Des années durant, nous avons pu
observer sans trop d’efforts une tempête politique se lever sur l’Europe,
avec ses coalitions et ses anciennes rancœurs. Le papa de Marine Le Pen, le
très sévère Jean-Marie, était au centre de la scène politique en France des
décennies avant que Donald Trump ne connaisse ses jours de gloire sur le
nuage toxique de ce qu’il reste de la culture américaine, acclamé par des
anges aux visages de Kardashian et leurs chérubins Honey Boo Boo.
Malgré les contraintes de la vie
américaine, le système bipartite a jusqu’à présent semblé aussi solide que
les tours de granite du pont de Brooklyn. Même le très estimable Teddy
Roosevelt n’a pas pu faire sauter le système en 1912 – bien que son Parti
progressiste se soit développé en Californie, en Pennsylvanie et dans le
Minnesota, et qu’il soit passé dans les sondages loin devant le président
républicain sortant, Taft, ce dernier n’ayant récolté que huit votes
électoraux (c’est Woodrow Wilson qui a remporté les élections). Ross Perot a
eu un impact plus important en 1992 – il a certainement eu raison quant à
NAFTA et au bruit assourdissant de l’aspirateur géant qui commençait déjà à
sucer les emplois hors des Etats-Unis. Mais ses manières ne sont pas allées
en sa faveur. Il a fini par perdre son calme et se retirer des élections
générales à un moment critique, simplement pour réintégrer le jeu quelques
semaines plus tard. Et puis il y a eu Ralph Nader en 2000, dont la croisade
égoïste a sans aucun doute propulsé George W. Busg à la Maison blanche.
Depuis lors, le pays a fait des
va-et-vient entre les garçons de course des deux partis majeurs du Deep
State, pour les placer dans une position si délicate que Trump connaît
maintenant la gloire sur leurs cendres méphitiques. Mais qu’est-ce exactement
que ce Deep State ? Réponse : un Léviathan de rackets symboliques
produisant une incompétence maximale qui affecte une majorité des citoyens.
Une bête suceuse de sang aux centaines de milliers de têtes, qui vident les
Etats-Unis de leur vitalité, mentent quant à leurs intentions tout en
avançant les certitudes pieuses de la gauche et les superstitions de la
droite, ne laissant au milieu qu’un trou fumant là où les problèmes de la vie
de tous les jours étaient autrefois résolus aux moyens de solutions
pratiques.
Le Deep State, c’est aussi la
somme des conséquences inattendues d’une économie techno-industrielle
bureaucratique en phase terminale, qui s’auto-ingère pour pouvoir rester en
vie. L’une des conclusions évidentes à en tirer est que cette économie devra
changer avant qu’il n’en reste plus rien et qu’aucun personnage politique ne
puisse encore entrer en scène, pas même Trump ou Bernie Sanders, pour nous
dire où tout cela nous mènera. Les deux ne font aujourd’hui encore qu’imaginer
que la machine continuera de tourner et que toujours plus de richesses matérielles
pourront être distribuées… différemment peut-être. La vérité, c’est qu’il
existera bientôt bien moins de ces richesses matérielles auxquelles nous
sommes habitués, et une représentation bien moindre de ce que nous appelons
monnaie. Le paysage qui se dévoile aujourd’hui sous nos yeux n’est qu’un
spectacle de gros rats se goinfrant des restants d’un banquet servi il y a
plus de 200 ans.
Hillary Clinton est bien entendu
l’incarnation du Deep State, ce qui est la véritable raison pour laquelle si peu
de citoyens lui font confiance. Chaque pauvre âme réduite à débourser 90.000
dollars pour une appendicectomie regarde Hollary et comprend exactement ce
qu’elle représente. Chaque chômeur de 25 ans d’âge, chaque jeune endetté
jusqu’au cou par ses frais d’université et forcé à crécher sur le canapé d’un
ami, sait percevoir le visage du Deep State dans son demi-sourire. Elle a
nourri les proxénètes de la diversité, mais aussi les femmes. Parce que c’est
au tour de maman de prendre les rênes. L’écrivain, financier et loup
solitaire du Deep State, Jim Rickards, ne cesse plus de nous dire que l’once
Joe Biden sera nommé candidat démocrate (il l’a encore dit sur Twitter
l’autre jour). C’est à se demander ce qu’il sait vraiment. Ne supposez pas
que Joe Biden soit le preux chevalier que nous attendions tous. Après tout,
il est le vice-président du Deep State.
Les électeurs sont attirés par
Trump parce qu’il ne semble plus pouvoir attendre de montrer son majeur au
Deep State. Et ce dernier le mérite, mais a aussi besoin d’être désassemblé
prudemment sans quoi ce qu’il reste de notre pays pourrait imploser. Trump a
déjà commencé à déstabiliser le parti républicain. Autant de membres du parti
ne s’étaient encore jamais désassociés d’un candidat de leur propre camp. Je
m’attends à ce que d’extrêmes mesures soient prises contre lui par les
mandarins du parti au cours des deux mois qui précèderont la convention. Je
doute que vous en entendiez parler avant qu’elles aient eu lieu.
Dans de telles circonstances, le
comportement de Trump ne semble que plus enfantin encore. Son discours après
les primaires dans l’Indiana était un chef d’œuvre d’incohérence. Tout ce qui
reflétait la magnificence de sa victoire était « incroyable ».
C’était là, je dois l’avouer, le mot à choisir. Il est parfaitement en
harmonie avec la dépression nerveuse qui se fait ressentir aujourd’hui. De
temps à autres, lorsqu’il ne parle pas, les yeux vides, de l’amour que lui
portent les gens, Trump émet des propos légitimes aux yeux des victimes du
Deep State. Il n’existe plus que très peu d’emplois hors du racket du Deep
State. Nous ne sommes pas obligés d’accepter un flux infini d’immigrants. La
construction de notre nation au travers de l’industrie militaire a été un
échec flagrant. La dette nationale est un problème de taille. Les
infrastructures nationales sont décrépies. Trump dit pouvoir régler tout
cela. Il est le roi de la négociation et des affaires. Mais jeter de la
poudre aux yeux du Deep State n’est pas une solution.
La tragédie dans tout cela, c’est
qu’aucun personnage adulte et sérieux ne se soit mis en avant tout au long de
cet épisode si dangereux de l’Histoire. Le parti que Trump dit représenter s’est
perdu dans la jungle de l’extorsion, du chauvinisme et du surnaturel mesquin.
Le parti démocrate surfe quant à lui sur la vague de la diversité et de l’inclusion,
sur une politique de bac à sable qui ne fait que corroder ce qui reste des
lambeaux de notre culture commune. Le Deep State d’Hillary n’aurait pas pu
trouver meilleur subterfuge de diversion. Les deux partis sont proches de l’implosion.
Je ne suis pas convaincu qu’ils survivront leurs propres conventions cet été.
Et qu’arriverait-il ensuite ?