Quoi
qu’il sorte du sommet européen des chefs d’Etat et de
gouvernement, une page sera tournée demain jeudi. La crise politique
qui couvait est désormais ouverte et a éclaté au grand
jour, le gouvernement allemand continuant d’être à la
manœuvre et s’efforçant de faire avaliser par les 27 les
termes du compromis de Deauville franco-allemand dont il a
été à l’initiative. Suscitant de fortes
réactions négatives.
L’acte
I du scénario allemand avait été d’engager
l’Europe dans la réduction prioritaire des déficits
publics, afin de revenir dans les clous de Maastricht et de préserver
l’euro, l’acte II qui vient de commencer consiste à
trouver une solution pour les Etats qui n’y parviendront pas.
Ce
qui est nouveau, c’est la reconnaissance implicite que la tempête
qui s’est levée et a atteint la Grèce et l’Irlande
ne va pas se calmer, et que d’autres pays risquent d’être
touchés. Que la Grèce, pour commencer, va faire défaut
sur sa dette et qu’il vaut mieux s’y préparer afin que
cela intervienne dans les meilleures conditions. Que le fonds de stabilité
qui a été créé dans l’urgence ne va pas
être en mesure de répondre aux besoins financiers causés
par de nouveaux sauvetages. Qu’il faut donc mettre en place un nouveau
mécanisme et que celui-ci, pour être solide, doit reposer sur un
cadre juridiquement inattaquable, une modification avant 2013 du
traité de Lisbonne révisant son article 125 qui interdit le
renflouement d’un Etat.
Un
mécanisme de crise est donc proposé par les Allemands,
qui provoque d’importants remous. Car il repose sur des
restructurations de dette impliquant les investisseurs,
c’est-à-dire les banques européennes elles-mêmes.
Déjà, le chef de file de l’Eurogroupe, Jean-Claude
Juncker, s’est fermement opposé à ce principe,
qu’il a qualifié « d’inacceptable ».
D’autres voix se sont élevées ces jours derniers pour
vigoureusement défendre le principe de sanctions automatiques en cas
de manquement aux obligations de réduction des déficits.
S’opposant à de simples suspensions de vote des Etats fautifs
prises à la majorité qualifiée, la solution retenue par
le compromis de Deauville. Celles de Jean-Claude Trichet et de
Jürgen Stark, le chef économiste de la BCE. Utilisant ce biais
afin de s’en tenir à l’acte I du scénario allemand,
coûte que coûte, et d’éviter que les banques soient
mises à contribution dans le cadre de restructurations comme
prévu à l’acte II.
Le
gouvernement allemand est lui-même divisé sur la question.
Devant faire face à la crise de son propre système bancaire,
dont il a découvert avec horreur l’ampleur quand la crise a
éclaté, il n’a eu de cesse depuis d’être en
Europe à la pointe de ceux qui ont réclamé de plus
fortes mesures de réglementation financière. Aujourd’hui,
Angela Merkel tire pleinement les leçons de la situation en
considérant que les Etats ne peuvent pas à eux-seuls
éponger les dettes du secteur privé, car ils n’y parviendront
pas.
L’idée
qu’il fallait organiser à l’avance des processus de
restructuration négociée n’était pas nouvelle de
sa part, la nécessité de donner une suite au fonds de
stabilité financier européen lui a donné
l’occasion de formuler son approche et de monnayer un soutien
français à son projet en contrepartie d’accommodements
prévisibles sur le calendrier de réduction des déficits
publics.
Ne
voulant ni s’engager sur d’autres voies pour lui inacceptables
– soit en déléguant d’une manière ou
d’une autre les futures décisions de soutien financier, soit en
assumant une partie très importante en tant que première
puissance économique européenne – le gouvernement
allemand a du répondre à une simple question : où
trouver l’argent ? Derrière le débat sur les sanctions
encourues par les Etats ne respectant pas les règles, c’est donc
une toute autre affaire qui était en cause et qui vient
d’être plus clairement formulée. A suivre.
Billet
invité : François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
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le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de
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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a
travaillé durant les dix dernières années dans le milieu
bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des
prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
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