Au vu de la crise financière et économique
actuelle, nombreux sont les investisseurs à se demander si une hausse
de l’inflation est inévitable. [1]
Au premier abord, cette question semble être
rhétorique. Mais techniquement, l’inflation peut bien
évidemment être prévenue.
L’inflation est, dans le sens économique du
terme, une augmentation de la masse monétaire, qui débouche
(nécessairement) sur un déclin du pouvoir d’achat de la
devise.
Aujourd’hui, les banques centrales disposent du monopole
de la création monétaire. Tout ce qu’il faudrait faire
pour mettre fin à l’inflation (et la prévenir) serait
donc pour les banques centrales de cesser d’imprimer plus la nouvelle
monnaie.
En y regardant de plus près, la question de savoir si
une hausse de l’inflation est inévitable peut être plus
difficile à résoudre, en raison des conséquences
économiques et politiques que l’arrêt de toute création
monétaire par les banques centrales pourrait entraîner.
Pour mieux comprendre ces conséquences, il nous faut
observer la nature et le fonctionnement du régime monétaire
actuel. Milton Friedman, dans Money Mischief, nous en fait le portrait
suivant :
Un système monétaire international a
émergé sans aucun précédent historique : un
système au sein duquel toutes les devises du monde sont…
basées sur un étalon papier non-échangeable. [2]
Il continue ainsi : « Les conséquences
ultimes de ce développement sont enveloppées
d’incertitudes ». [3]
Friedman attire notre attention sur le fait que les devises
actuelles – qu’il s’agisse du dollar, de l’euro, du
renminbi ou de la livre sterling – sont des monnaies fiduciaires, des
devises sans aucune valeur intrinsèque.
Les devises fiduciaires (ou devises papier ou politiques) ont
trois caractéristiques majeures. Premièrement, elles sont
produites par le monopole dont jouissent les banques centrales,
subventionnées par leur gouvernement.
Deuxièmement, elles sont typiquement crées au
travers de l’expansion du crédit bancaire. A chaque fois
qu’un crédit est accordé à une
société, un ménage ou un gouvernement, les banques font
gonfler la quantité de monnaie. En ce sens, la monnaie fiduciaire
d’aujourd’hui est une monnaie de crédit.
Et troisièmement, la monnaie fiduciaire entraîne
un déséquilibre économique – les fameux cycles
croissance-récession – et une hausse du niveau de dette
excédant la croissance des revenus. Ces aspects seront
expliqués plus en détails ci-dessous.
II.
Pour beaucoup de grands penseurs, la monnaie fiduciaire est une
mauvaise chose. Par exemple, nous devons l’idée que la monnaie
papier « retourne un jour à sa valeur intrinsèque
– zéro » au philosophe français Voltaire
(1694–1778).
L’économiste américain Frank
A. Fetter (1863–1949) écrit dans Modern Economic Problems que la monnaie
fiduciaire est généralement un sujet d’intrigues
politiques et de malentendus populaires. C’est ce danger qui fait de la
monnaie politique une monnaie faible. [4]
Irving Fisher (1867–1947), dans The Purchasing Power of Money,
écrit que « la monnaie papier non-échangeable est
une malédiction pour les pays qui l’emploient ». [5]
Il semble particulièrement remarquable que les devises
fiduciaires soient établies partout dans le monde, et qu’elles
soient perçues comme un régime monétaire de pointe.
Les économistes de l’école autrichienne en
ont un point de vue différent. Leur travail mérite une
attention toute particulière dans ce contexte, puisqu’ils sont
ceux à avoir développé ce qui est peut-être la
théorie la plus détaillée du rôle de la monnaie
fiduciaire dans les cycles économiques, l’inflation et les développements
politiques.
Qu’ont donc à dire les plus importants
représentants de l’école autrichienne - Ludwig
von Mises (1881–1973) et Friedrich
August von Hayek (1899–1992) – au sujet des devises
fiduciaires ?
Selon eux, l’injection de monnaie fiduciaire au sein de
l’économie au travers de l’expansion du crédit [6]
fait baisser les taux d’intérêts plus bas que leur niveau
naturel – comme l’appelait l’économiste
suédois J.G. Knut Wicksell (1851–1926) –
ou le taux d’intérêt qui serait de vigueur si les
réserves de monnaie et de crédit n’avaient pas
été artificiellement gonflées.
Les taux d’intérêts maintenus
artificiellement bas poussent les sociétés à utiliser
des ressources rares dans le cadre de processus de production de biens de
capital plus longs, aux dépens de processus de production de biens
à la consommation, ce qui génère des distorsions
temporelles de la structure de production de l’économie et
entraîne des mal-investissements.
L'injection de monnaie fiduciaire au sein de
l’économie favorise la consommation plus que
l’épargne, et génère des investissements plus
importants. L’économie entre dans une phase de croissance
inflationniste et vit au-dessus de ses moyens.
