La crise de la dette américaine a fait germer cette
idée farfelue il y a quelques semaines dans l’esprit de quelques
économises américains : plutôt que d’avoir
à négocier avec le Congrès pour augmenter le plafond de
la dette et permettre au Département du Trésor de vendre plus
d’obligations et de dépenser plus, pourquoi ne pas simplement
frapper une pièce de platine d’un trillion de dollars ?
Cette pièce contiendrait une once de platine, d’une valeur
marché d’environ 1500 dollars. Une valeur d’un trillion de
dollars lui serait assignée par la loi.
Il suffit d’y réfléchir
brièvement pour se rendre compte que cette idée est très
mauvaise.
Je débuterai mon article par une analyse
conventionnelle suivie de mon propre point de vue qui, je
l’espère, pourra vous permettre de voir les choses sous un autre
angle.
Le seigneuriage existe depuis des millénaires.
C’est le seigneuriage qui permet au gouvernement de déclarer
que, par la loi, la valeur d’une pièce est supérieure
à la valeur du métal qu’elle contient. Dans le cas de la
pièce de platine d’un trillion de dollars, le contenu
métal a une valeur négligeable en comparaison à sa
valeur nominale. Frapper une telle pièce reviendrait à
pratiquer une contrefaçon de très grande échelle.
Paul Krugman lui-même
soutient cette théorie, lui qui a pensé la
‘théorie de la vitre brisée’ (oui, il a vraiment
réécrit l’idée erronée de Frederic Bastiat pour en faire une
‘théorie’ : http://www.acting-man.com/?p=19668).
Krugman est persuadé que cette pièce
d’un trillion de dollar ne pourrait pas avoir de retombées
négatives (http://krugman.blogs.nytimes.com/2013/01/07/be-ready-to-mint-that-coin/),
ce qui prouve qu’il faut bel et bien un doctorat pour oublier tout ce
que l’on savait déjà à six ans.
En observant les choses plus en détails, il devient
vite clair que la frappe de cette pièce pourrait changer la donne.
Nous possédons actuellement l’un des pires systèmes
monétaires qui soit, qui permet à une devise soutenue par rien
d’être frappée au bon vouloir d’une banque centrale.
Le seul système qui pourrait être pire que le nôtre est un
système qui permettrait directement aux hommes politiques de
créer de la monnaie.
Je n’ai jamais adhéré à toutes
ces prédictions d’hyperinflation, qui reposent principalement
sur la théorie de quantité de monnaie et de la logique voulant
que les prix augmentent en parallèle à une hausse de la
‘masse monétaire’ (basée sur la dette). Mais cette
pièce d’un trillion de dollar ne serait pas créée
à partir de rien. Et c’est là tout le problème.
Elle serait simplement frappée par le Trésor, selon son bon
vouloir.
Tout comme le pouvoir de l’anneau dans la trilogie
de JRR Tolkien, le pouvoir de création monétaire est bien trop
tentant pour que quiconque lui résiste. Une capacité à
imprimer de manière illimitée s’avèrerait bien
différente du processus actuel d’emprunt, et pourrait sans aucun
doute entraîner une hyperinflation du dollar et de ses
dérivés que sont l’euro, la livre sterling, etc… En
conséquence, ce qu’il reste de stimulation de production sur nos
marchés finirait par disparaître à mesure que personnes
et actifs deviennent improductifs. Nous disposerions de plus en plus de
monnaie contrefaite avec laquelle acheter des quantités
phénoménales de biens, de produits alimentaires et
d’énergie.
Observons maintenant l’impact que cela aurait sur
les marchés du crédit. Aujourd’hui, le crédit est
partout. Et passer depuis l’emprunt à l’impression de
monnaie ne serait pas sans conséquences.
Sur le court terme, nous pourrions assister à une
vague de chaos dans le même temps que les obligations cessent
d’affluer sur les marchés. Les taux
d’intérêts chuteraient-ils à mesure que les
enchères grimpent sur les obligations ? De nombreuses
institutions sont mandatées par la loi pour acheter des bons du
Trésor. C’est l’une des raisons pour lesquelles les taux
d’intérêts ne sont pas définis par les
prévisions d’inflation. Le problème de la dette du Japon
est bien pire que celui des Etats-Unis, et leurs taux
d’intérêts sont moitié moins élevés.
La Fed cesserait-elle sa politique de QE pour acheter des
obligations ? Cela pourrait avoir des conséquences surprenantes.
Il se pourrait très bien que les taux d’intérêts
continuent de chuter malgré l’absence d’achat
d’obligations par la Fed. Un système de devise fiduciaire est un
système fermé. Les dollars doivent bien aller quelque part, et
si vous achetiez des actifs tangibles comme de l’or, alors celui qui
vous aurait vendu l’or obtiendrait vos dollars. Et qu’en
ferait-t-il ? Il les placerait auprès de sa banque ? Et
qu’en ferait la banque ? Elle achèterait certainement des
obligations. Si elle n’achète pas d’obligations, que peut
bien acheter une banque pour
s’assurer un rendement plus important que le taux qu’elle
a payé au déposant ?
Si la Fed ne cessait pas d’acheter des obligations,
la situation pourrait devenir bien plus grave. La Fed possèderait de
plus en plus d’obligations, tout particulièrement parce
qu’elle se concentre sur le long terme. Qu’en seraient les
conséquences si la Fed finissait par posséder toutes les
obligations disponibles ? Plusieurs possibilités me viennent à
l’esprit :
- La
longévité moyenne des obligations possédées
par le public continuerait sa course vers zéro – ce qui est
inquiétant dans le sens où les obligations ne sont pas des
devises, bien que les bons du Trésor à 30 jours en soient
très proche.
- Les
taux d’intérêts chuteraient de manière
significative.
