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C’est la routine, les
valeurs financières chutent à nouveau en bourse,
entraînant les indices ! Ne tenant aucun compte que le gouvernement
grec a plié devant les injonctions transmises par la Troïka.
Car les marchés sont effrayés par la situation
économique mondiale, évoquée avant-hier par le FMI puis
hier par la Fed, et les menaces qui planent sur le système bancaire.
L’heure est sombre.
A Athènes, il
fallait faire un exemple. Ce ne sont ni les armateurs, ni l’Eglise
orthodoxe, ni les militaires qui vont en faire les frais, mais en
priorité les retraités et les nouveaux contribuables, en raison
de l’abaissement du seuil minimum d’imposition (à 5.000
euros annuels). Parmi les masques que les comédiens de la Grèce
antique portaient lors des représentations théâtrales,
celui de la tragédie s’impose.
Dans le même temps,
jouant le rôle qu’on lui attribuait alors en expliquant
l’action, un chœur se renforce qui entonne l’air de la
recapitalisation des banques. Après le FMI, l’OCDE et la
Commission, le Comité européen des risques systémiques
(CERS) – cet organisme présidé par Jean-Claude Trichet et
qui regroupe les représentants des 27 banques centrales – ne
pouvait pas être en reste. Pas plus que Michel Barnier, le commissaire
chargé des services financiers. Ou Frédéric Oudéa, s’exprimant en tant que
président de la Fédération bancaire française
(FBF), qui installe une nouvelle ligne de défense en réfutant
l’idée que toutes les banques devraient renforcer leurs fonds
propres. Il affirme que « ce n’est pas le cas de la
majorité des banques européennes, ni des banques
françaises en particulier », ouvrant néanmoins une porte
que Valérie Pécresse, ministre
française du budget, tient obstinément close.
La discussion a évolué
et porte désormais sur deux sujets : quelles banques vont devoir y
passer et quelle seront les modalités de leur recapitalisation ?
« L’époque s’achève où l’on
devait renflouer les banques grâce aux contribuables » a
prédit Michel Barnier, voulant dire que l’on n’y coupera
pas encore une fois, puisqu’elle n’est qu’en train de se
terminer…. José Almunia, qui propose
de proroger les règles communautaires permettant aux Etats
d’aider les banques, assortit cette mesure de la restriction selon
laquelle cela ne devrait intervenir « qu’en dernier recours
». Beaucoup de précautions de langage qui illustrent le
caractère politiquement sensible dans l’opinion du sujet !
Ainsi que le FMI qui
l’affirme, et le CERS qui l’évoque, c’est le Fonds
de stabilité (FSFE) qui pourrait être mis à contribution,
une fois ses missions élargies ratifiées. Probablement en
achetant les titres émis par les banques, afin d’éviter
tout apport en capital. Car il est déjà acquis que les
actionnaires ne seront pas mis à contribution. L’envoi en
mission dans le Golfe de Jacques de La Rosière – ancien
directeur général du FMI reconverti dans le conseil à la
BNP Paribas – rappelle à cet égard le
précédent épisode engagé par Barclays, qui
s’est renflouée ainsi pour être en mesure de ne pas recevoir
une infamante aide publique. Même s’il est affirmé par la
banque qu’il s’agit d’une visite de pure routine.
Olivier Blanchard,
l’économiste en chef du FMI, n’a pas hésité
de son côté à préconiser une prise de
participation des Etats, éventualité qui impliquerait un
débat sur les contre-parties ! Il voit en
effet dans la situation actuelle un danger, en ce sens que les banques
pourraient tenter de recourir à d’autres options qui impliquent
de diminuer leurs en-cours de prêts, alors
qu’il estime indispensable de soutenir la croissance… Baudoin Prot, directeur général de BNP Paribas, lui
donne involontairement raison en réaffirmant dans Les Echos que sa
stratégie repose sur « un double effort de mise en
réserve des bénéfices et de réduction de la
taille de bilan ». Comment procède-t-on, en effet, à une
telle réduction ? en cédant des actifs et en diminuant le
crédit !
Mais cette situation
témoigne d’un paradoxe. Pourquoi, si le spectre d’un
défaut grec est repoussé, permettant de lui prêter 8
milliards d’euros supplémentaires, est-il nécessaire de
renforcer les banques ? La réponse a été fournie par
Baudoin Prot, directeur général de
BNP Paribas, qui vient d’admettre comme si de rien n’était
que « s’il devait y avoir un effort de l’ensemble des
investisseurs privés [pour la Grèce] je dirais que nous y
sommes prêts. » Une déclaration à double effet,
à la fois reconnaissance qu’une décote
supplémentaire de la dette grecque est dans les tuyaux, et contre-feu
pour prévenir une extension de l’incendie à
l’Italie, étant donné la gigantesque exposition de la BNP
Paribas à sa dette.
