C’est
une histoire vieille comme le monde. De la Rome impériale au Venezuela
d’Hugo Chavez en passant par l’épisode épique de la
République de Weimar, c’est l’histoire d’un
gouvernement endetté qui n’ose pas lever de nouveaux
impôts mais qui dispose d’un monopole monétaire.
Quand
l’Etat croule sous les dettes – à cause d’une guerre
ou de politiques économiques ineptes – la solution naturelle
consiste à augmenter l’impôt. Mais cette option présente
un grand inconvénient : elle est extrêmement impopulaire et
ce, en particulier quand le peuple étouffe déjà sous le
poids des prélèvements obligatoires. Même le maître
de Rome, pourtant peu sensible à la pression des prochaines
échéances électorales, hésitait à y
recourir. Pour éviter d’avoir à affronter l’ire
populaire, de nombreux princes [1] eurent recours à
l’expropriation – l’émission des assignats
était garantie par les biens confisqués à l’Eglise
– ou tout simplement à l’élimination physique des
créanciers – option choisie par Philippe le Bel pour éviter
de rembourser ses banquiers Templiers.
Une
autre possibilité, qui relève tout autant du vol mais
présente l’avantage de revêtir l’apparence
d’une certaine forme de légalité, consiste à
refuser unilatéralement de rembourser ses dettes. On parle alors
d’un défaut de paiement. Il est de bon ton, de nos jours, de
fustiger le diktat des marchés financiers qui imposent
l’austérité à nos gouvernements. C’est bien
sûr une fumisterie pure et simple : si vous deviez un jour
décider de ne pas rembourser votre crédit immobilier, on vous
enverrait la police. Mais si le débiteur indélicat est un
gouvernement, non seulement il n’enverra pas sa propre police
récupérer les fonds qu’il doit mais de plus, les
éventuels créanciers mécontents ont les meilleures
raisons du monde de se montrer discrets : un Etat n’a pas
seulement une police, il a aussi une armée.
Mais
dans un monde où tout se sait, un gouvernement qui pratique
ostensiblement le vol ou le meurtre pour annuler sa dette peine à
inspirer confiance à ses éventuels créanciers.
C’est ici qu’intervient la planche à billets qui est
à la fiscalité ce que les armes bactériologiques sont
à la guerre : la solution la plus radicale et la plus
discrète qui soit.
Pour
que le système fonctionne, vous avez besoin de deux dispositifs
légaux. Le premier accorde le monopole d’émission de
billets de banques à une banque centrale et interdit à
quiconque de lui faire concurrence (article 442-4 du Code pénal
français). Le second dispositif instaure le « cours
légal » de la monnaie gouvernementale ;
c'est-à-dire que vous n’avez pas le droit d’utiliser
d’autre monnaie que celle de l’Etat (article R642-3) et que vous
n’avez pas le droit de refuser cette monnaie en paiement (article R642-2).
Une
fois ces deux conditions préalables remplies, le prince dispose
potentiellement de deux méthodes : la première, assez
grossière, consiste à financer directement la dépense
publique par la planche à billets ; la seconde, plus
élégante, vise à dévaluer la monnaie afin de
réduire la valeur réelle de sa dette [2]. Dans un cas comme
dans l’autre, l’Etat peut donc se sortir des situations
financières les plus épineuses en dévaluant la monnaie, c'est-à-dire
en créant de l’inflation.
L’usage
de l’inflation à des fins fiscales offre au moins deux avantages
majeurs : il se passe volontiers de tout contrôle parlementaire
[3] et surtout, il ne se matérialise pour le contribuable que par une
hausse continue et généralisées des prix. Cette
deuxième caractéristique est particulièrement
appréciable dans la mesure où elle permet d’accuser les
marchands, les banquiers, les riches, les juifs, les monarchistes, le
clergé, les propriétaires terriens… bref, à peu
près n’importe qui à l’exception notable du
véritable coupable qui se trouve d’ailleurs être le
premier accusateur [4].
Le
prince peut alors imposer un contrôle des prix destiné à
lutter contre « la rapacité des
spéculateurs » ; s’en suivent invariablement des
pénuries de plus en plus sévères qui donnent elles-mêmes
lieu à une corruption généralisée des
fonctionnaires chargés de les gérer. Le peuple furieux
réclame une reprise en main de l’économie et cherche un
homme providentiel pour remettre de l’ordre dans le pays. La suite,
vous la connaissez : il suffit d’ouvrir un livre d’histoire.
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[1]
En application du précepte Shadock qui veut que pour qu’il y ait
le moins de mécontents possibles, il faut toujours taper sur les
mêmes.
[2]
L’Etat doit toujours cent millions de livres… mais la valeur de
la livre a été divisée par dix.
[3]
Ou peut, le cas échéant, être habilement masqué
par une politique de soutien aux exportations – i.e. une
« dévaluation compétitive ».
[4]
Pour un exemple contemporain, voir le président
vénézuélien Hugo Chavez.
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