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Sans surprise,
puisque les négociations étaient entrées dans une phase
d'exclusivité suite à l'appel d'offres jugé fin mars
dernier, c'est un
groupement dirigé par Vinci qui va construire la
ligne de TGV entre Tours et Bordeaux, appelée LGV sud, dans le
cadre d'un "partenariat public privé", montage juridique
présenté comme une grande avancée du modèle
socio-économique français. En fait, la ligne LGV est un grand
gaspillage de plus lié à notre fétichisme
pro-ferroviaire, et que le
bénéficiaire des largesses de l'état soit une entreprise
privée plutôt qu'un tonneau des danaïdes publics (RFF)
n'est qu'une très mince consolation.
Quelques chiffres
La ligne LGV
viendra en remplacement de l'actuelle ligne Tours Bordeaux, partagée
par tous types de trains. Cette ligne spécifique de 303 km
entièrement nouvelle permettra aux trains parcourant la liaison Paris
Bordeaux de gagner 50 minutes de trajet.
Cette ligne
coûtera la bagatelle de 7,8 Milliards d'Euros à construire, en
supposant qu'aucun dépassement ne soit constaté au final, ce
qui serait tout à fait étonnant sur un projet de cette nature.
Sur ces 7,8 milliards, 4 seront apportés par l'état et 3,8 par
le groupement Vinci. Vinci se rémunèrera en faisant payer un
droit de péage à la SNCF et d'éventuels autres
opérateurs de train (on peut toujours rêver), dont elle
espère officiellement tirer 250 millions d'Euros annuels pendant 35
ans.
Le principe de
l'appel d'offres était simple: chaque groupement devait estimer le
coût global du projet, et celui qui demandait à l'état la
subvention la plus faible remportait la mise. En demandant 4 milliards
"seulement", Vinci a devancé ses concurrents.
Autrement dit, en
supposant que Vinci ne se soit pas trompé dans ses prévisions,
pour que le projet soit rentable sans subvention, il faudrait qu'il
coûte 3,8 milliards. Comme il coûtera deux fois plus, on peut
donc considérer qu'une ligne de TGV gérée au mieux entre
la capitale française, forte de 10 millions d'habitants, et une grande
ville de province, le tout dans une zone sans difficulté
géographique particulière ne nécessitant aucun ouvrage
d'art hors normes, ne couvre que la moitié de ses coûts
d'investissement et de fonctionnement.
La seule relative
bonne nouvelle est qu'au moins, une fois la subvention d'investissement
payée, le fonctionnement de la voie ne devrait pas être à
la charge du contribuable. J'emploie le conditionnel, car nul doute que
Vinci, si l'exploitation tourne moins bien que prévu, saura faire
pression sur l'état - "des
sous ou j'arrête tout !" - pour obtenir des
compensations.
4 Milliards de
subvention, c'est...
4 Milliards de subventions, sans lesquels
le projet ne se serait pas fait, constituent bel et bien un cadeau à
Vinci et ses alliés. Dans le groupement, d'ailleurs, figure la caisse
des dépôts, ce qui permettra de garantir une partie des sommes
empruntées par l'état en dernier ressort : Les taux
d'intérêts préférentiels ainsi négociables
constituent un autre cadeau, moins médiatisé il est vrai, de
plusieurs millions chaque année pendant toute la durée
d'amortissement des emprunts nécessaires au projet. Mais restons en au
chiffre déjà en lui même considérable de 4
milliards d'Euros, 26 milliards de Francs pour les anciens.
4 Milliards pour
303 km de voies nouvelles, c'est à peu près un quart de ce que
chaque année, l'état et toutes les collectivités locales
(conseils généraux et mairies) mettent dans l'entretien et
l'amélioration du réseau routier non concédé de
toute la France (plusieurs centaines de milliers de km), ainsi que dans son
fonctionnement (interventions sur accidents, déneigement des routes
majeures, etc...). Et encore ce chiffre de 16 milliards d'Euros date-t-il de
2006, depuis, la crise et le Grenelle sont passés par là, et la
route a été la grande perdante des coupes budgétaires
que les entités publiques ont dû, fort logiquement, entamer.
A relief égal, on peut estimer que 7,8 milliards permettraient de
financer 1300 km de routes à 2X2 voies nouvelles, dont le service
rendu à la mobilité des français serait infiniment
supérieur.
Rappelons qu'en
France, les recettes de la route (taxes spécifiques et péages
payés par les automobilistes, pour un total de 40 milliards) couvrent
largement ses coûts, "externalités" comprises (26
Milliards), alors que les recettes spécifiques du système
ferroviaire ne suffisent visiblement pas à en équilibrer les
comptes, un appel au budget général étant
nécessaire pour boucler les fins de mois, à hauteur de 12
milliards d'Euros de subventions annuelles, ce chiffre
n'incluant évidemment pas la LGV.