- Les
emprunts à découvert des banques auprès de la Fed,
contractés pour être ensuite prêtés au
Trésor, prendraient fin dans le même temps que les banques
se trouveraient privées de ressources – et comment
pourraient-elles les remplacer?
- Les
bons du Trésor sont utilisés comme collatéral.
Ainsi, des crédits seraient bien plus compliqués à
obtenir.
- Le
débiteur marginal se retrouverait forcé de faire
défaut (http://keithweiner.posterous.com/inflation-an-expansion-of-counterfeit-credit).
- Les
obligations sont utilisées dans de nombreux arbitrages, qui
s’en trouveraient grandement affectés.
Observons le sixième point en considérant
que les actions suivantes soient entreprises simultanément :
1) Emprunt de dollars
2) Achat
de barres d’or
3) Vente
de contrats à terme sur l’or
Ceci pourrait se prolonger tant que la loi suivante
demeure d’actualité :
base or > coûts de financement
Base or = contrats à terme (enchères)
– prix marché. C’est pourquoi pour acheter de l’or
sur le marché, vous devez payer le prix marché demandé,
et pour vendre sur le marché à termes, vous devez accepter
l’enchère. La base or est traditionnellement un chiffre positif
qui fluctue comme tous les autres prix sur le marché.
Les grosses banques ne paient aujourd’hui quasiment
aucun intérêt pour emprunter. Pour de nombreuses raisons sur
lesquelles je ne me pencherai pas ici, les taux d’intérêts
sur le court terme sont généralement (mais, dans un
système fiduciaire, pas toujours) inférieurs aux taux
d’intérêts des obligations sur le long terme. Si les
intérêts des obligations sur le long terme étaient
forcés à la baisse, alors ils tireraient avec eux les
coûts de financement sur le court terme, entraînant une baisse de
la base or. Cela entraînerait une backwardation
possiblement permanente de l’or (http://keithweiner.posterous.com/when-gold-backwardation-becomes-permanent).
Une chute des taux d’intérêts des
dépôts irait à l’encontre des épargnants et
de tous ceux qui vivent d’un salaire fixe, découragerait
l’épargne, et encouragerait la prise de risques dans
l’espoir d’un rendement. Ceci pourrait peut-être déboucher
sur un autre fiasco des prêts immobiliers, ou offrir à la
Grèce l’argent dont elle aurait besoin pour quelques
années supplémentaires.
Si le taux de prêts en or est inférieur aux
intérêts des obligations, alors deux autres lois devraient
être ajoutées à notre liste :
4) Prêt
de l’or
5) Achat
de bons du trésor
Les termes ‘prêts de l’or’ sont
légèrement fallacieux. Ce qu’il se passerait serait un
swap d’or contre des dollars. A maturité, davantage de dollars
devraient être payés sous forme d’intérêts.
A mesure que les taux d’intérêts des
obligations diminuent, la base or diminue également. Mais cela
pourrait également avoir un tout autre effet : décourager
le porteur marginal d’or (les points 2 et 3 impliquent le portage
d’or). Cela entraînerait une hausse de la base or, bien que cela
ne signifie pas que le système monétaire se porte mieux. Cela
pourrait élargir les fondamentaux qui signalent le manque de
coordination économique (phénomène décrit sous le
terme ‘Distorsion’ dans la section 2.1 de cet article : http://keithweiner.posterous.com/a-free-market-for-goods-services-and-money).
Il existe d’autres arbitrages qui impliquent les
obligations et l’or.
Et il existe également d’autres arbitrages
qui impliquent les obligations sans pour autant impliquer l’or.
L’un d’entre eux est le suivant : position à
découvert sur les obligations / position à la vente sur les
actions à rendement élevé. Chacun a sa propre notion de
ce que l’écart entre les deux devrait être.
Les bons du Trésor sont également
utilisés pour finaliser des accords de vente ou de rachat, qui sont un
peu comme des prêts qui nécessitent l’utilisation
d’obligations comme nantissements. Que se passerait-il si les bons du
Trésor étaient rendus moins disponibles parce que la Fed se
mettait à frapper des dollars plutôt que d’en créer
par l’emprunt ? Il serait certainement plus difficile pour les
participants au marché d’obtenir des crédits, ce qui se
manifesterait au sein de l’économie par un ralentissement du
taux d’expansion du crédit (inflation). Cela signifie que dans
un système fiduciaire, le crédit doive constamment
s’étendre. Parce qu’il n’existe pas de moyen de
recourir au problème de la dette, les débiteurs doivent
emprunter de l’argent pour payer leurs intérêts nets.
Cette monnaie nouvellement empruntée est porteuse
d’intérêts qui doivent être empruntés, et
ainsi de suite.
Il existe, en plus de cela, un arbitrage entre les bons du
Trésor et les obligations de sociétés. Cela signifie que
lorsque le taux d’intérêt des obligations diminue, celui
des obligations de sociétés diminue également, ce qui
entraîne une perte de capital pour les débiteurs (http://keithweiner.posterous.com/a-falling-interest-rate-destroys-capital),
voire les forcent à faire défaut.
Il existe de nombreux arbitrages qui dépendent des
obligations. Chacun d’entre eux est affecté par un changement en
matière de taux d’intérêts, et leur analyse
n’est pas une tâche futile. Une analyse de marché
basée sur ces arbitrages représenterait un travail
phénoménal. Mon objectif ici est de vous introduire à
certains des facteurs à prendre en considération, et aux
conséquences qu’implique une transition depuis l’emprunt
à l’impression monétaire. Bien que je ne puisse pas
prédire ce qu’il pourrait en découler, il est clair
qu’imprimer un trillion de dollars aurait des effets pour le moins
destructeurs.
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