Je reproduis ici le mail que j’ai reçu de notre camarade impertinent et
lecteur Guillaume salarié de notre compagnie aérienne depuis 15 ans. Voici ce
qu’il dit (je commenterai après).
« Bonjour Charles,
Lecteur assidu de vos articles depuis plusieurs années, je trouve
regrettable votre manière de traiter les violences qui se sont déroulées lors
du CCE de Air-France. Nombreuses sont les allusions faites à ce fait divers
dans vos articles qui laissent à penser des choses qui sont, à mon humble
avis, hors de propos.
Salarié de cette compagnie depuis 15 ans, je trouve regrettable que vous
omettiez de rappeler la situation catastrophique de l’entreprise.
Au cours des 7 dernières années nous n’avons pas dégagé le moindre
bénéfice, nous avons déjà été une fois en faillite technique (notre dette
excédant nos capitaux propres) , ce qui est malheureusement de nouveau le
cas. Si Air-France ne retrouve pas une situation économique saine dans les 2
ans, notre licence de vol nous sera retirée.
Nous sommes donc loin de l’entreprise alignant les bénéfices tout en
licenciant / délocalisant à tour de bras pour gagner toujours plus en
rentabilité.
Votre allusion dans l’édito du jour où vous mettez Air-France et
Continental dans le même sac, passe sous silence cet état de fait pour
Air-France.
Gagner en productivité ou mourir en laissant 63 955 personnes sur le bord
du chemin.
Sans être naïf et sans angélisme, je ne peux que reconnaître à M. De
Juniac sa volonté à sortir la compagnie de l’ornière. Nous pourrons toujours
discuter les détails de certaines mesures à l’efficacité douteuse mais avant
les conflits avec les pilotes, la trajectoire était bonne.
Attention à ne pas tomber dans les clichés des méchants patrons de grosses
entreprises contre les pauvres employés / syndicalistes maltraités.
Cordialement,
Guillaume ».
Air-France est une compagnie condamnée et aucun de vos efforts ne sauvera
quoi que ce soit !
Hein? Quoi Air-France est condamnée? Oui et c’est une évidence. La raison
est très simple en réalité.
La compagnie Air-France est prise en tenaille par d’autres enjeux et ne
joue pas avec les mêmes règles sociales.
Les autres enjeux c’est par exemple la place que l’on fait, pour
d’autres raisons politiques, à Qatar Airways au détriment d’Air-France…. Ne
jugeons pas cela… disons même que c’est rentable pour le pays France. Certes
la France y gagne peut-être maintenant mais Air-France y perd.
Comme le dit le patron d’Air-France, au Qatar il n’y a pas de droit de
grève… et les grévistes c’est en prison.
De l’autre côté nous avons des compagnies comme Ryanair qui réussissent à
faire voler gratuitement des pilotes (le pay-to-fly)… il faut donc comprendre
que dans un tel modèle même avec un plan tous les ans où le personnel baisse
ses « avantages » pour rester « compétitif » il n’y a
rien à faire.
Le match est perdu d’avance puisqu’un pilote payé, même mal, sera toujours
plus cher qu’un pilote gratuit de Ryanair.
Les problèmes d’Air-France sont en réalité insolubles.
Le véritable souci, c’est la décision qu’il faut prendre. Fermer
Air-France est un symbole dont personne ne veut ou presque, pourtant
Air-France n’est structurellement pas viable et rien n’y fera.
Mon cher Guillaume, le fonds de ma pensée c’est pourquoi faire des efforts
si cela ne sert à rien si ce n’est gagner du temps… vous allez rester dans
une compagnie, vous investir, y laisser votre énergie pendant encore quelques
années alors que la messe est dite. Air-France va mourir et si cette
compagnie survie ce sera avec un périmètre tellement réduit que ce n’est pas
60 000 postes que l’on va « sauver » mais quelques centaines… et
puis les pilotes de bus volant, c’est comme les chauffeurs de taxis… après la
Google car automatique vous aurez rapidement les Google Planes… tout aussi
automatiques et sans pilotes suicidaires enfermés dans les cockpits.
Ce qui arrive à Air-France est arrivé à toutes les industries françaises
ou presque. Il ne s’agit pas de s’adapter. L’adaptation c’est ce que l’on
vend aux couillons d’en bas pour faire les choses progressivement. La réalité
c’est que dans beaucoup de secteur quels que soient les efforts l’ouvrier
français ou européen à 1 000 euros, même à 400 euros par mois ne sera jamais
compétitif face aux petits chinois des champs à 90 euros et deux bols de riz.
Pour les banquiers d’agences, ce sera la même chose. Ils vont tous se
faire virer, ils sont 480 000 en France et ils ne servent presque plus à
rien… d’ailleurs c’est quand la dernière fois que vous êtes allés à la
banque?
Vous avez intégré le discours de la Direction mais il est faux. Il n’y a
aucun espoir…
Les pauvres gens ne s’en rendent pas compte. Ils sont gentils et veulent y
croire. Mais Air-France comme beaucoup d’entreprises est gérée en
« extinction »… on réduit chaque année un peu plus la voilure.
Petit à petit. Progressivement. A l’arrivée il ne reste plus rien. Il y aura
un plan, puis un autre et encore un autre et cela fait des années que ça
dure. Comme dans la sidérurgie autrefois ou dans les mines.
Vous avez intégré ce discours des directions sur « faites plus
d’efforts » mais il ne fonctionne pas. Dans aucune entreprise. Dans
aucun secteur. La boite ferme toujours à la fin. On pourra bien trouver une
ou deux exceptions pour confirmer la règle. Guère plus.
Alors, tant qu’il en est encore temps, réfléchissez à titre personnel à ce
que vous ferez après Air-France, car si vous avez 15 ans de boite et que
c’est votre première boite, vous n’atteindrez jamais l’âge de la retraite
avec cet employeur-là.
Charles SANNAT