Devant la perspective, les
jours qui viennent, d’un tir groupé d’émissions
obligataires – grecque, portugaise, espagnole, puis italienne –
la crise européenne a été brutalement ravivée et va
à nouveau mettre des gouvernements européens mal
préparés dans l’obligation d’improviser.
Le déferlement de
démentis apportés à l’information publiée
par Der Spiegel, selon laquelle le Portugal allait demander de l’aide,
n’est pas spécialement convaincant, apparaissant comme une
répétition des deux précédents épisodes
grecs et irlandais. Pis, le Portugal tombé, l’Espagne serait
alors le prochain sur la liste. Imposant alors de revoir sans plus de cérémonie
le dispositif provisoire de sauvetage actuel, qui ne pourrait y faire face.
C’est pourquoi la BCE a repris ses acquisitions d’obligations,
à une plus large échelle semble-t-il, afin que le Portugal
puisse malgré tout passer l’échéance de cette
semaine.
Une autre inconnue prend de
plus en plus corps outre-Atlantique, à la suite des alarmes
successivement lancées par Alan Greespan et
John Lipsky, le numéro 2 du FMI, afin que
les Etats-Unis commencent sans plus tarder à réduire leur
déficit budgétaire. Les taux obligataires américains,
qui restent bas en dépit de leurs progressions récentes,
vont-ils longtemps pouvoir continuer à y rester ? La crise
obligataire pourrait-elle gagner les Etats-Unis ?
Dans un contexte
déjà très lourd, de prochaines coupes claires dans le
budget fédéral ne contribueront pas à alléger la
crise sociale. Comme rappelé dans La fausse baisse du
chômage américain, 43 millions d’américains se
nourrissent grâce aux food stamps (tickets d’alimentation), soit 14% de la
population totale. La fréquentation des soupes populaires aurait
augmenté en 2010 de 25% et plus de 600.000 personnes chercheraient
chaque nuit un abri.
Ces rebondissements
prévisibles de la crise obligataire ne doivent pas pour autant amener
à négliger les établissements bancaires,
également à la recherche de financements dans les meilleurs conditions.
On apprend en effet que la mégabanque britannique Barclays envisagerait de
créer une bad bank,
afin d’y parquer ses actifs douteux. Poursuivant deux objectifs :
se préparer à répondre aux contraintes
réglementaires de Bâle III, afin de ne avoir
à prendre en compte ces actifs dans le calcul de son ratio, et
dégager une meilleure rentabilité pour mieux attirer les
investisseurs et augmenter ses fonds propres.
A Wall Street, 19 mégabanques pressent la Fed pour les mêmes
raisons, afin qu’elle leur fasse passer de nouveaux stress tests, suite
aux précédents de mai 2009, et leur permettre ensuite de
redistribuer des dividendes aux actionnaires. Leurs résultats, en mars
prochain, ne seront pas rendus publics mais pourraient permettre aux mégabanques de récompenser les
investisseurs impatients qui y ont injecté des milliards de dollars.
La Fed vérifiera leur
capacité de résistance à deux scénarios
difficiles que les banques pourraient rencontrer – rendus publics dans
leurs seules très grandes lignes – ainsi que
l’adéquation du niveau de leurs fonds propres avec Bâle
III, en tenant compte de la possibilité toujours ouverte que les mégabanques aient l’obligation d’aller
au-delà. Tout ceci sans aucune transparence, mais avec pour effet
recherché de permettre aux banques de plus facilement attirer de
nouveaux investisseurs.
Les banques
européennes, qui sont placées devant le même
problème, craignent par contre de ne pas avoir la tâche
facilitée par le projet de la Commission européenne qui vient
d’être rendu public et pourrait être adopté en juin
prochain. Selon les termes de celui-ci, les régulateurs pourraient
mettre à contribution les détenteurs de dette senior, en leur
imposant une décote, en cas de gros pépin survenant à
une banque dont ils détiendraient de la dette.
Cette disposition
n’étant applicable que pour les obligations émises
postérieurement à 2013, on s’attend à un rush des
banques en vue d’émettre le maximum de titres d’ici
là. Ceux-ci ne risqueront donc pas de connaître une telle
infamie, permettant d’espérer que leur taux ne grimperont pas. Selon Dealogic,
un fournisseur d’informations financières, les banques
européennes devraient aller chercher sur le marché, pour se
refinancer, un montant estimé à 600 milliards d’euros,
rien qu’en 2011.
Ce lundi soir, les rumeurs
de marché faisaient chuter les bourses européennes,
entraînées par les valeurs financières. Les
problèmes des uns rejaillissant comme à l’accoutumé
sur ceux des autres, la crise obligataire portugaise sur les banques,
toujours susceptibles d’en faire les frais aux yeux des marchés.
Quant au marché
obligataire, il a continué à se tendre en dépit
d’achats estimés massifs d’obligations portugaises par la
BCE. Avec comme caractéristique inquiétante que ce n’est
pas seulement la dette portugaise qui est atteinte, mais en même temps
celle de l’Espagne, de la Belgique et de l’Italie, qui subissent
un sort identique.
En raison de cette
accélération, la crise européenne est à un grand
tournant.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
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le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
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