Si l’injection de monnaie créée au travers
de la création de crédit bancaire à partir de rien
était exceptionnelle, il ne faudrait pas longtemps à la
croissance artificielle pour s’essouffler. Une récession
pourrait restaurer l’équilibre économique à mesure
que les gens se tourneraient de nouveau vers leur équilibre
consommation-épargne-investissement préféré
(déterminé par la préférence
temporelle).
Dans un régime fiduciaire, en revanche, le gonflement
de la monnaie et du crédit n’a rien d’exceptionnel.
Dès que les signes d’une récession apparaissent à
l’horizon, l’opinion publique appelle à des
contre-mesures, et les banques centrales font de leur mieux pour
« combattre la crise » en augmentant la masse
monétaire au travers de l’expansion du crédit,
forçant ainsi les taux d’intérêts toujours plus bas.
En d’autres termes, les politiques monétaires
– qu’applaudissent généralement les
économistes grand public – combattent la correction du
problème de l’économie en se tournant vers ce qui est
à l’origine même du problème.
Une telle stratégie ne pourra pas être
employée indéfiniment. Lorsque l’expansion du
crédit prendra brutalement fin – quand les banques cesseront de
prêter – des ajustements seront inévitables. Les
emprunteurs feront défaut, les sociétés liquideront
leurs investissements toxiques et supprimeront des emplois.
Plus la croissance artificielle du crédit et de la
monnaie se prolongera au travers d’injections monétaires
répétées, plus il y aura de mal-investissements qui
devront être corrigés, et plus il y aura de suppressions
d’emplois.
Il en est ainsi parce que les injections de monnaie fiduciaire
au travers de l’expansion du crédit bancaire ont deux
conséquences distinctes. Premièrement, elles empêchent
les investissements non-profitables d’être liquidés. Les
taux d’intérêts très bas les font apparaître
comme profitables, puisqu’ils peuvent être refinancés
à faible taux d’intérêt.
Deuxièmement, les taux d’intérêts
maintenus artificiellement bas encouragent des investissements additionnels
– qui n’auraient pas été imaginables si le
marché n’avait pas été forcé à la
baisse par les actions des banques.
En conséquence, la dette de l’économie ne
cesse de gonfler à un taux bien plus élevé que les
revenus, ce qui génère un surendettement. Ce processus est bien
évidemment accompagné de l’accumulation d’une
importante dette par le gouvernement, qui est particulièrement facile
à financer sous un régime fiduciaire.
Mises savait que forcer les taux d’intérêts
à la baisse ne pourrait pas résoudre le problème, mais
ne ferait qu’en générer de plus gros :
Il n’y a aucun moyen de contourner l’effondrement
final d’une croissance générée par
l’expansion du crédit. La seule alternative est de laisser
s’installer la crise aussitôt que possible en abandonnant
volontairement toute expansion supplémentaire du crédit, ou
d’attendre que la catastrophe s’abatte sur le système de
devises impliqué. [7]
Les paroles de Mises impliquent à la fois
l’hyperinflation et la déflation en tant que conséquences
potentielles de l’effondrement de la monnaie fiduciaire. Une
hyperinflation apparaîtrait si le gouvernement tentait d’imprimer
toujours plus pour régler ses problèmes, et une
déflation découlerait de la contraction de la masse
monétaire par l’encaissement de leurs prêts par les
banques ou leur défaut sur leurs obligations, et donc de la
destruction d’une partie de la masse monétaire fiduciaire.
Si l’on choisissait de suivre le diagnostic
proposé par l’école autrichienne, deux importantes observations
sont à faire. Premièrement, émettre toujours plus de
crédit et de monnaie fiduciaire à des taux
d’intérêts toujours plus bas ne pourra pas résoudre
le problème qui a été généré par
l’expansion du crédit.
Deuxièmement – et cet aspect peut ne pas immédiatement
attirer l’attention – les tentatives des gouvernements à
combattre la correction économique grâce à des politiques
interventionnistes (telles que des régulations, des interdictions,
etc.) ne pourront qu’endommager l’ordre du marché libre.
C’est quelque chose qui ne peut pas, et ne devrait pas,
être pris à la légère. Les marchés libres
sont au cœur de la prospérité économique. Les
marchés libres permettent une coopération économique
productive et pacifique à l’échelle nationale comme
internationale.
III.
La sévérité de la crise monétaire
internationale actuelle est représentée par les débats
autour d’une réforme monétaire. Le FMI, en février
2011, a par exemple demandé une réforme du système
monétaire international. [8]
« Une
réforme monétaire (quelle qu’elle soit) est
inévitable d’un point de vue autrichien – un
système monétaire fiduciaire ne peut pas perdurer
indéfiniment ».
