Dans un précédent billet, je rappelais un principe
économique important : le travail ne consiste pas à occuper des gens
mais à créer des richesses.
Car c’est seulement à partir de cette richesse
additionnelle que l’on pourra tirer le revenu permettant de rémunérer le
travail. Autrement dit, si aucune richesse n’est créée, directement par le
secteur marchand ou indirectement par le secteur public, alors le travail
sera payé en « monnaie de singe ». Ce que le salarié aura gagné
d’un côté (le salaire) sera perdu de l’autre côté par la montée des prix
(inflation) dans la mesure où la distribution de salaire aura nourrit une
augmentation de demande ne correspondant à aucune création de richesses
susceptibles d’être redistribuées.
Dans les pays communistes, les gens avaient l’habitude de
dire qu’ils faisaient semblant de travailler et le gouvernement faisait
semblant de les payer. Mais au-delà de la pure analyse économique,
permettez-moi de m’arrêter un instant sur un symbole. C’est aussi le même mot
« travail » qui désigne aussi le processus par lequel une femme met
un enfant au monde.
Or, les économistes savent que la seule richesse qui soit,
et qui donne toute sa valeur aux autres, c’est l’homme (ou le capital humain
dans le langage académique des experts). Certes, on dit aussi que l’homme
détruit la planète et son environnement. Mais ce souci de préserver
l’environnement provient du fait qu’il existe des hommes conscients sur cette
planète. Ils sont conscients que pour produire, il faut consommer ; pour
créer, il faut détruire ; pour qu’il y ait la vie, il faut la mort.
Et pour l’instant, c’est la seule espèce vivante à être
tourmentée par cette flamme de la conscience qui met à jour ces paradoxes
apparents. Y a-t-il des habitants pour se soucier de l’environnement de
Jupiter ou Saturne ? Y a-t-il des êtres conscients pour admirer les
paysages de Saturne ? La beauté de la nature elle-même est une richesse
s’il existe un observateur conscient pour l’apprécier, s’il existe un cerveau
à l’intérieur duquel se forgent une image et une conception de l’esthétique,
s’il existe une âme pour ressentir l’émoi devant cette beauté. En somme, s’il
existe des êtres humains.
L’être humain est la mesure de toute chose. Encore faut-il
produire des êtres humains. Certes, la conception peut prendre tout au plus
quelques minutes ; la grossesse quelques mois et l’accouchement quelques
heures. Mais quand le bébé vient au monde, ce n’est que le début d’une aventure
qui consiste à faire de l’enfant un adulte. Quel travail !
Et il prendra des années. Pendant toutes ces années, il
faut tant de travail et d’amour, d’abnégation et de sacrifices, de patience
et de confiance, de souffrances et de plaisirs. Mais finalement, ce sont les
ingrédients de tout processus de création de richesses. Celui qui crée son
entreprise en parle comme de son bébé. Et le développement de son entreprise
lui prendra l’essentiel de son temps et de son énergie. Il faut le vouloir.
Il faut en avoir l’envie et la motivation. C’est aussi fort qu’un acte
d’amour. La prospérité économique est d’abord fondée sur la création des
richesses, la création comme un engagement avant d’être fondée sur la
consommation.
Les générations qui ont relevé la France après 1945 ont
construit une économie du travail qui a aboutit à la prospérité. La
génération 68, en se révoltant contre cette société du travail (qui suppose
autorité et discipline et qui n’est pas toujours drôle en effet), a voulu
consommer tous les fruits de ce travail laborieux, ce qui a débouché sur une
société de consommation fondée sur le consumérisme généralisé et la
satisfaction instantanée de plaisirs immédiats [1]. Dès lors, toute
contrainte était assimilée à une perte de liberté alors qu’elle est
l’instrument de la liberté comme le tuteur qui permet à l’arbrisseau de
devenir un arbre.
Toute frustration était assimilée à un frein à
l’épanouissement alors qu’elle est l’instrument du développement progressif
de la personnalité dans la mesure où l’on n’apprécie jamais ce que l’on
obtient tout de suite sans effort. Apprécie-t-on d’avoir dix doigts ?
Par contre, on éprouvera un bonheur intense à interpréter une pièce de Bach
ou une chanson des Beatles au piano. Les dix doigts, on les a normalement à
la naissance sans aucun effort ni mérite.
La maîtrise du piano, il faut tant de travail… [1]
Rappelons qu’un des slogans en vogue sur les barricades en 68 et sur les murs
des facultés étaient « Ne travaillez jamais ! ».
Et dire que certains trouvent encore cet élan animé par le
génie.
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