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Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Durant toute la journée de lundi, les démentis ont plu de toute
part, ne faisant qu’accréditer la rumeur dont avait fait
état le Frankfurter Allgemeine Zeitung, un
journal qui ne passe pas particulièrement pour faire partie de la
presse à sensation. L’Espagne serait au bout du rouleau, un plan
d’activation du fonds de stabilité financière
européen en préparation. Les mauvais esprits – il
n’en manque pas – remarquant que ce scénario rappelait
fâcheusement celui de la Grèce, avant qu’elle ne
bénéficie d’un soutien longtemps dénié de
toutes parts.
Une
conférence téléphonique des ministres du G7 avait
opportunément eu lieu dans la matinée, dont il était
juré qu’elle n’avait pas été
consacrée à l’affaire qui mobilisait toutes les
attentions. Décidément !
Les
rares banquiers et financiers espagnols qui acceptaient de s’exprimer
faisaient entendre un tout autre son de cloche : ils reconnaissaient que
les banques espagnoles étaient devant le marché international
des capitaux comme devant porte close. Plus personne ne voulant se risquer
à prêter à un secteur bancaire en pleine crise, sans
désormais même faire trop le détail entre ses
composantes, faute de visibilité. L’opacité du
système financier se retourne contre lui dans les mauvais jours : il
est dans l’incapacité de lui substituer la transparence, car
elle rendrait encore plus vulnérable.
La BCE
s’affirme plus que jamais le seul recours de la quasi totalité
des banques espagnoles pour se maintenir à flot, tandis qu’est
annoncée pour jeudi une émission obligataire de l’Etat,
celui-ci risquant de devoir faire appel aux faveurs de la banque centrale,
afin que la souscription se fasse dans des conditions acceptables, faute de
mieux. Selon le quotidien El Pais, 16,5% de la totalité des
prêts de la BCE sont désormais consentis à
l’Espagne, un pourcentage en très rapide progression depuis le
mois de mai dernier.
Le
sommet européen des chefs d’Etat, convoqué jeudi prochain
dans le cadre de la préparation du G20 des 26 et 27 juin, ne se
saisira pas nécessairement officiellement du dossier, mais il devra
impérativement le traiter. Car c’est non seulement
l’Espagne qui est en cause, mais une nouvelle fois tout
l’édifice européen. En raison cette fois-ci de
l’éclatement de la dette privée espagnole, qui secoue son
système bancaire et en impose la restructuration forcée
à toutes enjambées, afin d’éviter qu’il ne
sombre. Une perspective qui ne fait qu’ajouter aux tensions
provoquées par la désastreuse dégradation de la note de
la Grèce par Moody’s, qui anticipe par ce geste la
nécessité d’une restructuration inévitable de la
dette du pays.
Les
rapports pleuvent tout autant, qui s’efforcent de chiffrer les
expositions des banques européennes au risque. Que celui-ci
résulte des obligations d’Etat dont ils regorgent et dont les
prix baissent au fur et à mesure que leur rendement croit – en
particulier des pays désormais dits à risque – ou
des prêts de toute nature qu’elles y ont consenti au secteur
privé. Tour à tour, la Royal Bank of Scotland (RBS) et,
à tout seigneur tout honneur, la Banque des règlements
internationaux (BRI), ont dévoilé des chiffres convergents qui
montrent, en particulier, l’énormité des engagement des banques allemandes, britanniques et
françaises. Un millier de milliards de dollars auraient
été prêtés par ces dernières en Espagne,
Grèce, Portugal et Irlande, non compte-tenu de tous les prêts
effectués à ceux-ci par un système bancaire
européen qui compte un millier d’établissements.
Les marchés, qui sont bien placés pour
le savoir, n’ignorent pas par ailleurs que le système bancaire
européen est loin d’avoir purgé ses bilans des actifs
toxiques résultant du démarrage de la crise financière
aux Etats-Unis.
