en véritable diagnostic
"environnemental", au sens large
J'ai traité, ou plutôt effleuré (fautes de pages) ce
problème dans mon ouvrage "Logement,
crise publique, remèdes privés", en
affirmant que le travail de recueil de données environnementales des
services publics, et notamment de certaines DIREN (euh, DREAL, elles ont
encore changé de nom) devait être
généralisé, pérennisé et ouvert au public.
Au lieu de délivrer des "certificats d'urbanisme" purement
administratifs qui ne sont que le reflet des interdits posés par la
bureaucratie sur un terrain, ces services - ou des sous-traitant privés
agissant pour leur compte - devraient être capables de fournir de
véritables diagnostics environnementaux et d'exposition aux risques et
nuisances des terrains concernés.
Naturellement, cela n'exclurait pas des erreurs d'appréciation et des
informations manquantes: tant que les digues ne se sont pas
écroulées, tout le monde les croit sûres... Mais au
moins, toute personne candidate à l'achat d'un terrain ou d'une maison
saurait bien mieux qu'actuellement à quoi s'en tenir sur ses
caractéristiques avant de prendre une décision. Notamment, le
caractère "accidentellement submersible" d'un terrain sous
le niveau de la mer ne saurait lui échapper.
Les services publics, ou les prestataires assurant la maîtrise d'oeuvre
pour les donneurs d'ordres publics, auraient d'ailleurs intérêt
à effectuer cette conversion en partenariat avec les compagnies
d'assurance, qui ont évidemment un intérêt très
fort à ce que l'exposition au risque des terrains en fonction de leur
emplacement soit largement connue et diffusée, et assurée
à son juste coût. Une telle mission exigerait bien moins
d'effectifs que le harcèlement administratif tatillon actuel, mais
avec plus de compétences: le travail de la fonction publique
coûterait moins cher, serait plus utile et tant sa valeur que son image
seraient tirées vers le haut.
Plus besoin de
zonage juridiquement contraignant !
Allons plus loin. Avec un tel "certificat environnemental", plus
besoin de définir arbitrairement pour cause de sécurité
des zones constructibles et d'autres inconstructibles.
En effet, imaginez une situation où les DEUX conditions suivantes sont
remplies :
(1) Le candidat à la
construction (ou à l'achat de logement déjà construit)
peut choisir entre une infinité de terrains pour sa construction (et
donc le prix reste faible)
(2) Il peut connaître aussi parfaitement que possible les risques
majeurs et nuisances associés à son terrain et les assureurs
peuvent lui en chiffrer précisément le coût d'assurance
en fonction de ces risques.
Croyez vous qu'il aura naturellement tendance à privilégier les
endroits les plus scabreux pour construire ? Qu'un lotisseur choisira
l'endroit le plus effrayant pour sa clientèle potentielle ? Si vous
répondez oui, c'est que vous croyez réellement que tous les
individus sont stupides et irrationnels. Mais la plupart d'entre eux sont
généralement plutôt rationnels pourvu qu'ils soient
correctement informés.
Le cas des bords de mer est un peu différent. Le tropisme
hélio-maritime précédemment évoqué fera
que quelques têtes brûlées préfèreront
risquer la submersion pour pouvoir être au bord de la mer. S'ils ont
été parfaitement informés des risques, et même
s'ils ne trouvent aucun assureur, et bien, grand bien leur fasse, et en cas
de problème, qu'ils ne s'en prennent qu'à eux mêmes. De
même, si la collectivité doit payer des digues pour les
protéger, que seuls ceux qui ont choisi de se placer
délibérément sous la menace de la vague fatale paient
l'impôt afférent !
Mais peut être que des
communautés de gens motivés pourraient définir elles
mêmes des règles de construction spécifiques pour
éviter l'inondation ultérieure ou en limiter les effets tout en
valorisant des espaces de prime abord inhospitaliers ? C'est ainsi que
procédèrent les marchands de Venise ou d'Amsterdam en leur
temps. Le résultat ne fut pas si mauvais, non ?
Des zonages
très minimalistes
On le voit, en régime de liberté et d'information transparente
sur les risques, zoner les terrains pour des raisons de gestion du risque
majeur n'a plus de raison d'être, et tout terrain pourrait être
constructible par défaut.
Ou presque. Ne resterait alors qu'à gérer le problème
des zones à préserver pour des considérations
esthétiques. Défigurer ces zones reviendrait à faire
baisser la valeur globale de toutes les habitations alentours. Le
problème est donc que si on limite le droit à construire d'une
personne dans un site remarquable et sans compensation, on le pénalise
en récompensant ceux qui, à proximité,
bénéficient de l'interdiction. Mais on peut admettre que ces
derniers n'aient pas envie de voir leur investissement dévalué
par des décisions de construction malheureuses.
Un moyen existe pour se sortir de cette situation apparemment perdante:
instaurer une compensation des "servitudes" d'urbanisme
payée par ceux qui en bénéficient. Autrement dit, si le
front de mer est protégé, le propriétaire du terrain
reçoit en contrepartie une rente compensant son manque à
gagner, payée par une taxation spécifique de ceux qui
bénéficient de son effort pour garder son terrain vierge. Sans
entrer dans les détails, de nombreux exemples de modalités de
mises en oeuvre de telles compensations existent de par le monde, permettent
de protéger efficacement des sites remarquables, mais limitent
très grandement l'incitation à protéger tout et
n'importe quoi.
Et surtout, des régimes de très grande liberté de
construction, avec pour seul zonage protecteur des règles minimalistes
promulguées pour des raisons esthétiques, empêcheraient
toute formation de bulle
immobilière, comme le montre l'exemple de Houston, Dallas, ou
Atlanta, largement commenté dans ce blog en de multiples occasions.
Ceci dit, nous sommes en France, et j'imagine mal que de telles
réformes puissent y être promulguées demain. Un moyen
terme qui limiterait les dégâts économiques et sociaux du zonage
en zone littorale serait de permettre aux communes dont le littoral serait
sur-protégé de pouvoir ouvrir plus facilement des terrains
à la constructibilité à l'intérieur de leurs
terres. Dans une ville côtière, si on protège le
littoral, il ne faut pas en même temps appliquer les règles qui
cadenassent les terrains agricoles de la même commune mais
situés à plus de 500 mètres ou 1km à vol d'oiseau
de la plage. A défaut de laisser se percer les digues qui protègent
les populations côtières, les murailles réglementaires
dressées contre la production de logements en arrière pays
littoral doivent tomber.
Conclusion
On peut craindre que les impératifs de la politique spectacle, suite
aux images choc des maisons submergées en Vendée et en Charente
Maritime, ne nous entrainent vers un renforcement arbitraire de
réglementations anti-construction déjà paroxystiques, et
qui ne s'arrangeront pas avec le vote prochain par l'assemblée des lois Grenelle 2.
Pourtant, encore plus de réglementation ne permettra sans doute pas de
régler des problèmes que beaucoup de réglementations
n'ont pas réussi à adresser convenablement. Un nouveau
paradigme fondé sur la liberté de choix, en toute transparence
et disponibilité de l'information techniquement utile, et la pleine et
entière responsabilité personnelle en cas de prise de
décision aventureuse, donnerait de biens meilleurs résultats.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Vincent Bénard est Président de l'institut Hayek
(Bruxelles) et Senior Fellow de Turgot
(Paris), deux thinks tanks francophones dédiés à la
diffusion de la pensée libérale, et sympathisant des deux seuls
partis libéraux français, le PLD et AL.
Publications
:
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec
Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen",
2003, La doc française, avec Pierre de la Cos