Que
se passe-t-il dans le secret du confessionnal ou de l’isoloir ?
Nul ne doit le savoir, si ce n’est ceux qui s’y tiennent. Eh
bien, pour le marché obligataire, il en est de même
!
Salués
par des soupirs de soulagement, l’Espagne et l’Italie viennent
après le Portugal de réussir leurs émissions
obligataires, méritant que l’on y regarde d’un peu plus
près. S’agissant des deux émissions du Portugal, le taux
consenti a été légèrement inférieur
à celui de la précédente émission de novembre
pour la maturité la plus longue, mais supérieur pour la plus
courte, dans les deux cas toujours très élevé. On a
appris depuis qu’une vente privée de 1,1 milliards d’euros
d’obligations aurait eu lieu quelques jours auparavant avec la Chine
comme acheteur. Des rumeurs invérifiables font également
état d’achats japonais et brésiliens. Enfin, la BCE est
très fortement intervenue sur le marché secondaire afin de
faire baisser les taux. Tout additionné, le panorama est moins
exaltant.
A
propos de l’Espagne et l’Italie, on entend aussi chanter trop
vite victoire. Retenant comme critère non plus le taux obtenu mais
l’importance de la demande. Ou, la comparaison entre le taux de
l’adjudication et celui du marché de la veille au soir,
négligeant les très fortes hausses intervenues depuis les
précédentes émissions de novembre. On se console comme
on peut.
La
pilule est passée, car les marchés ont bien
enregistré qu’il se passait quelque chose d’important. Non
pas en décryptant les déclarations officielles, hier
passablement confuses, à propos de l’augmentation des moyens du
fonds de stabilité européen (EFSF), mais en s’en tenant
à celle du ministre allemand des finances, Wolfgang Schaüble, ainsi que de son entourage qui parlait
plus librement off aux médias. Une reconfiguration de
l’EFSF serait donc en cours de négociation, en espérant
que celle-ci aboutira à temps pour le prochain sommet européen
du 4 février prochain.
Si
l’on en voulait confirmation, il suffisait de se tourner vers les
grandes places boursières européennes et d’observer
l’excellente tenue des valeurs financières, c’est à
dire des banques. Dans ces cas là, les chroniqueurs boursiers disent
qu’elles caracolent. Comme si celles-ci étaient
désormais prémunies du danger d’une
dépréciation de leurs actifs obligataires dans l’avenir,
les gouvernements européens ayant décidé de mettre le
paquet pour si nécessaire sauver les Etats, en
réalité pour mieux sauver les banques.
Il
est toutefois utile de noter que, si les Allemands et les Français
cherchent à se mettre d’accord sur la version finale de ce
nouveau dispositif, sans attendre le mécanisme prévu pour 2013,
les Britanniques viennent quant à eux de prendre des distances
supplémentaires. En déplacement à Londres,
François Fillon, premier ministre Français, a assuré
que : « Il ne doit y avoir aucun doute, les Etats de la zone
euro, et particulièrement la France et l’Allemagne, sont
prêts à tout mettre en œuvre, je dis bien absolument tout,
pour assurer la stabilité de la zone euro ».
Sans
doute n’a-t-il pas été assez convaincant, bien
qu’ayant cherché les mots les plus justes, car David Cameron, le
premier ministre britannique, a été d’une grande
clarté : « … soyons absolument clairs : nous n’avons
pas l’intention de rejoindre la zone euro et nous n’avons aucune
intention d’être entraînés dans un nouveau
mécanisme ou de nouvelles procédures, ni d’abandonner de
nouveaux pouvoirs ». François Fillon avait pourtant tout
essayé, excipant du fait que les autorités britanniques
« savent que l’insularité monétaire
n’existe pas pour un pays dont la moitié des exportations sont
à destination de la zone euro ». Comme c’est
délicatement dit…
Il
ne faudra sans doute donc pas compter avec les Britanniques –
actionnaires de la BCE sans avoir rejoint l’euro, et participants
à l’EFSF – pour mettre au pot. Car ce qui est en jeu est
de permettre le désengagement de la BCE de ses achats obligataires sur
le second marché, avec lesquels elle est collée. Tout le
discours de Jean-Claude Trichet, président de la BCE, sur la
nécessité absolue que les gouvernements européens
prennent leurs responsabilités n’avait pas d’autre sens
(« la responsabilité de la politique monétaire ne
peut pas se substituer à l’irresponsabilité
gouvernementale »). L’EFSF pourrait dorénavant
procéder à tels achats et mettre à disposition des Etats
dans le besoin des lignes de crédit à titre préventif,
reprenant des nouvelles dispositions adoptées par le FMI. Voilà
qui irait à la rencontre des souhaits de la BCE et se son
président, qui a déclaré aujourd’hui jeudi :
« Nous demandons aux responsables européens
d’améliorer l’efficacité de ce fonds, tant sur le
plan quantitatif que qualitatif ».
