Il faudrait vraiment être très éloigné des petites affaires politiques du pays pour ne pas comprendre qu’il vient de rentrer en période électorale. Et à en juger les accents catastrophés et alarmistes de son premier ministre, la situation, si elle n’est pas complètement désespérée, nécessite un sursaut. Républicain, le sursaut, évidemment !
À deux semaines des élections départementales, et alors même qu’on apprend que plus de la moitié des Français, pas fou, seraient tout disposés à sucrer purement et simplement les conseils généraux, Manuel Valls s’est donc longuement exprimé, et notamment sur le risque de voir le dérapage incontrôlé, l’erreur monumentale, la catastrophe électorale taboue, l’abominable se produire : suite à une abstention massive, le Front National l’emporterait clairement et serait alors au seuil du pouvoir. « Pas en 2022, pas en 2029, mais en 2017 ».
Stupeur, stupéfaction, consternation, hoquets et fausse route avec des gloups et des « Mon Dieu ! » parcourus de « kof kof kof » bien gras : le parti de Marine Le Pen pourrait alors rafler 30% des départements. Et devant pareil désastre, une seule solution : stigmatiser le FN.
Si, pour à peu près tout le reste, faire des amalgames et stigmatiser, c’est particulièrement vilain et provoque généralement un prurit CRANesque ou SOSRacismeux, pour le FN, c’est permis, on a le droit. La démocratie, le vote souverain des électeurs, tout ce fatras encombrant est sans intérêt dès lors qu’il s’agira de faire valoir une réalité évidente : voter pour ces gens-là, c’est mal.
Comme je l’expliquais il y a quelques jours, Sarkozy a bel et bien fait mouche avec sa formule FNPS. Oh, bien sûr, pas auprès des Français qui, pour leur majorité, n’ont pas vraiment compris ou surtout entendu la formule-choc du patron de l’UMP, peu écouté. En revanche, auprès des parlementaires et, plus généralement, des politiciens roués aux petites combinaisons politiques et autres arrangements d’entre-deux-tours, le message est difficilement mieux passé : comme le vote FN et le vote PS sont exactement interchangeables, ne vous attendez pas trop à un soutien, même de loin, de l’UMP en cas de triangulaires.
La réaction du chef de gouvernement est donc logique et teintée de panique drapée dans une grandiloquence parfaitement ridicule mais nécessaire pour marquer les esprits :
« J’ai peur pour mon pays, j’ai peur qu’il se fracasse contre le Front national. »
Moui. Sauf qu’en fait, si le pays se fracasse quelque part, ce ne sera pas possiblement à cause du Front National qui n’a pour le moment pas encore eu le loisir de mettre ses petits doigts boudinés dans le système gouvernemental français. Tout indique plutôt que le Front National apparaît surtout comme une solution de repli pour l’électeur moyen, après qu’il eut constaté l’échec lamentable des politiques niaiseuses et sans courage de Sarkozy, et le bide consternant mais prévisible des bricolages économiques honteux de Hollande. Autrement dit, si le pays semble se diriger vers Le Pen, c’est bel et bien parce que ni Hollande, ni Sarkozy n’ont fait ce pour quoi ils ont été élus (et ce, aussi bêtes furent leurs promesses).
Du reste, lorsqu’on voit le pays merveilleux et fantasmé dans lequel semble vivre le premier ministre, qui déclare que, je cite …
« 2015, c’est le retour de la confiance, sur le plan économique, et donc de la croissance. Ça va mieux dans notre pays »
… on comprend pourquoi les électeurs – ou, du moins, ceux qui se déplacent effectivement pour voter – hésitent à choisir des candidats en pleines expériences canabisées.
Et même si on sait sans mal qu’un pays dirigé par le Front National s’enfoncerait moelleusement dans de nouveaux coussins douillets de socialisme nationaliste, et que ceci le conduirait autant (mais d’une façon différente) à sa perte que l’actuel socialisme hollandiste, on comprend bien que la petite phrase de Manuel Valls veut surtout camoufler que ce qui va se fracasser assez durement, c’est le Parti Socialiste lui-même qui promet de se prendre une branlée de magnitude 9 aux prochaines élections. En clair, Valls a surtout peur que son pays choisisse de se fracasser sans le Parti Socialiste.
Moyennant quoi, il lui faut donc faire peur et occuper la place médiatique. C’est assez réussi si l’on s’en tient aux nombreuses réactions journalistiques. Maintenant, on doit se demander pourquoi, d’un coup, le premier ministre s’est ainsi laissé aller à un tel vague à l’âme tragique.
Peut-être est-ce parce que, même s’il se défend ouvertement de penser à sauver ses miches, son poste est menacé (une rouste aux élections pourrait éventuellement justifier un remaniement) ; il faut donc donner le change et montrer à tous que lui, il agit, concrètement, tous les jours, avec des petits coups de mentons fermes, pour lutter contre l’hydre méchante incarnée par les partis pas comme il faut. Peut-être…
Peut-être ensuite parce que ça permet de désigner une cible facile, le retour des HLPSDNH (heures les plus sombres de notre histoire) et tout le tralala de la dramaturgie républicaine habituelle. Cela a de bonne chance de se retourner contre lui, comme s’est retournée l’affaire Dieudonné où le ministre est essentiellement passé pour un petit dictateur faisant feu de tout bois pour faire taire un type qu’il n’aime pas, et dont les expressions (au premier rang desquelles, la fameuse quenelle), l’avait ridiculisé. Peut-être.
Mais surtout, cela permet de préparer le terrain sur le mode larmoyant, trémolo déployé, d’une absolue nécessité de faire barrage à l’impensable. Bien sûr, le Parti Socialiste va probablement se faire déboîter la mâchoire par le Front National. Mais si des triangulaires se présentent pour lesquelles l’UMP est en position d’arbitre, il sera de son devoir républicain le plus indispensable de se démettre très vite pour donner une chance au parti de Manuel Valls de l’emporter et éviter ainsi l’infamie à tout le pays.
Autrement dit, Valls, en service commandé d’un PS aux abois, essaie de faire passer un message simple : si l’UMP ne joue pas la vieille rengaine du Front Républicain dont Sarkozy semble avoir fait le deuil avec sa petite phrase sur le FNPS, alors la gauche se fera un plaisir et un devoir de lâcher toute la meute médiatique sur le mode « si le fascisme est à nos portes, c’est parce que vous avez laissé faire ».
Et tout comme la petite phrase de Sarkozy ne s’adressait pas aux électeurs mais aux politicards habitués des jeux d’alliance et de chaises musicales, les tirades de Valls, sous couvert de secouer l’opinion publique devant l’horreur de la situation potentielle, sont destinées à l’autre aile socialiste de l’assemblée, l’UMP.
Parce que, vous comprenez, la démocratie, c’est très joli tout ça, mais ça doit rester dans un cadre connu et contrôlable. Et dans ce cadre, l’alternance ne peut souffrir le moindre hoquet !
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