La recapitalisation des
banques européennes répond donc à la
nécessité de les renforcer pour ensuite procéder
à la suite de la restructuration de la dette souveraine qui a
été engagée avec la Grèce, et qui est
destinée à être poursuivie. La liste des banques devant y
procéder dépendant de l’analyse des risques à
venir, des pays qui pourraient fauter. On se souvient que si 9 banques avaient
échoué aux derniers stress tests, 16 n’en étaient pas
loin. Elles sont aujourd’hui des victimes toutes
désignées à ceci près que les tests n’ont
pas pris en compte ce qui aurait du
l’être et se trouve aujourd’hui menacer les banques : leur
exposition aux obligations souveraines. Mais cela permet
d’écarter les banques françaises, qui ne figurent sur
aucune de ces deux listes, de la nécessité de se
renforcer…
En dépit de cet
escamotage, nous assistons à pour le moins une inflexion de la
politique suivie jusqu’alors, inévitable puisqu’il
n’y avait plus d’autre choix que prendre les devants et tenter de
restructurer dans l’ordre ou subir un ou plusieurs défauts dans
le désordre.
Est-ce à dire que,
comme les euro-obligations sont présentées pouvoir le faire, ce
nouveau mécanisme va désormais tout régler ? Cela serait
pour le moins aventureux de l’affirmer, en particulier si l’on
considère les cas de l’Espagne et de l’Italie, dont
l’accès au marché obligataire est de plus en plus
onéreux et les besoins de roulement de leur dette très
élevés (la dette italienne est de 1.200 milliards
d’euros). Cela nécessitera à un moment – qui ne
pourra pas être éternellement reculé – qu’ils
soient à leur tour assistés, comme le sont déjà
la Grèce, l’Irlande et le Portugal. Ce dont le FSFE n’a
pas les moyens. La dégradation par Moody’s de la note des
banques italiennes, dans la logique de celle qui est intervenue pour
l’Etat – car elles sont gavées de dettes publiques –
résonne comme un signal d’alarme.
La dette est publique et
privée, elle réclame de tous côtés des
financements publics. Le seul calcul intéressant est de
déterminer ce qui à l’arrivée coûterait le
moins cher, tout en permettant de stabiliser la situation : renflouer les
banques ou les Etats, ou un mélange des deux ? Placées devant
cette équation, les autorités européennes continuent
toutefois d’en esquiver la résolution. Car cela supposerait de
fait de nationaliser une grande partie du système bancaire
européen…
Mais plus le temps passe,
plus les additions s’alourdissent. Pedro Passos
Coelho, le premier ministre portugais vient de se rappeler au bon souvenir de
ses confrères, évoquant le besoin éventuel d’une
nouvelle aide financière, qui pourrait aussi concerner
l’Irlande, « dans un scénario de défaut de la Grèce
».
Un autre chœur est
remonté sur scène, celui des banques centrales, mais il
continue à être dissonant. Tandis que la Fed va s’essayer
à un nouveau round de quantitative easing
déguisé et affadi, sous le nom de code de twist qui fait
jaser, la Banque d’Angleterre annonce qu’elle pourrait bien
s’y remettre et la BCE projette plus modestement d’assouplir les
conditions d’éligibilité des actifs que les banques
doivent mettre en pension pour bénéficier de liquidités.
Les banques centrales ne sont décidément pas les sauveurs
espérés. Peut-on vraiment croire, dans ces conditions, que le
prochain G20 de novembre le sera ?
Les banques centrales
– on l’a dit – ne disposent pas des instruments
adéquats. Ni pour contribuer à une relance de la croissance,
comme la démonstration en été clairement faite aux
Etats-Unis, ni pour résoudre les problèmes de
solvabilité des banques, les alimenter en liquidités se
résumant à faire durer le plaisir. Les Etats ne sont plus en
mesure de financer une relance, dont on se demande d’ailleurs
d’où elle pourrait provenir. Aux Etats-Unis, il est
désormais reconnu que les ménages ne sont pas en mesure
de relancer la consommation, clé de la croissance. En Europe, ils sont
pris à leur propre piège, sous l’impulsion d’une
Allemagne dont les perspectives de croissance diminuent fortement.
Dans le cadre conceptuel
qui reste en vigueur, il n’y a pas d’issue. Mais est-ce bien une
bataille d’idées ?
Billet rédigé par
François Leclerc
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