RFF, un simple instrument
de dissimulation comptable de l'insoutenabilité financière du
rail
250 millions de
recettes de péages pendant 35 ans suffiront à Vinci & co.
pour amortir SA dépense initiale de 3,8 milliards. Mais si les 303 km
avaient dû être intégralement payés de leur poche,
ce sont environ 515 millions annuels que l'exploitant de ligne aurait
dû récolter pour rentrer dans ses frais. On peut donc affirmer
que si RFF était aussi bien gérée qu'une entreprise
privée bien établie, comme Vinci, elle devrait encaisser de la
part de la SNCF (qui est l'exploitant quasi unique des lignes aujourd'hui),
une somme annuelle de 1,7 millions d'Euros par an et par km de lignes
TGV spécifiques existantes, sans inclure les lignes mixtes TGV+autres
trains (en mettant de côté les surcoûts liés aux
régions à fort relief) pour rentrer dans ses frais.
Fin 2009, le réseau RFF comportait 1875 km de LGV existantes. La
redevance annuelle d'équilibre pour ce seul réseau devrait donc
s'établir à 3,19 Mds €. Or, c'est un peu plus que
ce que la SNCF verse à RFF pour... La totalité de son
réseau (3Mds/an), qui compte 29 000 km au total, de lignes de toutes
caractéristiques !
Selon Wikipedia (je reconnais qu'il existe des
sources plus fiables...), RFF
dépense annuellement 5,3 Milliards pour son
réseau HORS DEPENSES DE DEVELOPPEMENT, et cela est très loin
d'être suffisant pour empêcher la décrépitude de
son réseau régional. Bref, RFF n'est qu'un outil comptable
visant à faire croire que la SNCF équilibre son exploitation,
alors que l'activité ferroviaire dans son ensemble est destructrice
nette de valeur.
Grenelle
ferroviaire, Waterloo fiscal
Le Grenelle de
l'environnement prévoit la mise en service de 2 000 km de lignes de
TGV nouvelles, soit 1700 en plus de celle dont nous parlons ici.
Naturellement, des lignes aussi indispensables que Poitiers-Limoges,
dont le potentiel de trafic est beaucoup moins élevé que celui
de Bordeaux-Paris, en admettant que leur coût de construction soit
identique à celui de la LGV Tours Bordeaux, nécessiteront un
pourcentage de subventions bien plus fort que 52% pour être acceptables
par un opérateur privé. Comme l'a fait remarquer le professeur
Prud'homme dans un article de "la tribune" (d'Avril) qui ne semble
hélas pas librement accessible, la liaison LGV Tours-Bordeaux est sans
doute une des "plus rentables", ou plutôt la "moins
déficitaire", parmi celles envisagées par le
Grenelle. Les autres nécessiteront par conséquent des
subventions d'investissement plus élevées, sans parler de
celles qui emprunteront des reliefs difficiles, comme celle qui ira vers
Nice. On peut donc supposer de façon très conservatrice que les
1700 km restants nécessiteront au moins 25 milliards d'Euros de
subventions publiques à des opérateurs privés de voies
ferrées pour pouvoir être envisagés.
Je n'ai rien
contre Vinci en particulier, ni contre ses confrères qui participeront
aux autres lignes LGV, mais l'idée que 25 milliards de nos
impôts vont servir à permettre à des groupes
privés de s'assurer des revenus récurrents qu'ils n'auraient pu
envisager sans notre petit coup de pouce me rend particulièrement
maussade, surtout en ces temps où les hypothèques qui
pèsent sur les finances publiques se révèlent
particulièrement angoissantes.
Tout ça
pour quels bénéfices ? Nous l'avons vu, le gain de temps entre
Paris et Bordeaux sera d'environ 50 minutes, que l'on arrondira à 1
heure. Qui utilise le TGV ? A pratiquement 50%, des cadres et CSP+, alors
qu'ils représentent moins de 10% de la population. Autrement dit, ce
sont les contribuables de toutes conditions et de toute situation
géographique d'aujourd'hui et de demain qui permettront au
boboïde germano-pratin et au notable du bordelais de multiplier la
fréquence de leur rencontres. Merveilleux exemple de redistribution
sociale, non ? Nous noterons également avec ravissement un gain de 23
minutes entre Paris et La Rochelle, dont les bienfaits économiques
n'échapperont à personne.
Il est assez
délicat de trouver des estimations de trafic précises avant et
après la mise en service, RFF ne communiquant pas sur ce point,
à moins que je ne cherche mal. Cet article de France Soir
note une "prévision de trafic global sur la ligne" de 20
millions de passagers par an, mais en incluant les trajets Paris-La Rochelle,
Bordeaux-Tours, etc... Soit 3 millions de plus qu'actuellement du fait du
"report modal" entre l'avion et le TGV.
D'ailleurs, je
goûte assez peu aux calculs "d'externalités positives"
du genre de celui ci: "Paris Bordeaux a un trafic annuel de 5 millions
de passagers (approximation), ils vont gagner une heure, à 20 Euros de
l'heure (Salaire Net Médian + Charges), cela représente un gain
de 100 millions d'Euros, auquel il faut ajouter les 2 millions de nouveaux
voyageurs, etc..." - Le temps de voyage dans les trains actuels n'a pas
une valeur de zéro, sans quoi il ne serait pas entrepris, et le temps
"économisé" sur des voyages qui sans TGV n'aurait de
toute façon pas été entrepris, est une notion qui me
parait sujette à caution, surtout lorsque le TGV subventionné
se substitue à une alternative privée aérienne.
