Le gouvernement l’a déjà dit plusieurs fois, Emmanuel Macron en premier, rapidement suivi des bégaiements rassurants du président Hollande : le pays a vraiment besoin de retrouver confiance en lui, et pour cela, il doit passer par une nécessaire simplification de son administration. C’est un véritable choc auquel il faut s’attendre, et ce choc de simplification commencera par quelque chose de très concret : la feuille de paie.
Pas de doute, le gouvernement y va d’autant plus cash que les paies de fin de mois ne sont plus payées en cash depuis des lustres et nécessitent, jusqu’à présent, d’encombrantes démarches et de pénibles calculs pour aboutir à une feuille officielle dans les normes. En effet, tout salarié doit le savoir, mais pour qu’une feuille soit correcte, il lui faut respecter un nombre impressionnant de critères complexes.
Outre les mentions habituelles et évidentes portant identification du payeur et du payé, la feuille doit aussi clairement établir les organismes qui toucheront les cotisations, ainsi que la myriade de petites bricoles qui circulent en orbite basse autour de la paie mensuelle, comme les tickets restaurants, les jours de congés, le total des cotisations versées, les nets et bruts imposables, et les comptes bancaires de versement. Notez que jusqu’ici, on n’a pas encore abordé le contenu même de la feuille, qui détaillera ligne à ligne ce qui est dû, ce qui est prélevé au titre de la retraite, des impôts, des taxes, des assurances vieillesse, chômage et autres. Bien évidemment, chacune de ces lignes répond à une mécanique propre, des taux spécifiques, dont les variations, pluriannuelles, doivent être scrupuleusement respectées par l’organisme payeur (le salodepatron) sous peine de poursuites probables.
En tout, il n’est pas rare que cette feuille de paie s’étende langoureusement sur deux pages, écrites petit, et que les calculs, complexes, échappent assez vite tant à la vigilance du payeur que des organismes collecteurs et enfin du salarié qui s’emmerde assez rarement à vérifier que tout y figure bien correctement, que les calculs sont exacts, les taux sont les bons, et les mentions légales complètes. On le comprend, en France, payer ses salariés relève rapidement d’un exercice administratif de haute volée, où le patron, s’il n’est pas aidé d’un expert-comptable, devra se doubler d’un solide fiscaliste pour savoir éplucher les bons codes et retrouver les données et taux sociaux à appliquer.
Il n’était donc que justice que les membres du gouvernement se penchent enfin sur la question pour dépoussiérer un peu ces vilains codes complexes, et nettoient quelque peu la feuille de paie. Vu l’ampleur de la tâche, ils s’y mirent sans doute à plusieurs et relevèrent le défi. Pour eux, une façon évidente de simplifier l’ouvrage consistait à en laisser choir une partie, plof, comme on coupe une jambe gangrenée pour éviter qu’elle emporte le malade tout entier : en réduisant de la feuille l’encombrant calcul des cotisations salariales à sa plus simple expression, on gagnait une place non négligeable. Mieux : en sucrant purement et simplement toute mention des cotisations patronales, la feuille s’en trouvait considérablement allégée.
Youpi. La presse, avertie, n’avait plus qu’à relayer les bonnes idées gouvernementales. Et vas-y que ça nous fait une feuille plus courte (ben tiens, si on fait sauter tous les postes où l’argent s’évapore, c’est d’un coup plus limpide) ! Et vas-y qu’on décortique pour le benêt de salarié ce qui va disparaître, heureux gagnant qu’il est d’une feuille enfin courte et lisible qui n’affichera plus qu’il gagnait en réalité bien plus que la maigre somme déclarée tout en bas avant la fort généreuse « redistribution » effectuée tant par lui-même que par son patron, à son corps défendant mais sans qu’il lui soit laissé le choix, parce que Ta Gueule C’est Magique.
