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Ce texte est un « article presslib’ » (*)
La
cause est entendue, un peu de temps a été gagné avant la
sortie de route. Combien, on ne sait pas. En dépit des mystères
dont s’entoure la BCE (ne dévoilant pas le volume de ses achats
de dette souveraine) et du calendrier de mise en place des autres mesures
décidées dimanche, à l’arraché, par les
ministres des finances de l’Union européenne, les
marchés, tout à la bonne fortune de leur délestage
d’obligations d’Etat, ont brutalement fait volte-face, dès
lundi matin. Avec une vigueur telle que cela en a même
été jugé inquiétant.
Au
cours de la journée, d’autres signaux
périphériques montraient cependant qu’il ne s’agit
que d’un répit, relativisant le soulagement que l’on
voulait faire partager. En annonçant qu’elle se réservait
la possibilité de nouveau dégrader la note du Portugal et de la
Grèce, l’agence Moody’s décidait sans attendre de
prendre date, afin qu’il soit clair que de sérieux doutes
existent sur la suite des événements. D’autant que
l’OCDE rendait public ses nouvelles prévisions
économiques, faisant état d’un
« ralentissement de l’activité
économique » dans l’ensemble formé par ses
trente pays membres, alors que ses estimations précédentes
n’étaient pas exactement brillantes. Et que les tensions sur le
marché interbancaire subsistaient en contrepoint de l’euphorie
boursière.
La
précipitation dans laquelle les gouvernements ont bouclé leur
plan, en l’espace de trois jours après avoir traîné
pendant des mois, n’a pas été non plus
particulièrement ressentie comme gage de leur capacité à
bien jouer l’épisode suivant de la crise
européenne : l’adoption effective de mesures de
réduction des déficits budgétaires et de
l’endettement, avec des résultats probants dès cette
année, pourtant bien entamée. C’est cette mission impossible,
vu l’ampleur de la tâche et les contraintes dans lesquelles il
faudrait l’exécuter, qui forme désormais la toile de fond
sur laquelle va se poursuivre la crise, annonçant son rebondissement
tôt ou tard.
Actuellement
européenne, elle n’est que la manifestation avancée de ce
qui se prépare à l’échelle mondiale. Tout en
étant paradoxale, car de tout le monde occidental, les pays
européens sont les moins endettés. C’est
précisément à ce titre que d’ailleurs elle fait
peur, car elle est annonciatrice d’autres désastres potentiels
et impasses, en plus grand, qui de jour en jour se rapprochent
inéluctablement. Aux Etats-Unis et au Japon, dans des contextes
différents mais qui ne les préserveront pas pour autant. Dans
l’immédiat, elle pouvait aussi être le facteur
déclenchant d’une nouvelle crise du système financier, au
départ des banques européennes et atteignant leurs consoeurs américaines, qu’il était
nécessaire de tuer dans l’oeuf, ce qui
a été pour le moment fait à l’insistante demande
de Barack Obama.
Avant
même d’envisager ce qui va pouvoir ou pas être fait, en
Europe, afin de sortir de cette nasse qui n’est pas encore clairement
perçue comme telle par les gouvernements européens, car elle
impose des mises en question auxquels ils ne sont pas prêts, un premier
constat peut être tracé. Des illusions se sont envolées.
Les banques se sont très vite révélées
menacées par un nouveau déséquilibre systémique,
leur bonne santé retrouvée apparaissant pour l’occasion
comme une façade. La BCE, qui avait commencé à relever
ses filets de protection, a été dans l’obligation de les
réinstaller dans l’urgence. Pis, de nouvelles mesures
inédites ont du être prises par celle-ci, l’achat
d’obligations d’Etat, accroissant encore son implication dans un
sauvetage qui déborde de sa mission. Les Etats, pour leur part,
n’ont pas globalement brillé, plutôt
dépassés par la situation. Bref, non seulement nous
n’avons pas avancé, mais nous avons reculé à
nouveau.
Quelles
que soient les coutures sous lesquelles on l’examine, la dette est plus
que jamais un problème dominant tous les autres, soit parce
qu’elle est malfaisante, publique ou privée (on en parle moins),
soit par ce qu’elle n’est plus au rendez-vous et ne peut plus
jouer son rôle de moteur de la croissance économique. Dans le
premier cas, résorber la dette publique va dans le meilleur des cas nécessiter des délais que les
marchés, qui n’arrivent pas à gérer leur
propre boulet, ne sont pas prêts à accorder. Dans le second, le
boulevard de la titrisation, grâce auquel était alimentée
la machine à fabriquer de la dette, reste pour une durée
indéterminé barré. Par parenthèse, il faut noter
sur ce chapitre une erreur magistrale de classification de la dette, il
s’agit de l’Espagne et du Portugal, deux pays où ce
n’est pas la dette publique qui est menaçante, mais la dette
privée…
Voilà
qui fait passer au second plan un dossier pourtant capital, celui de la
future régulation financière, dont on nous garantit
qu’elle va nous prémunir d’une nouvelle crise. Peu
vraisemblable, en vérité, et même parfaitement saugrenu
puisque nous nous enfonçons actuellement dans la crise, sans
qu’il soit besoin d’attendre la prochaine pour vérifier
que les digues tiendront, ce qui va être finalement décidé
ne pouvant en rien aider à en sortir. Ce qui ne signifie pas
qu’il faut tout laisser en plan, tout au contraire.
Sur
tous les tons, mais en utilisant les mots de la politique, le discours de la
rigueur s’envole depuis ce week-end, afin de nous y enfermer, et les
mesures qui en résultent se précisent. Chaque pays suit son
rythme, mais pour tous c’est maintenant ou jamais. Cela ne fait que
rajouter une inconnue de plus à une équation
générale qui n’en manque déjà pas :
jusqu’où la crise sociale qui va en découler va-t-elle
être supportable ?
Quand,
sous quelle pression, les gouvernements européens vont-ils commencer
à se poser les bonnes questions, à défaut de trouver les
bonnes réponses ? Quels vont être les moteurs de
l’activité économique européenne dans le monde de
demain qui se dessine ? Comment vont
être associés cette activité et le bien-être de la
société qu’elle est sensée servir ? Ajoutant
à cette réflexion, pour qu’elle soit complète, les
ouvertures vers une autre société que le développement
durable porte en lui.
Après-demain
sera un autre jour.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
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» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
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Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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