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Un monde fermé ou ouvert

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Paul Jorion.
Published : May 11th, 2010
1114 words - Reading time : 2 - 4 minutes
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Category : Editorials





Ce texte est un « article presslib’ » (*)


La cause est entendue, un peu de temps a été gagné avant la sortie de route. Combien, on ne sait pas. En dépit des mystères dont s’entoure la BCE (ne dévoilant pas le volume de ses achats de dette souveraine) et du calendrier de mise en place des autres mesures décidées dimanche, à l’arraché, par les ministres des finances de l’Union européenne, les marchés, tout à la bonne fortune de leur délestage d’obligations d’Etat, ont brutalement fait volte-face, dès lundi matin. Avec une vigueur telle que cela en a même été jugé inquiétant.

Au cours de la journée, d’autres signaux périphériques montraient cependant qu’il ne s’agit que d’un répit, relativisant le soulagement que l’on voulait faire partager. En annonçant qu’elle se réservait la possibilité de nouveau dégrader la note du Portugal et de la Grèce, l’agence Moody’s décidait sans attendre de prendre date, afin qu’il soit clair que de sérieux doutes existent sur la suite des événements. D’autant que l’OCDE rendait public ses nouvelles prévisions économiques, faisant état d’un « ralentissement de l’activité économique » dans l’ensemble formé par ses trente pays membres, alors que ses estimations précédentes n’étaient pas exactement brillantes. Et que les tensions sur le marché interbancaire subsistaient en contrepoint de l’euphorie boursière.

La précipitation dans laquelle les gouvernements ont bouclé leur plan, en l’espace de trois jours après avoir traîné pendant des mois, n’a pas été non plus particulièrement ressentie comme gage de leur capacité à bien jouer l’épisode suivant de la crise européenne : l’adoption effective de mesures de réduction des déficits budgétaires et de l’endettement, avec des résultats probants dès cette année, pourtant bien entamée. C’est cette mission impossible, vu l’ampleur de la tâche et les contraintes dans lesquelles il faudrait l’exécuter, qui forme désormais la toile de fond sur laquelle va se poursuivre la crise, annonçant son rebondissement tôt ou tard.

Actuellement européenne, elle n’est que la manifestation avancée de ce qui se prépare à l’échelle mondiale. Tout en étant paradoxale, car de tout le monde occidental, les pays européens sont les moins endettés. C’est précisément à ce titre que d’ailleurs elle fait peur, car elle est annonciatrice d’autres désastres potentiels et impasses, en plus grand, qui de jour en jour se rapprochent inéluctablement. Aux Etats-Unis et au Japon, dans des contextes différents mais qui ne les préserveront pas pour autant. Dans l’immédiat, elle pouvait aussi être le facteur déclenchant d’une nouvelle crise du système financier, au départ des banques européennes et atteignant leurs consoeurs américaines, qu’il était nécessaire de tuer dans l’oeuf, ce qui a été pour le moment fait à l’insistante demande de Barack Obama.

Avant même d’envisager ce qui va pouvoir ou pas être fait, en Europe, afin de sortir de cette nasse qui n’est pas encore clairement perçue comme telle par les gouvernements européens, car elle impose des mises en question auxquels ils ne sont pas prêts, un premier constat peut être tracé. Des illusions se sont envolées. Les banques se sont très vite révélées menacées par un nouveau déséquilibre systémique, leur bonne santé retrouvée apparaissant pour l’occasion comme une façade. La BCE, qui avait commencé à relever ses filets de protection, a été dans l’obligation de les réinstaller dans l’urgence. Pis, de nouvelles mesures inédites ont du être prises par celle-ci, l’achat d’obligations d’Etat, accroissant encore son implication dans un sauvetage qui déborde de sa mission. Les Etats, pour leur part, n’ont pas globalement brillé, plutôt dépassés par la situation. Bref, non seulement nous n’avons pas avancé, mais nous avons reculé à nouveau.

Quelles que soient les coutures sous lesquelles on l’examine, la dette est plus que jamais un problème dominant tous les autres, soit parce qu’elle est malfaisante, publique ou privée (on en parle moins), soit par ce qu’elle n’est plus au rendez-vous et ne peut plus jouer son rôle de moteur de la croissance économique. Dans le premier cas, résorber la dette publique va dans le meilleur des cas nécessiter des délais que les marchés, qui n’arrivent pas à gérer leur propre boulet, ne sont pas prêts à accorder. Dans le second, le boulevard de la titrisation, grâce auquel était alimentée la machine à fabriquer de la dette, reste pour une durée indéterminé barré. Par parenthèse, il faut noter sur ce chapitre une erreur magistrale de classification de la dette, il s’agit de l’Espagne et du Portugal, deux pays où ce n’est pas la dette publique qui est menaçante, mais la dette privée…

Voilà qui fait passer au second plan un dossier pourtant capital, celui de la future régulation financière, dont on nous garantit qu’elle va nous prémunir d’une nouvelle crise. Peu vraisemblable, en vérité, et même parfaitement saugrenu puisque nous nous enfonçons actuellement dans la crise, sans qu’il soit besoin d’attendre la prochaine pour vérifier que les digues tiendront, ce qui va être finalement décidé ne pouvant en rien aider à en sortir. Ce qui ne signifie pas qu’il faut tout laisser en plan, tout au contraire.

Sur tous les tons, mais en utilisant les mots de la politique, le discours de la rigueur s’envole depuis ce week-end, afin de nous y enfermer, et les mesures qui en résultent se précisent. Chaque pays suit son rythme, mais pour tous c’est maintenant ou jamais. Cela ne fait que rajouter une inconnue de plus à une équation générale qui n’en manque déjà pas : jusqu’où la crise sociale qui va en découler va-t-elle être supportable ?

Quand, sous quelle pression, les gouvernements européens vont-ils commencer à se poser les bonnes questions, à défaut de trouver les bonnes réponses ? Quels vont être les moteurs de l’activité économique européenne dans le monde de demain qui se dessine  ? Comment vont être associés cette activité et le bien-être de la société qu’elle est sensée servir ? Ajoutant à cette réflexion, pour qu’elle soit complète, les ouvertures vers une autre société que le développement durable porte en lui.

Après-demain sera un autre jour.




Billet rédigé par François Leclerc


               

Paul Jorion

pauljorion.com




(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.


Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).





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