Superbe bond en avant d’une certaine vision édulcorée de la réalité : maintenant, il n’y aura plus de cotisations, mais un simple montant, d’une ligne, correspondant à une disparition (magique) d’un bout de salaire pour aller (toujours de façon magique) abonder à des organismes (sans intérêts) qui font des trucs et des machins en rapport avec la retraite, le chômage et la maladie. Et, d’après les calculs (d’autres, encore plus sioux et raffinés, soyez-en sûrs) de Matignon, cette édulcoration drastique permettra d’économiser plusieurs milliards d’euros par an aux entreprises, à raison d’une dizaine par feuille de paie, par mois.
Notez bien que les calculs, derrière, restent strictement identiques et que le travail ici proposé correspond essentiellement à un « revamping » de la feuille de paie pour la rendre sexy. Le patron (ou son expert-comptable) restera confronté au même casse-tête, aux mêmes taux changeants, aux mêmes avalanches de ponctions diverses allant à différents endroits tous aussi obscurs et mal gérés les uns que les autres. Ces calculs, étant les mêmes, cela veut dire que les deux milliards d’euros d’économies attendues le sont donc sur le toner d’imprimante et le papier des feuilles de paie. Voilà une économie dont le pays ne pouvait vraiment pas se passer.
À la limite, j’encouragerai bien le gouvernement à sauter le pas suivant et débarrasser la feuille de paie de toute mention vraiment complexe, pour aboutir à un modèle résolument plus simple et optimiste, à l’instar de celui présenté ci-dessous.
Cependant … Quand je dis que le casse-tête, pour l’employeur, reste le « même », je veux simplement dire qu’il existera toujours, caché derrière la petite ligne concentrée présentée à ce salarié trop bête ou trop las pour affronter la réalité du paquet affolant de ponctions incompréhensibles sur son salaire. En revanche, grâce à la « simplification » récente, l’ampleur de ce calcul va changer pour … s’accroître encore un peu.
Parce qu’en fait de simplification, on apprend de façon parallèle et pas trop médiatisée (pour le coup) que cette opération de camouflage sur la feuille de paie s’accompagnera au premier janvier 2015 de l’introduction d’une nouvelle contribution URSSAF destinée au financement mutualisé des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d’employeurs. Oui, vous avez bien lu : les changements introduits dans la nouvelle feuille de paie, non contents de dissimuler habilement au salarié le coût réel de sa protection sociale, serviront aussi à faire financer les syndicats directement par le salarié, indépendamment du fait qu’il soit ou non syndiqué. Vous pouvez toujours ne pas vouloir financer la CGT ou FO, vous n’y couperez donc plus.
Et lorsqu’on voit les modalités de ce nouveau financement, on se dit que la fameuse simplification est une nouvelle usine à gaz greffée à la précédente, déjà connue pour être assez monstrueuse. Et le taux, bien évidemment variable d’une année à l’autre, au plancher de 0.014% et plafonné à 0.02%, sera — rassurez-vous, et pour reprendre les termes du décret — fixé par l’accord national interprofessionnel agréé par le ministère et calculé sur une base déplafonnée, voili voilà, c’est très simple, n’est-ce pas. La créature de Frankestein qu’est devenue la feuille de salaire française continue donc son évolution vers le pire, avec un nouveau bras, une demi-jambe et toujours pas de couilles.
Youpi, le délire collectiviste continue donc bon pied, bon œil. On se gaussera de savoir que les Socialistes Officiels (du PS), ou les Honteux (de l’UMP), haïssant le Front National, le financent tout de même grâce à leurs impôts, ou que les fervents électeurs du FN, grâce à leur contribution fiscale, abondent aux caisses du FdG, du NPA ou du PC… Ce système inique est maintenant étendu dans le monde du travail en imposant aux salariés de financer les syndicats qui ont maintes fois prouvé leur parasitisme et leurs gros penchants mafieux, le tout en cavalier d’une « simplification » de la feuille de paie qui vise à conserver les Français dans l’ignorance des coûts réels de leur protection.
Mais ne vous inquiétez pas : tout ceci est prévu, calculé, calibré pour créer de l’emploi, redresser la situation économique française et nous sortir de la crise, si si.
Ce pays est foutu.
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