Prenez une seconde pour
observer les Etats-Unis d’aujourd’hui, si tant est que vous en ayez le
courage, et vous vous rendrez compte que la définition de l’homme s’est
détériorée. J’observai samedi dernier un abruti tatoué d’une vingtaine d’années
à la salle de sport. Il arborait une épaule entière de décorations corporelles
dans le style lames courbées qui évoquent chez moi des épées de ninja.
Peut-être était-il vraiment quelqu’un de dangereux, un commandant de la
Marine qui finissait tout juste de trancher des gorges talibanes à Nangarhar. Il y a toutefois plus de chances qu’il
travaille comme opérateur de chariot-élévateur au centre de distribution d’Ace
Hardware. Et il n’a pas semblé apprécier mon attention – je me demande
pourquoi il s’est donné tant de peine pour attirer tous les regards !
N’est-il pas intéressant que
tous les américains mâles se prennent pour des guerriers ? Voilà qui en
dit long sur les dimensions psychologiques de la masculinité dans ce pays. Si
je devais deviner, je dirai que la plupart des individus mâles ne peuvent pas
imaginer d’autre manière d’être un homme – que de se transformer en un soldat
ressemblant le plus possible à un cyborg et fardé de fioritures techno. Ils
tirent certainement tout ça des films Transformer et Robocop. Ils
ne rêvent que de devenir des machines à tuer.
Cette philosophie était à son paroxysme
dimanche dernier, avec les matchs éliminatoires de la NFL, le foot étant
après tout une sorte de guéguerre entre soldats fantoches. Les tatouages qui
couvrent les bras du quaterback de San Francisco
Colin Kapernick étaient difficiles à décrypter même
sur un écran plat haute-définition. J’ai cru voir au début la carte de la
banlieue de Milawkee, et même le texte complet de Jude
the Obscure, mais il semblerait (j’ai vérifié) qu’il s’agisse de l’histoire
incomplète de sa vie, de ses triomphes et de ses distinctions : le
transplant de cœur de sa mère, et ses affaires avec la divinité en fuite
connue sous le nom de Jésus Christ… Entre deux matches, il se pavanait sur la
ligne de touche, avec sur sa tête une casquette Cholo
rouge à la visière joliment aplatie pensée pour donner à quiconque la porte
des airs de clown criminel. Comme le maître de l’horreur Lon Chaney l’a une fois dit à propos de sa technique de
création de personnages, « dans la pénombre, un clown n’a rien de drôle ».
L’objectif ? Avoir l’air aussi ridicule que possible et donner une
impression imprévisible de danger et de violence.
Et Colin était loin d’être la
seule créature sur le terrain à être décoré d’encre. A certains moments, la
mêlée ressemblait à la cour de récréation du pénitencier de l’Etat de
Washington. Cela nous mène à l’autre thème contemporain de la masculinité
américaine qu’est le rite de passage par la case prison. Beaucoup semblent
penser, notamment les idéalistes éperdus, que les prisons des Etats-Unis sont
pleines à craquer de prisonniers politiques. Ce n’est absolument pas vrai.
Bien que je ne puisse pas nier que nos lois sur la drogue soient complètement
imbéciles, cruelles et inutiles, je suis persuadé que notre système
pénitencier est rempli de monstres psychopathes. Ils peuvent bien être les
créations de notre culture, dans toute sa dépravation et sa fausseté, ils n’en
sont pas moins des monstres.
Mais la romance du royaume des
monstres n’est qu’un thème parmi tant d’autres de la masculinité américaine d’aujourd’hui.
Les petits garçons sont amoureux de monstres, ils veulent devenir comme eux,
ou entrer dans leur monde. Et aujourd’hui, beaucoup y parviennent. L’indulgence
de ces enthousiasmes juvéniles est due à l’absence de meilleurs modèles.
Bientôt, la situation dégénèrera, et les monstres seront partout : des
clowns musclés habillés comme des bébés, aux bras tatoués et chargés d’armes
à feu. Quelles chances avons-nous de voir ceux qui grandissent aujourd’hui en
rêvant de violence opérer un jour sur la base de la gentillesse et de la générosité
et se soucier d’un futur plus lointain que les quinze prochaines minutes ?
La raison pour laquelle nous
en faisons et agissons ainsi est que la masculinité américaine est en déclin,
et est bien loin de ce qui constituait autrefois une vertu. Nous ne la
reconnaitrions pas aujourd’hui si elle nous sautait au visage et nous mordait
les lèvres. J’ai peur que nous ayons besoin d’un leadership sévère pour
étouffer les tendances actuelles. Et quand il apparaîtra, ce sera un peu
comme si Dolly Parton d’était alliée à Hitler.