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Le monde des
santons tremble. Ces petites figurines peintes, grande tradition des crèches
provençales, sont pointées du doigt par la République sociale, nationale et laïque.
Non seulement les crèches – dont elles sont une composante essentielle – sont
proscrites dans les bâtiments publics, comme au Conseil général de Vendée car
elles représentent une menace dangereuse et inacceptable pour la laïcité
républicaine, mais certains producteurs de santons sont aussi accusés d’être
des traîtres au patriotisme économique.
L’un des
coupables : Patrice Jarque, un santonnier qui a osé délocaliser 50% de sa
production de l’autre côté de la Méditerranée, en Tunisie. Il explique : «
cette partie de sous-traitance (en Tunisie), c’est une partie main d’œuvre.
Nous avons gardé (en France) l’aspect traditionnel, l’aspect création et le
savoir-faire ». Dans ce montage, il y voit un triple intérêt : il sauve
l’emploi et le savoir-faire de ses salariés à Aubagne et en Provence ;
il baisse son prix public de vente de 50% par rapport aux autres santonniers
car la main d’œuvre tunisienne est 30% moins cher que la française ; il
augmente ses parts de marché en séduisant des consommateurs qui pourront
ainsi s’offrir des santons qu’ils ne pouvaient pas acheter auparavant.
Quel patron
naïf ! Ne sait-il donc pas que dans la France de François Hollande, il vaut
mieux rester totalement français quitte à liquider son entreprise et
licencier ses employés plutôt que de délocaliser une partie de sa production
afin d’être compétitif et de conserver des emplois locaux.
Les autres
producteurs s’indignent : « c’est de la concurrence déloyale », « il casse le
marché », « c’est fait à l’étranger »... Ainsi Claude Carbonel, producteur
d’une des marques les plus répandues, avertit : « Si vous venez à la foire
aux santons de Marseille, pas les autres foires, nous sommes les seuls à
garantir que c’est fabriqué en Provence. » Marseille ou rien… Il faut donc
protéger, coûte que coûte, le village gaulois des santons, comme le rappelle
Paul Garrel, producteur à Rocbaron : « Quelques indépendants comme moi ont
voulu un vrai label, à l'image d'une AOC, pour être reconnus. Nous n'avons
jamais pu l'obtenir ». Mais maintenant que la Tunisie devient une menace, les
choses changeront peut-être, un député va bien s’emparer de la cause… Car le
cri d’appel est lancé, relayé par Thomas Barrutieta, organisateur de la foire
de Carqueiranne : « Nous devons protéger le santon de Provence. » En
attendant, un autre santonnier, François Gonsalez, se plaint de cette
concurrence : « on paie nos charges, on paie notre TVA, on paie beaucoup de
choses, d’ailleurs eux ils ne vont pas le payer tout ça. »
Ces
commentaires, et bien d’autres, sont sidérants. Deux mots reviennent
constamment : protection et taxes. Patrice Jarque ne paie pas les mêmes taxes
que les autres et pour cause : il paie celles qui sont dues à la Tunisie,
tout en payant celles qui sont dues à la France par ses employés, ajoutant à
cela le prix de l’importation des marchandises. Il fait donc les choses
légalement, mais c’est à peine s’il est accusé de marché noir ou de
contrebande par ses collègues santonniers. Ceux-là proposent donc la seule
solution qui leur semble applicable : la protection, c’est-à-dire ériger des
murs pour empêcher l’importation des santons produits ailleurs, bloquer les
productions en créant une AOC, en bref figer tout le secteur par un cahier
des charges qui sera évidemment défini par la loi et donc par l’État.
Or en
demandant à l’État de protéger le santon de Provence, de protéger la
production artisanale locale, en se plaignant que Patrice Jarque devrait
payer autant qu’eux, les autres producteurs ne se rendent pas compte qu’ils
demandent en réalité la protection des taxes, des charges, des cotisations et
de la TVA qui les écrasent.! Ils demandent ni plus ni moins à
l’État de continuer son imposition massive, et ils confortent ainsi les
Hollande, Valls, Aubry et autres Macron dans leur logique de protectionnisme
économique.
Pour faire
simple, les santonniers demandent la protection de ce qui les rend
non-compétitifs. C’est le monde à l’envers… et c’est typiquement français car
tant d’autres corporatismes ont la même attitude.
À aucun
moment, les concurrents de Jarque ne sont sortis des cadres de la pensée
unique économique qui gangrène l’activité française. Car au lieu d’en appeler
à l’État pour protéger et enserrer encore plus une activité et au final la
taxer plus, il vaut mieux interpeller l’État en tenant un discours contraire
qui tiendrait en trois points.
Premier point,
le constat : « Il y a une concurrence qui produit sa marchandise en Tunisie à
des conditions fiscales meilleures qu’en France ce qui permet de baisser le
prix de vente de 50% au moins. »
Deuxième
point, le problème : « Actuellement, le poids des charges françaises ne
permet pas de faire face à cette concurrence, ni de baisser le prix de vente.
»
Troisième
point, la solution : « Si nous voulons préserver le santon de Provence
traditionnel, fabriqué en France, que l’État français cesse de faire peser
des charges, des cotisations, des taxes et des règles qui empêchent d’être
compétitifs. Alléger le cadre fiscal et le cadre réglementaire est le
meilleur moyen de conserver notre production, de préserver nos emplois et
d’attirer les clients par des prix plus bas. Ainsi nous pourrons faire face à
la concurrence. »
Mais pour
tenir un tel discours, qui relève du bon sens économique et commercial, il
faudrait être convaincu que le marché est une bonne chose. Mais il n’est pas
certain que tous les patrons d’entreprises français en soient convaincus.
Alors, dans
cette belle République sociale et protectionniste, Patrice Jarque sera-t-il
convaincu de haute trahison économique ? Servira-t-il d’exemple aux autres
entrepreneurs français qui auraient l’idée saugrenue de vouloir être
compétitifs ? Sera-t-on cloué au pilori à chaque fois que l’on voudra faire
du business ?
En attendant,
on peut toujours aller fêter Noël en Tunisie au lieu d’aller en Provence…
c’est moins cher et on y trouvera une belle crèche de santons…
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