Horrible tragédie au Texas où Salvador Ramos, un jeune homme de dix-huit ans, aura choisi d’ouvrir le feu en tuant 19 enfants et 2 professeurs sur place. Une nouvelle fois, l’Amérique est endeuillée par une tuerie de masse.
Le drame a déjà beaucoup d’impact tant il a été relayé par les médias qui s’épanchent sur sa chronologie des deux côtés de l’Atlantique et ce d’autant plus qu’il aura fallu un temps très long aux forces de police pour agir (plus d’une heure), laissant donc largement le temps aux chaînes d’information en continu d’arriver sur place.
Cet événement tragique intervient alors que se crispent les positions des uns et des autres au sujet de la détention d’armes aux États-Unis. En effet, tout comme l’avortement il y a un mois l’avait fait avec la fuite d’un brouillon sur une remise en question du jugement Roe vs Wade, la détention et le port d’arme est un sujet extrêmement clivant pour les Américains et la médiatisation à outrance de ces deux thèmes, en utilisant l’actualité, sert ici essentiellement l’agenda des politiciens qui récupèrent alors ces affaires aussi vite que possible afin de faire connaître leur plateforme politique et caractériser leurs adversaires, souvent de façon aussi caricaturale que possible.
Cette année est encore plus particulièrement agitée à ce sujet alors qu’aux États-Unis approchent les prochaines élections de mi-mandat dont on murmure avec insistance qu’elles se présentent fort mal pour les Démocrates qui pourraient perdre les deux chambres. C’est donc sans surprise qu’on voit de nouveaux appels fleurir rapidement pour ajouter une nouvelle bordée de lois fédérales contre le port et la détention d’armes à feu.
Peu importe ici que l’enquête concernant le jeune tireur d’Uvalde n’en est qu’à son début, tous les cœurs purs de l’internet se sont donné le mot pour faire savoir, d’une voix unique, que « trop c’est trop » et qu’il faut absolument une nouvelle loi, de nouvelles restrictions, afin que ceci ne se reproduise plus. Et comme le rappelait très utilement Pierre-Guy Veer sur Contrepoints en mars 2021, peu importe aussi que les fusillades interviennent toutes là où la détention et l’usage d’armes sont déjà fortement restreints, voire totalement interdits, comme les écoles, les lieux publics : même si l’interdiction de ces armes n’entraîne pas de diminution des meurtres par arme à feu, il faut interdire, par principe et parce que l’émotion commande de faire quelque chose, envers et contre tout, même (et surtout ?) si c’est inutile voire contre-productif. Par exemple, la détention d’arme est très contrôlée à Chicago mais son taux d’homicide y est bien plus élevé que dans l’Indiana ou le Wisconsin, avec pourtant une législation beaucoup plus souple.
En réalité, cette affaire démontre une nouvelle fois de façon criante que la société occidentale n’est plus celle où l’on pose des principes et des actes sur une base réfléchie, en utilisant la raison et la logique, mais qu’elle est devenue celle où l’émotion règne en maîtresse quasiment incontrôlée. Dès lors, à chaque fait divers, à chaque actualité brûlante il est fait un véritable boulevard aux émotions : tout est fait pour que l’ensemble du troupeau humain communie d’une seule voix et d’un seul mouvement dans la même émotion, qu’on canalisera toujours de la même façon afin, officiellement, de faire disparaître le problème et, plus pragmatiquement, de bénéficier à un groupe qui, lui, ne se départira ni de son sang-froid voire de son cynisme, ni de sa rationalité pour tirer les marrons du feu.
Car l’émotion est mauvaise conseillère : les propositions qui s’imposent comme « solutions » lorsqu’on laisse cette émotion de groupe prendre le pas sur la raison des individus ne sont pas efficaces et sont souvent contre-productives au point de souvent nourrir la cause même qu’elles entendent combattre.
Interdire les armes à feu n’a jamais résolu le moindre problème de fusillade, à part désarmer tout citoyen capable d’agir contre la force qui lui est opposée. Même si l’émotion laisse croire le contraire, même si certains politiciens le répètent (car un mensonge suffisamment répété devient une évidence), même si des soi-disant contre-exemples sont régulièrement exhibés alors qu’ils ne changent pourtant rien aux faits, il n’y a statistiquement aucun lien entre nombre d’armes à feu par habitant et homicides.
Mais l’émotion commande et il en va de même pour d’autres sujets : quelle que soit la situation, il faut absolument s’agiter, faire des choses et ce, même si le résultat obtenu est désastreux. Et ce désastre sera même l’occasion de remettre une couche des mêmes agitations et des mêmes non-solutions sur le principe du « si cela n’a pas marché, c’est qu’on n’en a pas fait assez ».
Les exemples récents abondent et ne peuvent que consterner par leur aspect répétitif qui montre que les foules n’apprennent rien ou, plus exactement, qu’on les entretient dans les fausses évidences.
Ainsi, l’émotion qui s’est emparée du monde après les attentats du 11 septembre 2001 a tracé un véritable boulevard pour la décision d’envahir l’Afghanistan en octobre de la même année. 20 ans plus tard, le retrait des troupes américaines laisse un bilan absolument désastreux et seuls ceux qui ont exploité froidement et, pour le coup, avec rationalité, l’émotion du moment s’en sont sorti avec de juteux profits.
Ainsi et plus proche du présent, l’émotion qui a suivi la mort de George Floyd aura été le prétexte à récolter des fonds pour Black Lives Matter, ainsi qu’à des manifestations visant à protester contre un racisme présenté comme systémique. Ces manifestations sont rapidement devenues violentes, entraînant destructions, blessés et morts sur leur passage. Est-il difficile d’imaginer que ces événements ont accru le problème au lieu de le résoudre ? Doit-on oublier que, là encore, certains ont clairement bénéficié – financièrement – de la vague émotionnelle ainsi entretenue ?
Ainsi, l’émotion qui a suivi l’invasion russe de l’Ukraine aura été le prétexte à des sanctions massives contre une Russie largement préparée à les encaisser. Ces sanctions ont depuis montré leur inefficacité : la guerre ne s’est pas arrêtée du tout et Poutine n’a pas été débarqué par son peuple. Pire : l’Europe subit une crise économique et énergétique sans précédent et la monnaie européenne se fait étriller sur les marchés face au dollar… et au rouble.
Ainsi, l’émotion qui s’empare des internautes à chaque fusillade semble dicter des lois toujours plus dures contre les détenteurs d’armes légaux et respectueux des lois, pendant qu’on ne mesure aucune différence de comportement pour ceux qui les enfreignent. Pour rappel, il est parfaitement interdit en France de posséder une Kalachnikov, ce qui n’a empêché aucun des 129 morts et 354 blessés de la tuerie du 13 novembre 2015 à Paris. Du reste, pour ce même pays, la recherche du mot-clé « fusillade » dans Google News permet de se rappeler qu’elles ne sont pas l’apanage du seul Oncle Sam…
On peut multiplier les exemples mais tous pointent dans la même direction : une majeure partie des politiciens et des médias a compris qu’utiliser et attiser les émotions des foules est bien plus rentable électoralement (ou financièrement) que faire appel à la réflexion de chacun. Au bilan, d’émotion en émotion, la société occidentale s’enfonce dans le sentimentalisme et l’irrationnel, perdant un peu plus de libertés et fournissant à chaque étape toujours plus de pouvoirs à ceux qui alimentent cette tendance…