In the same category

Une crise, trois stratégies

IMG Auteur
 
Published : September 28th, 2010
2132 words - Reading time : 5 - 8 minutes
( 2 votes, 5/5 )
Print article
  Article Comments Comment this article Rating All Articles  
0
Send
0
comment
Our Newsletter...
FOLLOW : Fmi
Category : Editorials

 

 

 

 

Le monde occidental est aujourd’hui placé devant une même interrogation, à laquelle il apporte suivant les régions et pays des réponses contradictoires. Que faut-il privilégier : la relance d’une économie au mieux anémique et qui pourrait retomber dans une récession généralisée, ou bien la réduction à marche forcée des déficits budgétaires et le dégonflement de la bulle de la dette publique ?


Pour le moins, ce monde-là ne marche pas du même pas. L’Europe, sous la pression d’un groupe de pays mené par l’Allemagne et le Royaume-Uni (hors zone euro), est toute entière orientée vers l’austérité budgétaire, en dépit des résistances de certains – dont les Français – et faute de stratégie alternative.


Le Japon, dont la situation empire au fur et à mesure que le yen continue de grimper, menaçant ses exportations, en vient une nouvelle fois – faute de mieux lui aussi – au financement de la relance via un programme de création monétaire de la Bank of Japan, sa dette continuant de monter allègrement.


Les États-Unis, enfin, sont dans une situation d’attente, le consensus s’étant établi en faveur d’une relance aux bons soins de la Fed et d’un achat massif de T-Bonds à long terme. Reste à l’engager.


La diversité de ces réponses n’est pas seulement le signe de la cacophonie ambiante et des impératifs contradictoires que sont sommés de respecter les gouvernements occidentaux. Elle est également génératrice de nouvelles distorsions économiques et financières au sein d’une crise qui n’en manque pas. Celles-ci s’expriment de plus en plus sur le terrain mouvementé et incertain du marché des changes, préludant à une nécessaire remise à plat, tôt ou tard, du système monétaire international et perturbant en attendant une relance de l’économie qui rencontre déjà de nombreux obstacles.


Le Japon fait les frais de la concurrence qui s’est instaurée, à coup de dévaluations compétitives censées favoriser les exportations des uns et des autres, puisque c’est le principal moteur de relance économique restant disponible. En dépit de l’intervention finalement décidée de la Bank of Japan, afin de l’enrayer, l’irrésistible montée du yen par rapport aux autres devises – en premier lieu du dollar que les États-Unis jouent à la baisse – est préjudiciable aux exportations japonaises. Elle renvoie le gouvernement à un problème qu’il ne parvient pas à résoudre depuis deux décennies : la relance impossible du marché intérieur.


D’un côté, le gouvernement japonais ne parvient pas à se résoudre à augmenter la TVA – cela serait préjudiciable à la consommation et accentuerait la pauvreté qui s’est beaucoup développée – de l’autre il est soumis aux pressions des industriels, qui réclament des mesures structurelles afin de diminuer leurs coûts de production et de compenser la hausse du yen. Dans l’immédiat, c’est la Bank of Japan qui officie, par le biais d’un programme de création monétaire.


Aux États-Unis, une même issue se profile, à échéance de la prochaine réunion du Comité de politique monétaire, en novembre prochain, après les élections. Pour des raisons tant financières que politiques, l’administration Obama n’est pas en mesure de financer un second plan de relance à la hauteur du premier, dont les effets sont en passe d’être estompés. Parce qu’elle a déjà du lever le pied sur la dépense publique – sans le proclamer – afin de limiter la croissance de la dette publique et en raison de la farouche opposition des républicains qui font croisade de façon démagogique contre Washington pour détourner le profond ressentiment de l’opinion publique vis-à-vis de Wall Street.


La Fed, quant à elle, semble se poser comme seule question l’ampleur du nouveau programme qu’elle doit lancer, le nombre de milliers de milliards de dollars qu’elle va consacrer à l’acquisition d’obligations à long terme de l’Etat fédéral. Afin de faire coup triple : contribuer à indirectement financer de nouvelles mesures publiques de relance, soulager un marché obligataire sur lequel les investisseurs étrangers donnent des signes de lassitude et continuer de financer des émissions obligations à maturité longue qui pourraient trouver moins facilement preneur.