Et ne me parlez pas d'économies de CO2 : Outre que le CO2 - qui n'est pas
un polluant,
faut
il encore le rappeler ? - n'a qu'une importance tout
à fait secondaire climatiquement parlant,
quoiqu'en disent Al Gore, JL. Borloo et consorts, quand bien même il en
aurait, toutes les lignes de TGV ouvertes n'ont quasiment pas infléchi
les courbes d'augmentation du trafic routier, et la contribution du transport
aérien aux rejets hydrocarbonés est tellement
négligeable que ce n'est pas la substitution de quelques avions entre
Mérignac et Orly par des TGV qui va changer quoi que ce soit de
signifiant à la quantité de CO2 rejetée en France.
Et que l'on ne
vienne pas me dire, comme le fait RFF, que "ça va créer
des emplois": les 4 milliards de la LGV ou les 25 milliards de
subvention versées aux voies nouvelles du "Grenelle", s'ils
n'avaient pas été pris aux contribuables, auraient servi à
autre chose, et leur retour dans un circuit économique purement
privé serait indubitablement plus porteur d'effets économiques
vertueux.
Mais que serait
la France sans le TGV ?
"Mais,
malheureux, que serait la France sans le TGV ?", me demanderez
vous ? Car si l'on pousse mon raisonnement à l'extrême, le TGV n'existerait
sans doute pas, en tout cas sous sa forme actuelle. Or, on ne peut nier
que le TGV a profondément transformé, de par les
opportunités qu'il a fait naître, le territoire français.
Et alors ? La
France d'aujourd'hui serait seulement différente de celle
façonnée par l'aménagement du TGV, cela ne signifie pas
pour autant qu'elle serait moins désirable. Les pays qui n'ont pas
créé de lignes de TGV en 1980, comme nous l'avons fait, ou dont
les trains rapides le sont moins que les nôtres, ne se sont pas, que je
sache, des déserts caractérisés par un haut niveau de
sous développement marqué par rapport à la France. Sans
intervention publique, la SNCF se serait restructurée, des
opérateurs de car privés auraient fait revivre le transport
collectif local aujourd'hui moribond dès que l'on quitte la zone de
chalandise des grandes agglomérations.
Quant au
transport de passagers longue distance, les trains classiques encore
rentables grâce à des efforts de gestion professionnelle se
seraient adaptées par des évolutions technologiques moins
spectaculaires, mais financièrement soutenables, tels que des trains
à moyenne vitesse dits "pendulaires" capables de
réutiliser autour de 200km/h les voies existantes. En outre, le transport
aérien régional aurait sans doute connu des évolutions
que la concurrence subventionnée du TGV a rendues impossibles.
Enfin, les
milliards qui ne seraient pas allés à la SNCF ou à RFF
auraient fructifié ailleurs. Les potentialités que le TGV
à transformé en opportunités ne se seraient certes pas
matérialisées, mais d'autres, que nous ne connaîtrons
pas, auraient bourgeonné.
Les subventions
massives au transport ferroviaire, qu'il soit rapide, lent, national ou
local, constituent de mauvaises allocations de ressources qui ont
elles-mêmes engendré d'autres allocations de ressources tout
aussi discutables par les agents économiques publics ou privés,
telles que la transformation de villes de province comme Vendôme en
gigantesques cités-lotissement dortoir. Le problème est que si,
comme c'est hélas cruellement envisageable dans les prochaines
années, la subvention à la SNCF s'arrête brutalement pour
cause de cessation de paiement de l'état, rendant impossible la
continuation de l'exploitation de certaines lignes, tous les
aménagements privés qui ont été conçus en
fonction de la présence du TGV risquent de se révéler
eux mêmes totalement inadaptés.
Conclusion
La constitution
d'un partenariat public privé pour l'exploitation de la LGV Tours
Bordeaux ne fera pas de miracle, l'arrivée d'un opérateur
privé dans l'exploitation des voies ne peut transformer un projet non
rentable en miracle, elle ne peut que limiter le préjudice
infligé aux contribuables.
La douloureuse,
bien que moins élevée que si les budgets publics devaient en
plus payer pour le fonctionnement de l'investissement une fois
réalisé, n'en sera pas moins considérable.
L'opération montre que même avec un exploitant
réputé sérieux, un bassin de clientèle
intéressant, et une altimétrie sans difficulté majeure,
un projet de transport ferroviaire longue distance ne peut au mieux couvrir
que 50% de ses coûts. Et inutile de dire que ce pourcentage sera
très inférieur pour des liaisons de montagne telle que la
liaison Lyon Turin, vieux fantasme technocratique que certains nous annoncent
pour le début des années 20 !
Quel que soit la
fierté que l'on puisse éprouver devant la performance
technologique que représente le TGV, la vérité est
cruelle: le développement du TGV est une bien mauvaise affaire
financière et l'argent public qui sert à le subventionner
serait bien mieux employé s'il était laissé dans
l'économie purement privée.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France,
"Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif Liberté"
www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
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