En matière de politique
étrangère, François Hollande est susceptible de
différer de Nicolas Sarkozy en style et en ton, mais pas en substance.
L'utilisation de la force contre le régime violent
syrien a été évoquée, mais aucune
opération militaire n’est susceptible d'être lancée
sans prendre en considération les intérêts de la Chine et
de la Russie dans la région.
L'approche multilatérale sera probablement l’angle
d’attaque à laquelle Paris se tiendra au cours du mandat du
Président nouvellement élu.
Mais une erreur multilatérale reste une
erreur. On peut compter au moins trois raisons importantes pour que la France
reste en dehors de Syrie.
Un manque de
vision, de leadership et d’argent
La France n'a pas eu de débat public substantiel
en matière de politique étrangère depuis la fin de la
guerre froide. Il n'existe pas de matrice décisionnelle qui pourrait
aider à estimer à quel moment l'État devrait
s'abstenir de, ou au contraire, devrait envisager d’entrer en guerre.
Le point de basculement est indéfini, les principes retenus ne sont
pas établis, les objectifs sont inconnus.
Pire, ils ne sont pas débattus publiquement
lors des élections présidentielles. Il y a une bonne raison
à cela : les électeurs français ne se soucient pas de
politique étrangère. Un sondage réalisé par Ipsos
pour Fondapol souligne que seulement 36% de
l'électorat pense que Hollande peut gérer une crise internationale,
qu’elle soit diplomatique ou militaire (61% pour l’erratique Sarkozy).
L’aventurisme militaire ne fait clairement pas partie du mandat électoral
donné au nouveau Président.
Ces mêmes sondages soulignent que celui-ci a
été élu pour s'attaquer aux problèmes domestiques
: la situation économique problématique, la dette publique, le chômage,
la situation des retraites et du système défaillant de
sécurité sociale, etc.
L'électorat français a raison de
s'inquiéter au sujet de la situation économique
intérieure : les caisses de l'État sont vides
au moment où il se trouve au milieu d'une crise de la dette publique
européenne.
Il ploie sous le fardeau d’une dette publique égale
à 86% du PIB d’un pays qui n’a pas vu de budget public en équilibre
depuis 1974. L’État français a également le ratio le
plus élevé de dépenses publiques de la zone euro : 57%
de sa production économique passe entre les mains de l’État et
26% de la population active est fonctionnaire - par rapport à 10% en
Allemagne.
Pourtant, ni réduction des dépenses
publiques, ni réforme du « marché »
du travail, ni libéralisation des secteurs étouffés ne
sont à l’ordre du jour.
Résumons. L'État
français n'a pas de stratégie claire ou de principes apparents en
matière de politique étrangère et d'engagement
militaire ; le nouveau président n'a pas été
élu pour mener une guerre, mais pour se concentrer sur les
problèmes intérieurs ; l'État, croulant
sous son endettement public, n’a pas les moyens de financer une guerre.
Comment perdre
une guerre
Même si l'État
français pouvait penser, mener et financer une guerre contre le
régime syrien, les expériences militaires de grands acteurs internationaux
- dont les États-Unis - montrent qu'une victoire militaire dans la
région est difficile à obtenir et qu'elle ne mène pas
nécessairement à la stabilité du pays concerné.
La Syrie est un pays très complexe.
L'opposition au régime est fragmentée entre le Comité
National de Coordination (CNC), qui veut partager le pouvoir avec le
régime actuel, le Conseil National Syrien (CNS) en exil qui rejette
tout compromis avec lui, l’Armée de Libération Syrienne (ALS),
désorganisée, qui semble vouloir coopérer avec le CNS,
les Frères musulmans qui préfèrent que ce soit la
Turquie qui intervienne, les Kurdes syriens qui rejettent cette option, etc. La loyauté politique de la
population va à différents acteurs en fonction de leur
religion, de leur secte, de leur appartenance ethnique et clanique.
En raison de l'absence des blocs constitutifs de la
démocratie libérale dans le pays, tant au sein du régime
que de l’opposition, les voies de sorties les plus probables pour le
pays ne brillent pas par leur respect de l’état de droit : théocratie,
guerre civile ou autocratie.
Une aide de l’État
français aux rebelles ne ferait que légitimer le discours du régime
syrien selon lequel la révolte en cours est le résultat
d’un complot de puissances étrangères dont les États-Unis,
Israël et les États du Golfe. Elle pourrait également pousser
l’élite sunnite de Damas à se rallier autour
d’Assad, manquant ainsi d’affaiblir les soutiens au
régime.
Armer les rebelles ou bombarder les forces du
régime contribuera à aggraver la situation sans être un
moyen de parvenir à un état final pacifique.
Une intervention militaire dans un pays
étranger déclenche toujours une cascade de conséquences
imprévues et la menace d'un retour de bâton contre la population
civile en Syrie et en France est réelle.
Outre le fait qu’une nouvelle opération
militaire se traduirait mécaniquement par un adieu à tout
espoir de rigueur budgétaire, les guerres étrangères
sont toujours un bon moyen pour les gouvernements nationaux de fouler aux
pieds leur Constitution et les libertés civiles de leurs citoyens.
Quelques-unes des dernières interventions
étrangères américaines se sont mal
clôturées, humainement et financièrement, et elles ont
aussi portées atteinte à leur autorité morale tout en
n’atteignant pas les objectifs souhaités. N’y a-t-il pas
eu assez d’échecs de la politique étrangère
américaine pour que nous voulions tenter d’en faire à
notre tour ?
Paris devrait reconnaître les limites de son
autorité et de ses ressources et cesser de s’engager en des
guerres inutiles comme en Syrie.
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