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Pour
ceux qui ne veulent voir dans la responsabilité de la crise que la
construction imparfaite de l’euro, les nouvelles en provenance du
Royaume-Uni devraient être passablement perturbantes, puisque le pays
ne fait pas partie de la zone euro. À leur sujet, on pense à la
singulière explication que vient de délivrer Mario Draghi : « À l’origine, il y avait une
rupture de confiance dans la zone euro entre les pays qui respectaient
toujours, ou la plupart du temps, la sagesse budgétaire, et les pays
qui ne le faisaient pas. Ces deux dernières années, il
s’est agi de reconstruire la confiance et pour cela les pays ont
consenti des règles budgétaires plus strictes ».
Pour
ceux qui ne voient d’issue que dans l’austérité et
le désendettement des États, les récentes remarques
d’Olivier Blanchard, l’économiste en chef du FMI, doivent
sonner étrangement : « La réduction des déficits,
qui s’est pour le moment bien plus déployée en Europe
qu’aux États-Unis, a eu un impact considérable sur la
croissance. Si vous regardez pays par pays, vous arriverez à la
conclusion que les pays qui ont mis en place les plans de réduction
les plus drastiques sont ceux qui ont le moins de croissance ».
Que
se passe-t-il donc au Royaume-Uni ? George Osborne, le chancelier à
l’échiquier, a reconnu que son plan de réduction du
déficit britannique reposant sur de sévères coupes
budgétaires ne fonctionnait pas et qu’il allait falloir le
poursuivre au-delà du calendrier prévu. Alors que la menace
d’une dégradation de la note AAA de la dette souveraine du pays
se précise, même si les taux obligataires restent bas, pour les
mêmes raisons que ceux de l’Allemagne et de la France (des
valeurs refuges).
Dans
la zone euro, il est tenté une inflexion de la stratégie de
désendettement, alors que l’Espagne parvient toujours à
retarder le moment où elle devra demander à
bénéficier d’un plan de sauvetage, et que les
mauvaises nouvelles italiennes s’accumulent sur fonds de
préparation des prochaines élections et d’obstacles
dressés sur la route d’un second mandat de Mario Monti, sa chute
étant devenue même possible. Les plans de sauvetage ne
donnant pas les résultats escomptés, les pays qui pourraient
avoir à demander à en bénéficier tentent
d’y échapper, instaurant une nouvelle donne : les gouvernements
devancent la mise en œuvre des mesures d’austérité
qui sont alors exigées afin de tenter d’en limiter
l’ampleur (très relativement) et d’en réduire les
effets sociaux et politiques. C’est le cas revendiqué de
l’Espagne, ainsi que celui de l’Italie, moins apparent.
Olli Rehn,
le rigide commissaire européen aux affaires économiques et
monétaires, vient d’apporter sa contribution à cette
inflexion. Selon lui, la phase aiguë de la crise européenne
serait dépassée en raison des progrès de
réduction du déficit globalement accomplis dans la zone euro,
résultat de la politique d’austérité. Il serait
désormais temps de chercher moins à poursuivre des objectifs
nominaux de cette nature, mais de mettre l’accent sur les réformes
structurelles, les deux pouvant être combinées. Cette
déclaration n’est pas seulement une réponse implicite aux
injonctions du FMI et de l’OCDE de ne pas accentuer les mesures
d’austérité, elle calque étroitement la poursuite
de la stratégie de désendettement sur la politique suivie dans
les années 2000 par l’Allemagne.
La
copie est flagrante : l’Allemagne connaissait à cette
époque la conjonction d’une faible croissance (+1,3 % en moyenne
sur la période 1997-2005), d’une augmentation du déficit
public, qui dépassait la barre fatidique de 3 %, d’un taux de
chômage figé autour de 10 %, et d’une perte de
compétitivité de son industrie sur le marché
international. Une succession de lois (Hartz)
portant sur la réforme du marché du travail est intervenue
entre 2003 et 2005, ainsi qu’une réforme de l’assurance- maladie
et l’introduction en 2007 d’une TVA sociale. Au sein des
entreprises, des accords de compétitivité ont été
négociés entraînant une modération salariale, en
contrepartie du maintien de l’emploi et de l’abandon dans
certains cas de la délocalisation de la production.
