Les
mois d’été ont été marqués par une
relative, et sans doute inattendue, stabilité sur les marchés
financiers. Outre la reprise des indices boursiers et la baisse des taux
d’intérêt sur les obligations d’État, le
bilan consolidé de l’Eurosystème
n’a guère connu de changement particulier ou de tendance
nouvelle. Le total des actifs a peu varié, de même que
pratiquement tout autre poste individuel.
De
même, les tensions renouvelées que nous avons rapportées
dans un précédent article se sont maintenues. Ainsi, les
emprunts des banques commerciales au titre des opérations
hebdomadaires de refinancement sont restés élevés, à
plus de 130 milliards d’euros, bien plus que les 40 milliards d'euros
qu'ils avaient atteints juste après la deuxième
opération de refinancement de très long terme. Les engagements
externes en euros, nets des créances domestiques en devises, se sont aussi
stabilisées à plus de 120 milliards d’euros, tout près
de leur record historique de 127 milliards d’euros atteint en fin
juillet. Nous y avons vu déjà un indicateur de retrait de liquidités
des banques commerciales de la zone euro.
Une
chose, pourtant, semble bien avoir changé : les contours de la
politique monétaire expansionniste en zone euro se sont
profilés davantage. Mario Draghi
lui-même, président de la Banque centrale européenne
(BCE), est monté au créneau pour affirmer que les canaux de
transmission des outils traditionnels de la politique monétaire ne
fonctionnaient plus, et que par conséquent des mesures exceptionnelles
étaient à envisager. Son argumentation se base sur le fait que
les taux d'intérêt payés dans les pays du centre et dans
les pays périphériques continuent de diverger, qu'il s'agisse
des acteurs économiques privés ou des États
eux-mêmes. Pour M. Draghi, il n'y aurait donc
point de politique monétaire efficace ni d’'union
monétaire viable sans taux d'intérêt unique. Cette
affirmation confond deux visions bien différentes de l'union
monétaire et de la politique la concernant, et mérite
d'être examinée plus en détails.
Une
union monétaire économique viable implique une divergence entre les taux d'intérêt
payés par les différents acteurs économiques. Il en est
ainsi car le taux d'intérêt impliqué dans chaque
transaction de crédit résulte d'un ensemble de facteurs dont
certains seulement sont universels pour tous les agents économiques.
Ainsi, le taux d'intérêt du marché se forme à
partir du taux dit originel, lui-même dérivé des
préférences inter-temporelles des prêteurs et
emprunteurs, auquel s'ajoutent une prime de risque, une prime inflationniste,
et une prime dite entrepreneuriale.
Si
l'activité d'arbitrage des prêteurs tend à uniformiser le
taux originel et la prime inflationniste, les primes de risque et
entrepreneuriale divergent nécessairement. En effet, tous les
emprunteurs ne présentent pas les mêmes garanties de
remboursement, et tous les prêteurs n'ont pas la même
appréciation de la réussite d'un projet d'investissement. La
divergence des taux remplit une fonction économique bien utile –
elle limite la prise de risque en augmentant le coût des
investissements jugés plus risqués.
La
vision de M. Draghi est tout autre,
éminemment politique. Dans cette optique, les taux
d'intérêt devraient être les mêmes pour tous les
acteurs économiques. Toute divergence serait le signe de
l'incapacité de l'autorité monétaire à conduire
une politique unique. Ce point de vue, qui au fond est celui d'un technocrate
impuissant, est critiquable à trois égards au moins.
Premièrement,
si la rareté de l'épargne et les différences de risque
et de jugement entrepreneurial impliquent une divergence des taux, toute
politique visant à l'uniformité des taux ne peut être
sans conséquences. En particulier, une telle politique stimulerait les
prises de risque excessives, et conduirait ainsi à des erreurs
certaines d'investissement. Le capital existant de la société
sera gaspillé, en diminuant les perspectives de croissance.
Deuxièmement,
les dix premières années de l'euro ont été
marqués précisément par l'illusion que la
décision politique d'instaurer une monnaie unique signifiait aussi une
égalisation totale des risques en zone euro. Les investissements en
Grèce et au Portugal étaient considérés aussi
risqués que ceux réalisés en Allemagne et aux Pays-Bas.
C'est cette illusion précisément qui a conduit au
surendettement dans les pays périphériques. Les faillites, la
hausse du chômage et la baisse de l'activité économique
ne sont que d'autres conséquences de ce même cycle
économique.
Troisièmement,
une divergence entre les taux d'intérêt n'implique pas encore
une inefficacité de la politique monétaire au sens de M. Draghi. Même si les taux espagnols et portugais ne
sont pas au niveau des taux allemands, ils sont sûrement
inférieurs à ce qu'ils auraient été sans
intervention monétaire aucune. Le critère d'égalisation
avec les pays du centre est purement arbitraire et ne constitue en tout cas
aucune preuve d'impuissance de la politique monétaire. Pourquoi M. Draghi, constatant le retard relatif d'accumulation de
capital et de croissance dans la périphérie, ne professe-t-il
pas des taux inférieurs à ceux du centre, dans la mesure
où le taux d'intérêt élevé serait considéré
comme un frein à la croissance?
Les
appels à l'impuissance de la politique monétaire traditionnelle
ne doivent pas être pris pour des constats de faits. Bien au contraire,
ce ne sont que des éléments de rhétorique pour justifier
un gonflement encore plus important du bilan de l'Eurosystème.
Cet été aura définitivement été celui de
la consolidation de l'aile expansionniste de la BCE.
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