Comme le notait Disraeli, il y a trois sortes de mensonges : les petits, les grands et les statistiques. Cependant, on ne peut torturer les chiffres que jusqu’à un certain point, au-delà duquel, ça finit par se voir. Prenez ceux du temps de travail comparé entre la fonction publique et le secteur privé en France : même avec la meilleure volonté du monde, il devient délicat d’oublier de jolies différences.
Que voulez-vous : dans nos époques où tout n’est plus qu’information disponible du bout d’un clavier ou d’un téléphone, il devient difficile de cacher certaines réalités dérangeantes, même à coup d’euphémismes de gros calibre et aussi puissantes les gesticulations soient-elles pour les camoufler. Ainsi et comme nous l’apprend un article de Capital paru il y a quelques jours, le service statistique du ministère de l’Emploi – la Dares – a publié le 21 décembre le détail du temps de travail entre entreprises privées et administrations publiques et ses résultats piquent un peu.
Bien sûr, on s’empressera de préciser que les chiffres collectés se basent sur les déclarations des travailleurs, que la fiabilité n’est donc pas totale, mais même en tenant compte des petites approximations, le résultat de cette première compilation n’est guère ambigu : les salariés du privé affirmaient en 2015 avoir travaillé 1688 heures, contre 1526 pour les fonctionnaires, ce qui représente une différence de 10% de temps de travail en plus pour le privé.
D’autre part, il semble aussi que cet écart, déjà important en soi, n’a pas cessé d’augmenter depuis ces dernières années, avec même une tendance à l’accélération : l’écart du temps de travail entre salariés du privé et fonctionnaires atteignait 5% en 2012, 6,5% en 2013 et 2014 avant de grimper à ces 10% constatés en 2015. En moyenne, cela veut simplement dire que lorsque les salariés du privés travaillent 215 jours par an, les fonctionnaires, eux, n’en travaillent que 195.
Dans une économie florissante, dans un pays en pleine santé et dans lequel les institutions républicaines et les services publics seraient au top, cette constatation n’aboutirait probablement qu’à un petit haussement d’épaule. Malheureusement, la France de 2017 n’est pas exactement ce moteur finement huilé où chaque petit engrenage, chaque pignon ou chaque piston participe joyeusement à faire marcher une machine taillée pour la réussite : ce « petit » décalage entre privé et public pose quelques soucis.
D’une part, il y a bien sûr la douloureuse question du salaire.
Sans même s’attarder sur les différences objectives du montant des salaires moyens dans le privé et dans le public, force est d’admettre qu’à salaire égal, si un salarié du public produit 10% d’heures en moins que son équivalent du privé, il est alors 10% plus coûteux pour celui qui l’emploie.
Autrement dit, avec 10% d’heures en moins en moyenne, les titulaires de la fonction publique (d’état, hospitalière ou territoriale) sont de fait 10% plus cher que les salariés du privé à salaire égal. Si l’on se rappelle qu’en termes de salaires nets moyens, le public est aussi mieux loti que le privé, cela rend cette différence d’autant plus criante.
Cependant, faisons fi de ces considérations bassement matérialistes, laissons filer cet argument pour revenir à l’essentiel : un salarié du public qui effectue 10% d’heures en moins, cela veut surtout dire, mécaniquement, que le service public auquel il participe est assuré 10% moins longtemps que le service équivalent ou comparable dans le privé. Très concrètement, cela veut dire qu’en face d’une clinique qui offre une heure de travail pour un montant donné, l’hôpital public n’en fournira que 54 minutes (et idem pour les autres services transposables dans le privé). A fortiori, cela explique sans doute les horaires minimalistes de certaines préfectures ou sous-préfectures, consulats et autres institutions locales que les usagers doivent prendre d’assaut le plus tôt possible tant il devient complexe de slalomer entre les guichets fermés, les services indisponibles pour cause de maladie et les tampons impossibles à obtenir pour motifs brumeux à base de Cerfa rose 27b-6.
Or, il sera difficile d’oublier que d’une part et depuis des années, les impôts n’ont cessé d’augmenter et que d’autre part, depuis autant d’années, la fonction publique n’a cessé d’embaucher à un rythme que certains pourraient gentiment qualifier de soutenu sans passer pour des loufoques.
À bien y réfléchir, voilà qui ne peut que surprendre : les coûts de nos services publics n’ont cesser d’augmenter, les effectifs aussi, et voilà que non seulement, l’horaire moyen du fonctionnaire est plus faible que celui du salarié du privé, mais en plus diminue-t-il avec insistance.
Le pompon reste cependant qu’en plus de ces constatations déjà passablement irritantes, le régalien, ce pourquoi l’État prétend exister et tirer sa raison d’être, n’a jamais été aussi mal géré, au point que le quinquennat hollandesque marquera un point haut dans le n’importe quoi chimiquement pur, comme je le notais dans un précédent billet.
Ainsi, les fonctions régaliennes sont toutes à cran à divers degrés.
Nos armées, sans arrêt tiraillées entre les demandes idiotes de plans de sécurisation du territoire national et les opérations extérieures frôlant parfois le publicitaire ou la fumisterie, sont maintenant exténuées par des années de gesticulations stériles que les péripéties au niveau de la solde, des matériels ou des cadres n’améliorent absolument pas.
La police, devenue lentement mais sûrement une force d’occupation intérieure destinée à traquer de l’automobiliste solvable en lieu et place d’assurer l’ordre et le respect de la loi, n’est plus guère qu’une immense institution papivore que l’actuelle législorrhée a mis sur les rotules.
La justice, généreusement manipulée par toute la classe politique, patauge entre les réformes de plus en plus mal boutiquées, la croissance d’un dogmatisme assez délétère et un manque de moyen qui serait comique si, parfois, des gens n’atterrissaient pas en prison à tort ou en étaient relâchés (à tort aussi).
J’éviterais ici d’évoquer la fonction publique territoriale, pléthorique et dont l’impact se sent surtout sur les finances et les impôts locaux, ni de l’hospitalière qui accumule le stress et la gestion erratique (urgences débordées, grèves et mécontentement visible partout, service dégradé, médecine à N vitesses souvent négatives ou nulles).
Quant au non-régalien, c’est un désastre depuis la gestion des infrastructures devenue un marigot entièrement voué aux gémonies du capitalisme de connivence le plus rabique en passant par la corruption franche et gaillarde, jusqu’à l’Éducation nationale maintenant totalement aux mains d’idéologues psychologiquement désastreux.
Tout cela, je vous le rappelle, pour des impôts en hausse et, donc, un temps de travail en baisse. C’est-y pas merveilleux ?
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