Deux
constatations sont tardivement faites à propos du système
bancaire européen. Il se révèle extrêmement
interconnecté, pris dans des rapports qui ne peuvent
qu’évoquer une dangereuse consanguinité, et donc
globalement très sensible aux crises nationales. Tous les indicateurs
sonnent par ailleurs en même temps l’alarme, annonciateurs de la
montée des périls. Chaque jour plus fréquentés,
les facilités de dépôt de la BCE, sont tous les soirs un
havre pour les liquidités bancaires, le pire des signaux possibles. Il
est également à noter que les compagnies d’assurance, qui
semblaient étonnement épargnées, en viennent à
manifester à leur tour des accès de faiblesse. C’est le
cas d’Axa, qui a annoncé vendre des actifs britanniques
auparavant considérés comme stratégiques, afin de
se renflouer.
La
glissade engagée avec la Grèce se poursuit donc en Europe, dans
la crainte qu’elle finisse par devenir incontrôlée. Mais
la riposte engagée par les gouvernements continue de ne pas être
à la hauteur des enjeux et à se tromper de cible.
Le
gouvernement italien vient à ce propos de briser un tabou, que la
crise espagnole rendait de toute façon de plus en plus impossible
à respecter. Dans le cadre de la préparation du sommet
européen de jeudi, Franco Frattini, ministre
des affaires étrangères, vient de déclarer que
« L’Italie est prête à refuser de donner son
accord (au texte de la déclaration finale) s’il n’y a pas
une référence à la dette globale, pas seulement à
la dette publique, mais aussi à la dette privée ».
« Ne parler que de la dette publique reviendrait à se
priver de nombreux éléments qui devraient renforcer cette
stratégie », a-t-il ajouté. Contrairement à l’Espagne,
l’Italie a en effet une dette privée relativement contenue,
alors que sa dette publique est parmi les plus élevées
d’Europe, 115,8% du PIB.
A
ce sujet, la grande question des stress tests des banques continue
d’agiter le monde de la finance. Josef Ackerman,
P-DG de la Deutsche Bank, vient de déclarer qu’il serait
extrêmement dangereux de rendre public leurs résultats. Et pour
cause ! Ce n’est en effet pas uniquement par respect au culte du
silence qui prévaut hors du sérail dans le monde financier que
celui-ci est réclamé. Rien qu’en Allemagne, le
réseau des banques régionales (des Länder) continue
d’être très atteint en raison de sa détention en
grande quantité d’actifs toujours en attente d’être
dévalorisés.
Quand,
par ailleurs, la Société Générale
française annonce que son plan stratégique, intitulé en
toute modestie « Ambition », vise les 6 milliards
d’euros de bénéfice net en 2012, doublant son objectif
2010, et que parallèlement les actifs gérés en
extinction (c’est à dire invendables) n’auront un
impact que de 0,7 à 1 milliard sur le résultat net en 2010, on
est en droit de s’interroger sur la valeur de ces projections. Surtout
quand il est précisé par la banque que la taille de ce
portefeuille d’actifs toxiques sera réduite d’uniquement
60%, et ce d’ici seulement 2015.
Enfin,
il ne peut être mis entre parenthèses dans
l’évaluation de la situation des banques qu’elles seraient
bien en peine de lever sur les marchés les capitaux que
nécessiterait la reconstitution de leurs fonds propres, si les stress
tests devait en révéler la nécessité.
Frilosité des investisseurs oblige, qui constatent la
dégringolade des valeurs financières intervenue en Bourse ces
derniers temps.
Sur
le devant de la scène, nous assistons pendant ce temps-là
à de bien curieux spectacles. En premier lieu celui de l’aveugle
qui à Berlin a soutenu la paralytique, la principale
préoccupation de Nicolas Sarkozy et d’Angela Merkel
semblant être de camoufler à tout prix leurs désaccords
et non de rechercher une issue convaincante à la crise
européenne. Se concentrant sur les compromis qu’ils peuvent
passer, tout en évacuant ce qui reste irréductible et qui est
l’essentiel.
Mettant
en avant à peu de frais un accord à propos de la taxation des
banques et des transactions financières – dont ils savent
pertinemment qu’il sera retoqué à Toronto lors du G20
– ils se réfugient derrière une gouvernance
économique de l’Union européenne, qui a pourtant fait
dans la dernière période la preuve flagrante de sa paralysie,
sinon de son inanité. Une capitulation sans gloire de Nicolas Sarkozy,
dont on se demande si la contrepartie obtenue ne serait pas une certaine
mansuétude allemande à propos des mesures
d’austérité floues qu’il a fait annoncer par son premier
ministre. L’heure est aux effets d’annonce, une fois de plus.