La bataille du yuan chinois a entre temps rebondi, éminemment politique s’il en est, visant à obtenir une réévaluation substantielle de celui-ci vis-à-vis du dollar, au prétexte de favoriser les exportations américaines – une pétition de principe dont la réalisation est douteuse – et de s’opposer à ce que l’économie sombre à nouveau dans la récession. Cela a pour la première fois conduit Wen Jiabao, le premier ministre chinois, à reconnaître que son gouvernement n’était pas en mesure de procéder à une forte réévaluation, en raison des conséquences économiques et sociales catastrophiques qu’elle induirait.


Les États-Unis ne se sont pas encore résolus à franchir le pas d’une relance sous les auspices de la Fed et de mesures affirmées de création monétaire, mais semblent donc être en passe de le faire, tandis que les Européens tournent le dos à une telle politique et privilégient la réduction des déficits publics et le dégonflement de la bulle de la dette publique.


Une étape devrait être franchie cette semaine, dès mercredi, la commission de Bruxelles devant annoncer la couleur à propos des pénalités que pourraient encourir les États qui ne respecteraient pas les canons de la vertu. Ceux-ci faisant l’objet d’une proposition d’Olli Rehn, commissaire des affaires économiques et monétaires, qui avance l’idée que l’augmentation d’une année sur l’autre du budget d’un État ne devrait pas être supérieure à la croissance de son produit intérieur brut (PIB). Et, en ce qui concerne les pénalités, on en revient aux pénalités financières – comme la suspension des aides agricoles, visant particulièrement la France – assorties de suspensions du droit de vote au sein des instances communautaires.


Les ministres des finances doivent ce lundi plancher sur ce projet de dispositif, ce qui ne va pas manquer de susciter de fortes discussions étant donné l’ampleur des divergences. Sans y faire référence, les conclusions de la réunion n’étant pas connues, on ne peut manquer de se gratter la tête devant le nouveau critère proposé, qui fait appel au calcul du PIB, par ailleurs tant décrié, ainsi qu’à un principe – érigé au rang de sacré – de ne pas dépasser sa croissance pour fixer celle de ses dépenses. Car cela reviendrait à ôter aux gouvernements une large partie de leurs prérogatives et souplesse dans la conduite de l’économie de leur pays et empêcher le financement d’éventuels plans de relance.


Ce qui est présenté comme l’expression de l’intransigeance allemande, et des pays qui la partagent, vaudrait ainsi pour toute stratégie. Tout en s’appuyant sur un double bluff pour parfaire le dispositif. Le premier résulte des programmes de garantie dont les banques profitent encore dans de nombreux pays, qui arrivent à terme, mais dont la commission étudie la possibilité de les prolonger, après en avoir donné l’autorisation dans l’urgence à l’Irlande.


Le cas de ce pays – même s’il peut être considéré comme particulièrement défavorable – est là pour montrer que l’État n’a pas les moyens d’honorer sa promesse quand vient le temps de le faire. C’est la crise actuelle de l’Anglo Irish Bank (AIB) qui le met en évidence. Quelles pourraient être les conséquences pour d’autres pays de la zone euro, s’ils devaient se trouver dans la même situation, suite à une nouvelle dégringolade bancaire résultant par exemple du défaut d’un pays européen ? Nul ne le sait, car ces garanties ont été attribuées avec comme intention de ne jamais avoir à les activer, c’est à dire à ce qu’un État se substitue à une banque pour rembourser ses créanciers.


On voit le résultat en Irlande. Des discussions ont porté sur l’éventualité de partiellement restructurer la dette d’AIB, afin que l’activation de la garantie de l’État soit moins lourde. Cela a été longuement soupesé mais a du être repoussé, en raison de la très grande pression des marchés : l’agence Moody’s a dégradé de trois crans la note de la dette senior d’Anglo Irish, à Baa3 dans l’urgence pour le signifier. Un aléa moral dont on parle bien peu, veut que les créances notamment obligataires soient assorties d’un risque zéro – puisque garanties par l’État- et soient néanmoins porteuses d’intérêt !