En novembre 2010, le président de la Banque Mondiale, Robert
Zoellik, expliquait qu’un successeur de ce qu’il appelle
« Bretton Woods II » serait bientôt
nécessaire :
Le nouveau système devrait considérer
l’utilisation de l’or comme point de référence internationale
pour l’inflation, la déflation et la valeur des devises. [9]
En mars 2009, Zhou
Xiaochuan, gouverneur de la banque de Chine, a écrit
ceci :
L’objectif d’une réforme du système
monétaire international… est de créer un système
de devise de réserve international déconnecté de toute
nation individuelle et capable de demeurer stable sur le long terme, nous débarrassant
ainsi des déficiences causées par les devises nationales
basées sur le crédit. [10]
En opposition avec ces concepts – qui sont, sans
surprise, interventionnistes par nature – les économistes
autrichiens ont mis en avant des recommandations et des stratégies de
réforme qui permettraient à la création d’un
système monétaire basé sur les principes du
marché libre.
Selon eux, les crises financières et économiques
ne sont pas inhérentes au capitalisme, mais résultent de
l’interventionnisme des gouvernements dans les affaires monétaires,
par le biais du monopole de la création monétaire. Hayek
l’a expliqué succinctement en 976 :
L’instabilité passée de
l’économie de marché est la conséquence de
l’exclusion du important régulateur du mécanisme de
marché, la monnaie, de la régulation par le processus de
marché. [11]
Les économistes autrichiens pensent que la résolution de la crise
financière et économique actuelle nécessiterait un
retour à une monnaie saine. Par « monnaie saine »,
ils entendent une monnaie compatible avec les principes d’une
économie de marché libre.
Une monnaie saine est une monnaie de marché libre, qui
est le résultat d’une demande libre et d’une offre libre
en monnaie. Elle est une monnaie produite sur des marchés libres,
où les banques centrales ne font pas l’objet de
privilèges légaux.
Dès 1953, Ludwig von Mises a demandé un retour
à une monnaie saine grâce au rattachement du dollar à
l’or, sur la base d’un prix de l’or déterminé
par le marché libre, et l’abolition des banques centrales. Mises
demandait la mise en place d’un étalon or et d’un
système de réserves bancaire garanties à 100%. [12]
Hayek, dans Denationalization
of Money, explique que nous pourrions même faire mieux que
de nous en retourner à l’or, en autorisant une
compétition entre les devises. Selon lui, les lois sur le change
légal devraient être abolies, ce qui pourrait permettre aux
utilisateurs de monnaie de choisir la monnaie qu’ils préfèrent
utiliser, offerte par des producteurs libres d’offrir de la monnaie. La
meilleure de toutes les monnaies finirait par gagner.
Murray N. Rothbard (1926–1995),
prenant exemple sur le concept de réforme de Mises, a demandé
le retour à un étalon or grâce au rattachement de la
monnaie fiduciaire aux réserves d’or des banques centrales
– en réévaluant le prix de l’or en fonction des
unités de devise en circulation pour permettre un système de
réserves bancaire garanties à 100%. [13]
IV.
A l’heure actuelle, les chances de voir le
système monétaire international se tourner vers une monnaie de
marché libre – comme un étalon or sans banques centrales
– peuvent paraître maigres, et pour plusieurs raisons.
La plus importante d’entre elle est peut-être
l’idée que l’économie grand public a réduit
le nombre d’avocats du retour d’une monnaie saine à un
groupe restreint dont la voix a du mal à porter. Le public ne sait
peut-être pas qu’il a tout à gagner d’une monnaie
saine.
Dans tous les cas, trouver une solution économiquement
viable au problème actuel est une chose à laquelle les
sociétés qui ont adopté une devise fiduciaire ne
pourront échapper.
Une chose est certaine : les injections incessantes de
monnaie à l’économie n’ont rien d’une
politique prometteuse en termes de restauration de la santé
économique. Elles ne feront qu’engendrer plus de
dévaluations sans pour autant se confronter à la source du
problème.
Quelles seraient les conséquences d’une
réforme monétaire orientée vers les
marchés ? Si les gouvernements décidaient de rattacher les
devises fiduciaires à l’or, les devises seraient
dévaluées si le prix de l’or était fixé
à un niveau reflétant l’augmentation des réserves
de monnaie – ce qui peut paraitre comme tant une décision
tentante pour ceux qui pensent qu’il y a aujourd’hui
« trop de dette ». [14]
Alternativement, une dévaluation substantielle –
voire une érosion totale – du pouvoir d’achat de la
monnaie fiduciaire pourrait apparaître si une réforme
monétaire basée sur les forces du marché était
mise en place : les gens commenceraient à échanger leurs
unités de devise fiduciaires (non-échangeables) contre de
l’or ou de l’argent, ce qui ferait baisser la valeur de la monnaie
fiduciaire (jusqu’à la faire disparaitre).
Une réforme monétaire est (d’une
manière ou d’une autre) économiquement inévitable
du point de vue autrichien – une régime
fiduciaire ne peut pas durer indéfiniment. En conséquence, il
nous faut conclure que la dévaluation des devises existantes est
devenue quasiment inévitable.
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