Les
responsabilités de la BCE en seront-elles pour autant soulagées
? Rien n’est moins certain, car il restera à régler
l’épineuse question de la dépendance à ses
liquidités dont font preuve les banques des pays
« périphériques ». Les emprunts des
banques portugaises auprès de la BCE ont porté en
décembre dernier sur 40,9 milliards d’euros contre 37,9
milliards en novembre, selon la Banco de Portugal. Cette addiction
n’est pas compatible avec une augmentation du taux directeur de la BCE,
toujours fixé à 1%, afin de lutter contre le démarrage
constaté de l’inflation.
Jean-Claude
Trichet vient d’affirmer qu’elle sera contenue, mais sans dire
comment. Une nouvelle intéressante notion – l’excès
d’orthodoxie – vient en attendant la suite de voir le jour,
afin de qualifier ceux qui préconiseraient de la part de la BCE une
telle mesure prématurée. Excipant à juste titre que
cette inflation provient du bond du prix du pétrole et de ce qui est
décrit comme étant des hausses saisonnières des
produits alimentaires ; Christine Lagarde préférant
s’en tenir à de l’inflation importée.
La
BCE pourrait prochainement se retrouver dans la même situation que la
Bank of England, paralysée devant
l’inflation britannique – plus élevée que sur le
continent – et décidant, réunion de son comité de
politique monétaire après l’autre, de ne plus bouger, ni
pour augmenter son taux directeur, ni pour reprendre ses achats obligataires
et tenter de contribuer ainsi à la relance économique. Des
Etats-Unis au Japon et du Royaume-Uni à l’Europe des 17, les
banques centrales occidentales sont dans des contextes différents
toutes aussi mal loties.
En
Europe, la BCE a réussi a repasser la patate
chaude aux Etats, les Britanniques se défilant, ayant
déjà fort à faire à la maison. C’est sous
le couvert du concept fourre-tout de convergence que va se
négocier la suite des opérations. L’Allemagne toujours
aussi fermement décidée à imposer la rigueur fiscale, la
France suivant à reculons.
Un
tournant est en passe d’être accompli avec la mise en place
d’un dispositif de sauvetage plus conséquent, dont la charge
financière va peser sur les seuls Etats, intervention sur le
marché obligataire incluse, pouvant mettre au pot de l’EFSF ou
accroître le montant de leurs garanties. Mais si l’autre volet de
la stratégie continue de s’appuyer sur des prêts consentis
à taux prohibitifs et des conditionnalités menant tout
droit à la récession, le dispositif mènera toujours dans
une impasse.
Une
nouvelle passe d’arme a eu lieu aujourd’hui jeudi entre Nicolas
Sarkozy et le gouvernement irlandais, à propos de la taxation des
entreprises. Le premier réclame à nouveau que le traitement de
faveur irlandais soit supprimé, vu l’aide
européenne que le pays reçoit, et oublie que les entreprises
françaises du CAC 40 sont en moyenne taxées à 8%, en
dessous de la taxation irlandaise.
Le
député travailliste Alan Kelly réplique qu’«
un changement dans notre régime fiscal pour les entreprises effacerait
tout progrès économique réalisé en Irlande et
nous rendrait dépendants de l’UE pour toujours ». On
ne peut être plus clair pour décrire l’impasse dans lequel
les plans de sauvetage européen dirigent ceux qui en
bénéficient, et comprendre pourquoi ils essayent à tout
prix d’y échapper.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
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