Joyeuses Pâques à tous mes lecteurs et contributeurs ; qu’elles soient pour vous l’occasion de vous retrouver en famille et de reprendre deux fois du gigot ! Il y en aura besoin, surtout si vous abordez à table le délicat sujet du scrutin n°1262 de l’actuelle législature.
Bon, je sais, attaquer un lundi de Pâques avec une analyse d’un scrutin de l’Assemblée nationale, c’est quelque peu rêche. Mais c’est un peu le principe des lois scélérates de se voter en catimini, lorsque les gens sont, pour certains, à panser leurs blessures, pour d’autres, à pleurer leurs morts et pour d’autres encore à brandir du hashtag #JeSuisUneVille ou #PlusJamaisCa ou #LAmourPlusFortQueLaHaine. Eh oui : pendant que les foules s’occupent de survivre et d’éviter les balles ou les clous et les vis propulsés à des vitesses supersoniques par les explosifs de cuisine de délinquants multirécidivistes en goguette, la politique, elle, n’attend pas.
Et s’il y a bien une chose qui préoccupe amèrement nos fines élites – et, au premier rang desquelles on trouvera sans mal François Le Président – ce n’est pas, justement, ces explosions et cette vague de vivrensemble mourirensemble qui (tous comptes faits) les arrange plutôt, mais bien la conservation de leurs petits privilèges et de leurs postes aux prochaines élections. Soyons lucides : que risquent-ils vraiment de ces enquiquinements multiculturels depuis leurs voitures avec chauffeur, dans les enceintes fliquées de nos Assemblées ou dans les antichambres feutrées des palais dorés de la République ? Les bombes et les fusillades étant pour le peuple, qui s’occupera d’eux aussi bien qu’eux-mêmes ?
Dès lors, il n’est pas étonnant que certaines lois passent, avec l’indifférence complice d’une presse qui préfère se mobiliser contre les bloqueurs de publicité que pour une démocratie efficace.
C’est donc avec fébrilité mais très peu de remue-ménage médiatique que l’Assemblée a adopté l’article n° 4 de la proposition de loi organique de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle lors du scrutin n°1262 dans la nuit du jeudi 24 mars. Enfin… Quand j’écris « l’Assemblée », c’est une pure figure de style, cette dernière n’étant en réalité représentée que par une toute, toute petite proportion des élus. Vingt députés avaient jugé nécessaire de se déplacer pour ce vote.
Certes, ce n’est que la première lecture. Certes, un autre vote aura lieu après le passage obligé par le Sénat. Et certes, l’heure tardive n’incite pas les députés à faire de la présence. Mais encore une fois, comme pour d’autres lois à l’impact important pour la vie démocratique française, on s’étonnera du peu de mobilisation de ceux qui se gargarisent à longueur de discours et de plateau télé de leur imputrescible engagement pour la FrrRrrance, pour leurs concitoyens et ceux qui les ont élus, sans parler de leurs petites saillies engagées sur l’importance du vote, du danger de l’abstention et tout le tralala.
Mais en observant ce cirque, l’agacement est à son comble lorsqu’on apprend le contenu de cette proposition de loi : bien évidemment socialiste, cette loi modifie profondément les règles entourant l’élection présidentielle.
Ainsi, les parrainages devront être transmis par les parrains directement par voie postale. Ainsi, les comptes de campagnes porteront sur six mois au lieu d’un an. Ainsi, les bureaux de vote ne fermeront plus avant 19 heures. Ainsi, et surtout, l’égalité du temps de parole des candidats sera remplacée par une nouvelle notion, celle d’équité.
Magnifique, non ? Comment, vous ne sentez pas le petit parfum inimitable de manœuvre politicienne éhontée, mêlée de l’odeur âcre de la panique ?
Pourtant, à l’analyse, rien d’autre qu’une peur panique (celle de voir échapper l’élection aux canons prédéfinis) et une bonne grosse manipulation politicienne du peuple (pour revenir en terrain connu) ne peuvent vraiment expliquer chacune de ces modifications qu’apporte cette loi.
Les parrainages envoyés par voie postale vont, d’après le texte, diminuer le méchant harcèlement des maires par les candidats. Dans la pratique, la méthode de publication imposera de nouvelles démarches au parrain, rendant plus coûteuse (en temps notamment) la démarche, et amoindrissant encore la possibilité pour les petits candidats de parvenir aux 500 signatures requises.
Faire porter les comptes de campagne sur seulement six mois va permettre de concentrer l’étude des dépenses sur une période plus courte, ce qui aura l’énorme avantage de coûter moins cher à l’Etat (qui rembourse) et, par voie de conséquence, favoriser les partis qui ont le plus de moyens. C’est un moyen efficace d’éliminer les petits partis, et c’est aussi un procédé pratique pour limiter les risques d’un refus des comptes. On s’étonne d’ailleurs de la timidité des élus socialistes, qui auraient dû limiter les comptes de campagne à 15 jours…
Mais c’est le passage d’un temps de parole égal à un temps de parole équitable (donc inégal) qui forme le pompon de ce nouvel édifice de la honte bâti avec les fourberies de nos élus. Comme l’explique le préambule de la proposition, l’idée est de contourner « les complications, tant pour les chaînes de radio et de télévision que pour les candidats » ; que voulez-vous, c’est compliqué de compter le temps de parole accordé dans les médias pour chaque candidat lorsque ceux-ci sont nombreux ! Et toute cette peine, infligée aux médias, et naturellement remontée en petites bulles de souffrance auprès de nos élus qui, bien obligeamment, se sont rangés à leurs demandes.
D’autant que l’équité est une notion très simple à déterminer.
On peut imaginer mille et un principes pour la définir : un sondage, forcément neutre et bien réalisé, permettra d’établir sans problème la liste des candidats qui sont très équitables, et ceux qui ont une équité un peu plus réduite. Il y aura bien quelques candidats farfelus (forcément farfelus) dont l’équité calculée ainsi les autorisera à ne pas accéder aux ondes et qui auront la joie équitable d’observer le débat de loin, quand bien même ils auraient sauté toutes les haies mises en place pour s’assurer que le système français quasiment bipartite perdure, mais voilà : ce sont les règles du jeu, après tout, et elles ont été votées démocratiquement, par tous les onze (11) députés favorables.
Bref, encore une fois, et dans une décontraction assez stupéfiante, le pouvoir en place est en train de consciencieusement verrouiller les candidatures et assurer ainsi un renouvellement contrôlé des élus. Très manifestement, certains ont compris que l’alternance en place depuis plus de 40 ans ne recevait plus l’onction populaire, et s’inquiètent donc logiquement de l’avenir.
Ici, peu importe que le citoyen pourrait avoir un avis différent de celui de la micro-troupe de députés qui ont validé cette loi : s’il s’agissait réellement de prendre l’avis du peuple, ça se saurait.