À
l’exception des mesures concernant la retraite, c’est à
peu de chose près le programme donné en exemple à suivre
aujourd’hui à des pays dont l’économie est
très différente de celle de l’Allemagne, dans un contexte
qui n’a plus grand chose à voir avec celui de
l’époque. C’est dire si les résultats ne vont pas
nécessairement être ceux qui sont attendus. L’exemple de
l’Espagne est là pour montrer que l’amélioration de
la compétitivité des activités industrielles nationales
se fait au détriment des autres pays de l’Union
européenne, dont la France, dans le contexte de forte
intégration commerciale qui caractérise l’Union !
Une
autre partie est parallèlement en train de se jouer, qui concerne plus
particulièrement les banques. Après les banques espagnoles
– en cours de renflouement a minima, dans le
but de gagner du temps – c’est au tour des banques italiennes de
donner des signaux de faiblesse. On commence à évoquer la
nécessité de créer une bad
bank en Italie, à l’instar de
l’Espagne, en raison du taux de créances douteuses des banques,
sous-estimé par l’Association bancaire italienne si l’on
en croit les chiffres du FMI (5 % des créances dans un cas, 11,7 %
dans l’autre). L’exposition des banques qui ont massivement
acheté de la dette italienne en utilisant le financement de la BCE est
un autre facteur de grande fragilité.
Le
système bancaire européen tente de retarder et
d’assouplir les réformes qui visent à le renforcer.
L’application de la réglementation Bâle III va être
repoussée d’un an, pour commencer ; la conception de
l’union bancaire tarde, avec toutes les chances de finir en eau de
boudin ; la séparation des activités de dépôt et
de marché est très mal partie, si l’exemple de la réforme
française dont on attend les détails devait être suivi.
Les banques ont en ligne de mire le remboursement de leurs emprunts massifs
à la BCE, pour un total de mille milliards d’euros, et font
savoir qu’elles ne peuvent pas être sur tous les fronts. Elles
cherchent à obtenir des délais et accommodements, en
exerçant un chantage à propos de leur soutien à
l’économie, en vue notamment d’être
autorisées à utiliser des obligations convertibles en actions (CoCos) – leur propre dette – afin de
renforcer leurs fonds propres. Ce qui donne la parfaite image d’un système
financier qui marche sur la tête.
Les
États peinent à résorber leur dette et la font rouler
pour se donner du temps. Pour le cas où de nouveaux accidents de
parcours interviendraient, comme cela a été le cas en
Grèce, une généralisation de nouvelles clauses
d’action collective (CAC) est en cours, avec comme objectif de
faciliter de nouvelles restructurations de dette. Le modèle
révisé des CAC baisse la barre du pourcentage d’accord
des créanciers nécessaire pour rendre obligatoire un
échange de titres assortis d’une décote. Mais ce
n’est que le commencement d’un lent processus, car les experts
estiment qu’il faudra de nombreuses années, au rythme actuel du
roulement de la dette, pour que ces nouvelles clauses concernent
l’ensemble des obligations en circulation.
Ce
plan A’ est virtuel. La BCE n’arrête pas de revoir ses
prévisions de croissance, invariablement optimistes pour
l’année d’après, beaucoup moins pour celle qui
vient. Elle prévoit désormais une contraction dans la zone
euro, là où il était précédemment
annoncé une croissance. Mais, pour prendre cet exemple, la viabilité
de la dette grecque repose sur les prévisions de croissance qui
arrangent bien les choses mais qui n’ont que fort peu de chances de se
concrétiser. Quant aux prévisions d’inflation de la BCE,
c’est pire : son taux descend, alimentant la crainte que tout cela
finisse par la déflation…
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