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Plusieurs fois dans ces colonnes, et bien évidemment
ailleurs (mais, comme par hasard, très rarement dans la presse mainstream), on a parlé d’hyperinflation,
notamment à la suite des dernières opérations aux noms
magiques comme QE (pour les Américains) et LTRO (pour les
Européens). Aujourd’hui, je vous propose de revenir un peu dans
l’histoire récente de cette hyperinflation, définie comme
une période où l’inflation mensuelle est de plus de 50%.
Grâce au travail de Steve Hanke et Nicholas Krus, du Cato
Institute, on dispose de données fiables
et intéressantes sur les périodes d’hyperinflations
connues.
Première constatation : saperlotte, la monnaie papier,
ça inflate drôlement dans les
périodes de crise, et pas qu’une fois de temps en temps. Si
l’on regarde le tableau des deux chercheurs, on se retrouve avec des
périodes d’inflations étalées de 1920 à
2008, avec un regroupement de trois grosses périodes :
- la première, avant la seconde guerre mondiale, de 1920 à 1924
- la seconde, depuis 1941 jusqu’au sortir de la guerre, 1949
- la troisième, après l’explosion du bloc
soviétique, de 1988 à 1998
Bien évidemment, on trouve aussi un saupoudrage de
quelques pays jouant avec leur presse à billets en dehors de ces
périodes, l’exemple le plus frappant étant le Zimbabwe de
Mugabe pour la période récente, le Chili de la transition
Allende/Pinochet, et la France des assignats (qui est donc un
précurseur de tous les autres, puisqu’au 18ème
siècle). Et en substance, le schéma est toujours le même
: la situation économique du pays qui va subir une hyperinflation se dégrade
rapidement notamment sous l’effet de dépenses de moins en moins
contrôlées par l’État. Ensuite, pour éviter
une dépression sévère, les autorités
monétaires du pays commencent à emprunter et laisser filer la
valeur du papier monnaie pour aboutir à un épisode de grand
n’importe quoi dont l’aspect rigolo n’est perçu
qu’au-delà des frontières par ceux qui ont eu le temps de
fuir ou la présence d’esprit de n’avoir aucun intérêt
économique avec les malheureux qui sont restés sur place. Pour
s’informer, on pourra lire avec attention le dossier réalisé
par Business Insider qui revient sur la
période d’hyperinflation dans le régime de Weimar.
Par curiosité, voici les pics d’inflation
constatés dans les différents cas. Comme on peut le voir, il
n’y a pas vraiment de limite : oui, à proprement parler, lorsque
les presses se mettent à cracher du billet,
tous les nombres sont possibles et un doublement du prix des biens et
services toutes les quinze heures a déjà été
constaté (en Hongrie, donc).
(NB : certains pays sont présents plusieurs fois, parce
qu’ils ont eu plusieurs épisodes de fête du slip
monétaire)
La question qui vient ensuite à l’esprit est de
savoir s’il existe une corrélation entre la durée de
l’hyperinflation et sa force (importance du taux). J’ai
réalisé un petit nuage de points qui donne ceci, et sur lequel
on peut distinguer trois groupes de pays.
En gros, le premier groupe (bleu) correspond aux pays dont
l’hyperinflation (quelques pourcents par jour) n’a pas
duré très longtemps (jusqu’à trois mois). Le
second groupe correspond à ceux qui ont eu ces mêmes taux (voire
un peu plus soutenus) et qui ont fait durer le plaisir plus d’un an. On
imagine le bonheur des populations concernées. Enfin, le dernier
groupe, heureusement moins gros, correspond aux États dont la
population aura eu a subir
l’incurie et l’incompétence avec des taux records pendant
de longues années. De ces trois groupes, on ne peut
s’empêcher de remarquer qu’il n’y a pas de pays pour
lesquels il y aurait eu des taux journaliers très forts et une courte
période d’hyperinflation. Manifestement, si les taux
d’hyperinflation galopent, c’est parti pour durer…
Il est intéressant de constater que certains de ces
États furent des dictatures ou que dans la plupart des cas, la
possibilité même de fuir la monnaie imposée était
combattue avec d’autant plus d’acharnement que la durée
d’hyperinflation était longue et que les taux étaient
élevés. Autre point intéressant : dans aucun des cas le
phénomène ne se sera arrêté de lui-même sans
la mise à mort pure et simple de la monnaie considérée,
éventuellement assortie de la chute du régime correspondant.
Autrement dit : non seulement, l’hyperinflation est un
phénomène qui est au début déclenché
volontairement sous couvert d’une inflation «
contrôlée », mais en plus, il échappe rapidement
à tout contrôle.
Et maintenant, pour en revenir à la situation
européenne ou américaine, on constate quelques similitudes. Par
exemple, les efforts actuels des banquiers centraux, Draghi
et Bernanke, visent à éviter autant
que possible une dépression carabinée dans leurs deux grands
blocs économiques, en compensant les déflations visibles sur
les biens secondaires ou de luxe. Par une multiplication de jeux
d’écriture et d’opérations dont la
complexité apparente s’explique difficilement par autre chose
qu’un désir de camoufler une création monétaire
soutenue, les deux bricoleurs ont malgré tout du mal à endiguer
le manque cruel d’enthousiasme des populations pour une nouvelle vague
de crédit bon marché ; on sent que la succession de QE et de
LTRO, dont chaque avatar suscite moins d’intérêt que le
précédent, ne parvient pas à relancer le furieux
bastringue monétaire.
Pour le moment, tout le monde s’accroche aux deux
monnaies. L’Euro et le Dollar sont encore vecteurs de valeur. Mais
comme dans tous les épisodes d’hyperinflation
précédents, qui peut encore garantir que, un petit matin, la
confiance qui sous-tend encore ces monnaies ne va pas s’évanouir
? Certes, le pire n’est pas certain, mais il est de moins en moins
improbable, surtout vu les injections de monnaies auxquelles on assiste. Du
reste, les mouvements récents d’abandon du dollar de certains
pays, dont des acteurs majeurs comme la Chine, dans leurs transactions
commerciales, montrent que le règne du dollar s’achève.
Or, pour le moment, rien ne semble prêt pour le remplacer, et
certainement pas l’Euro, dont tout le monde comprend que s’il
doit partir en sucette, il le fera avant le dollar ; et bien malin qui pourra
dire quand cela pourra advenir, encore que les tensions s’accumulant entre
l’Allemagne et la Grèce pourraient déclencher
des événements intéressants.
Si l’Histoire nous apprend quelque chose, c’est
qu’elle réalise le paradoxe d’être
imprévisible et de se répéter. L’hyperinflation
n’est ni rare ni impossible sur un continent comme l’Europe ou
les États-Unis. Et les mêmes causes (crises, tensions internationales,
manipulation excessive de la monnaie) provoquent les mêmes effets
(inflation galopante, perte de confiance, destruction de richesses).
C’est dans ce contexte qu’un homme averti en vaut rapidement
deux, puis quatre, puis 60 puis un million.
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