En
alternance, un autre spectacle nous est présenté par la
commission de Bruxelles, qui annonce le lancement d’une consultation
publique. L’idée est que, « en cas de
développements négatifs qui constituent une menace
sérieuse pour la stabilité financière ou pour la
confiance du marché envers un pays membre ou l’UE »,
les autorités nationales pourraient de manière temporaire
« interdire ou imposer des conditions » pour les ventes
à découvert et les transactions sur les CDS. Afin de diminuer
encore la portée de cette éventuelle mesure, il est
proposé de donner un rôle de coordination à la future
autorité européenne chargée de superviser les
marchés financiers (ESMA), qui est censée être
constituée l’année prochaine, afin qu’elle donne
son avis à ces mesures qui seraient limitées à trois
mois dans tous les cas. Encore un effort !
En
retard d’une crise, Herman Van Rompuy, le
président de l’Union européenne, a mis en cause les
« excès d’indulgence » qui ont
prévalu durant les onze premières années
d’existence de l’euro, dans un entretien au Financial Times.
« Cela a fait l’effet d’un somnifère. On ne
s’est pas rendu compte des problèmes sous-jacents »,
a-t-il estimé, voulant évoquer par là les
facilités que la monnaie unique avaient offertes aux Etats sur le
marché obligataire, oubliant ou ne voulant pas voir le reste du
panorama, du côté du privé, comme s’il portait des oeillères. Il regrette maintenant que les
marchés « surréagissent »,
selon lui, exprimant non sans naïveté la position des hommes
politiques qui se sentent dépassés ou trahis par ceux-ci et qui
voudraient les punir, mais tout de même pas trop
sévèrement. Se raccrochant à des valeurs sures,
comme l’austérité, ne se rendant pas compte, tout
à leur stratégie d’occupation du terrain, qu’ils
appuient eux-mêmes ainsi sur la détente du mécanisme
auquel ils ne savent pas ou ne veulent pas faire face.
Récitant
sa leçon afin de justifier cette stratégie reposant sur le
miracle annoncé de la réduction des déficits publics,
Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, estime qu’il faut
aller jusqu’à l’équilibre. Le déficit
zéro, si on le prend au pied de la lettre. Car sinon, « on
ne ramènera pas la confiance chez les entreprises et les
particuliers ». Et, « si on ne ramène pas la
confiance, on ne réussira pas a retrouver une croissance
solide ». A ce niveau pénétrant d’analyse, les
esprits se figent, les corps se tendent.
Un
rapport de l’OCDE et la Cnuced (ONU), qui
vient d’être publié, pourrait s’il en était
tenu compte remettre les idées en place. Analysant les
politiques anti-crise des gouvernements du
G20, il estime que, « en date du 20 mai, le montant total des
engagements publics – à travers des actions, des prêts et
des garanties – dépassait les mille milliards de dollars »,
précise-t-elle. On est loin devant du montant des aides directes aux
banques, dont le remboursement – quand il est intervenu – sert de
prétexte à leur donner quitus.
Aujoud’hui pas encore
entreprise, la digestion de ces mille milliards en est au stade des voeux pieux. Pour accompagner celle de la bulle
privée, qui n’est qu’en cours et plus douloureuse que
prévue. Les placards sont pleins d’actifs dont on ne sait pas
quoi faire, car ils empoisonneraient l’air libre s’ils en
étaient sortis. On les trouve dans les banques centrales, les banques
et compagnies d’assurance ou encore chez Fannie Mae et Freddie Mac, aux
Etats-Unis.
Un
nouveau tour de passe-passe va-t-il être trouvé pour gagner du
temps, tel un accommodement de plus avec le Seigneur ? Ou bien faudra-t-il,
dans la douleur, se résoudre à un jour entrouvrir ces portes
pour tenter de sauver le grand malade qu’est le capitalisme financier
en le réformant profondément ? Ou bien encore, celui-ci, faute
de s’y résoudre ne va-t-il pas continuer à imploser, nous
gardant en otage ?
Il
restera toujours une autre issue : tourner la page !
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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