Le deuxième bluff, c’est le fonds de stabilité financière (EFSF), la seconde béquille en quelque sorte. L’une destinée à soutenir les banques, l’autre les États. Dans un article du Financial Times, Wolgang Münchau s’efforce de décrypter les conditions concrètes selon lesquelles ce fonds pourrait être de son côté activé, pour ne pas s’en tenir à la note AAA qu’il a obtenu pour ses futurs emprunts. Les conditions détaillées dans laquelle l’EFSF devrait procéder afin de bénéficier de cette note – lui garantissant a priori des taux favorables sur le marché obligataire – ont été moins pris en compte que la flatteuse note. Selon les calculs du journaliste, l’EFSF risquerait fort, tout pris en compte, de ne pas être en mesure de prêter à un État en difficulté à un taux moindre que 7%. Faisant regretter à celui-ci le taux de 5% dont le gouvernement grec a bénéficié pour être passé avant.


Un État en difficulté ne s’interrogerait-il pas, dans ces conditions, sur l’intérêt qui serait le sien de demander le soutien à l’EFSF, contradictoirement avec un appel direct au FMI – mettant les pieds dans le plat – ou pire encore avec une procédure de renégociation de sa dette avec ses créanciers ? On sait que rien n’est davantage craint que ces deux éventualités par les dirigeants européens. Si ces deux écueils étaient toutefois surmontés, il resterait au pays qui accepterait un tel taux à parvenir néanmoins à remplir ses objectifs de réduction de ses déficits et de sa dette. Risquant, sans autre issue cette fois-ci, d’être replacé devant la nécessité de faire défaut.


Ces deux béquilles ont donc en commun une caractéristique très singulière : elles sont destinées à rester dans un placard. Elles ont pour unique mission d’être dissuasives, ce qui leur enlève une grande partie de leur portée, car les financiers sont tout aussi en mesure d’en arriver à cette même conclusion.


La grande fragilité de la stratégie actuellement déployée au sein de la zone euro résulte du fait qu’elle est essentiellement destinée à conjurer le mauvais sort. Que deux spirales descendantes peuvent facilement s’enclencher. La première a déjà été clairement identifiée : l’incapacité dans laquelle certains gouvernements pourraient se trouver de réduire dans les limites annoncées leur déficit. Tant en raison de moindres recettes fiscales – résultant de la dépression dans laquelle ils s’installeront – que des taux qu’ils devront supporter pour financer leurs déficits et faire rouler leur dette, et – last but not the least – de la pression sociale et politique montante qui leur imposera de lâcher du lest sur la rigueur. Un élément venant jouer les trouble-fête, qui se confirme déjà, les plans de réduction des déficits sont basés sur des prévisions de croissance qui ne seront pas atteintes – c’est en particulier le cas en Espagne – diminuant d’autant les rentrées fiscales.


La seconde spirale est plus pernicieuse mais pourrait s’avérer redoutable. Les banques européennes profitent actuellement de la bonne affaire que représente pour elles des émissions obligataires à court terme assorties de taux très élevés, elles fragilisent donc leur bilan, dans l’éventualité d’un incident de parcours intervenant avant leur terme sans qu’elles s’en soient auparavant dessaisies sur le second marché ou délestées auprès de la BCE. Ce qui implique de leur part les plus fortes pressions possibles afin que les gouvernements remplissent bien leur objectif de désendettement.


Il y a donc difficilement une échappatoire de ce côté-là également, car les banques pourraient s’en trouver déséquilibrées, amenant à nouveau les États à intervenir pour les aider. A moins qu’elles ne demandent l’activation du parapluie que représente la garantie dont elles disposent, pour ne pas rembourser leurs propres emprunts.


Les pays occidentaux peuvent-ils se payer le luxe de ne pas tous tirer dans le même sens en adoptant une stratégie unique ? Cela ne semble pas particulièrement raisonnable, mais c’est pourtant ce qui s’engage. La conséquence risque d’être l’affirmation renforcée d’une politique du chacun pour soi, qui ne fera qu’accentuer la crise rampante actuelle et la faire durer plus longtemps.




Billet rédigé par François Leclerc


 

Paul Jorion

pauljorion.com

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).


 

 

<< Previous article
Rate : Average note :5 (2 votes)
>> Next article
Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
Comments closed
Latest comment posted for this article
Be the first to comment
Add your comment
Top articles
World PM Newsflow
ALL
GOLD
SILVER
PGM & DIAMONDS
OIL & GAS
OTHER METALS
Take advantage of rising gold stocks
  • Subscribe to our weekly mining market briefing.
  • Receive our research reports on junior mining companies
    with the strongest potential
  • Free service, your email is safe
  • Limited offer, register now !
Go to website.