Un clou chasse l’autre.
C’est tout du moins ce que doivent se dire les grands de ce monde, dans
l’espoir de ne pas répéter le triste spectacle de
Washington, où a été mise en scène à leur
corps défendant leur incapacité à ne serait-ce
qu’avancer dans la solution de problèmes monétaires qui
les dépassent.
Il s’agit cette fois-ci de
se préparer au G20 de Séoul, dans désormais moins
d’un mois, afin que les chefs d’État ne soient pas soumis
à la même épreuve que leurs ministres des finances.
La ponctuation de la crise par ces
grandes réunions internationales ne produit malheureusement plus son
petit effet, après une intronisation qui a permis de présenter
le G20 sous le jour d’un nouveau directoire mondial capable de tout
prendre à bras le corps. Impliquant désormais de grands efforts
de communication, afin de projeter une image positive de ses participants.
Quel thème flatteur les
dirigeants du monde vont-ils pouvoir choisir afin de redonner
l’impression qu’ils ont conservé
l’initiative, alors qu’elle leur échappe à nouveau
des mains ? Celui de la relance économique n’est plus propice
à des manifestations d’unité, surtout si entretemps la
Fed a annoncé qu’elle relançait la planche à
billet, à l’inverse de la politique de réduction des
déficits préconisée par la BCE. L’épineux
sujet de la crise monétaire s’invitera quant à lui tout
seul et ne pourra être éludé, ce qui est bien
fâcheux. De grandes phrases bien senties sont en préparation,
n’en doutons pas.
Nous assisterons alors à
Séoul au retour d’une vieille connaissance, la thématique
de la régulation financière. C’était prévu
et c’est une aubaine. Car il est plus confortable d’aligner de
nouvelles promesses et de jurer de ne plus se laisser prendre à la
soudaineté d’une nouvelle crise, quand elle interviendra, que de
prétendre indiquer comment sortir de celle qui se poursuit sans que
l’on sache l’arrêter. Et d’être ainsi soumis
à une insupportable obligation de résultat.
Les dossiers de la
régulation financière sont très techniques, à
l’image de la complexité de ce qu’elle prétend
maîtriser, donnant l’occasion de s’y perdre ou permettant
de présenter beau avec des effets d’annonce.
L’échafaudage qui est péniblement construit au fil des
mois de négociations, afin d’amortir la chute d’un
système dont c’est semble-t-il le destin – puisque la
prochaine serait inévitable, est-il déjà annoncé
– est fait de bric et de broc. D’un empilement de mesures, dont
aucune n’est à l’heure actuelle finalisée et
beaucoup encore à l’étude, et dont le calendrier
d’application s’étale sur plus d’une
décennie.
Sa mise au point oppose les mégabanques aux régulateurs, soumis
à de fortes pressions et concédants des compromis,
confrontés à
l’hétérogénéité d’un monde
financier qui cultive ses particularismes tout en jouant dans la même
cour; par construction rebelle à une réglementation unique en
raison de sa diversité.
Bâle III a ouvert la danse,
en proposant d’accroître les fonds propres des banques afin
qu’elles puissent mieux résister à une nouvelle crise.
Mais la définition des nouveaux ratios a déjà été
entraînée par le diable dans le labyrinthe des détails.
La réforme et l’harmonisation des normes comptables – ce
couvercle qui permet de masquer le désastre des bilans bancaires,
associé aux Special Purpose Vehicles
nord-américains – fait du sur-place. Enfin, le dossier des
banques trop obèses pour tomber (TBTF) va être ouvert
à Séoul mais suscite déjà une virulente
opposition de l’Institute for International Finance (IFF), canal
habituel de revendication des mégabanques.
Que reste-t-il à se mettre sous la dent pour Séoul ?
Le vaste monde du shadow banking
(tout ce qui n’appartient pas expressément au monde bancaire
dans le système financier) est toujours largement inexploré et
paraît destiné à le rester. A la petite exception
croyait-on des hedge funds,
ces fers de lance toujours dérégulés de la finance, que
les Européens ont eu des velléités d’encadrer.
Suscitant les foudres américaines du secrétaire
d’État au Trésor soi-même. Le dossier
s’achemine désormais vers un discret compromis entre les deux
parties, que seule la bienséance interdit d’appeler une capitulation.
La délivrance du « passeport Européen »
des hedge funds venus
d’ailleurs pour jouer dans nos murs sera moins scrupuleuse que celle
des permis de séjour et de la green card américaine…
Un os reste heureusement à
ronger. Le traumatisme de la chute de Lehman Brothers et des mesures qui ont du être prises dans
l’extrême urgence – afin d’éviter que tout le
système ne s’écroule pas comme un château de cartes
– n’est pas tout à fait effacé. Il est donc
question de placer à la base de l’échafaudage un
dispositif spécial dont le rôle a été
défini mais la conception donne du fil à retorde. Il vise
à permettre le démantèlement ordonné d’un
établissement financier dans un contexte transfrontalier
(international), en vue de dénouer la pelote de ses engagements
réciproques avec ses confrères. En faisant le moins de vagues
possibles.
Les mêmes causes produisant
les mêmes effets, les Occidentaux sont en passe d’illustrer
à leur façon le grand principe qui a fait la fortune du
démarrage de la croissance chinoise du temps de Deng :
« un pays, deux systèmes ». En
l’appliquant au système financier international et au
régime de démantèlement auquel il va être soumis.
Pour aller à l’essentiel, les Américains veulent
privilégier le démantèlement, mais pas sous l’enseigne
de leur loi sur les faillites (le fameux chapitre 11) ; tandis que les
Européens voudraient jouer les prolongations – comme ils le font
actuellement – en maintenant en vie les banques malades.
Cela mérite que l’on
s’y attarde, car c’est au moment où l’on veut mettre
au point la touche finale à l’échafaudage que l’on
s’aperçoit qu’il y a un vice de base dans sa construction.
Quelle que soit la formule choisie, il faut en effet faire appel à la
contribution des créditeurs – les investisseurs dans les obligations
émises par les banques notamment – et c’est là que
le bât blesse.
Aux États-Unis, la FDIC
(l’agence gouvernementale qui garantit les dépôts des
banques), propose de transférer les parties viables d’une banque
en péril dans une entité qui continuerait à fonctionner
(une good bank par opposition à une bad bank). Sa
direction serait remerciée, ses actionnaires lessivés et ses
créanciers non subordonnés subiraient une
dépréciation de leurs avoirs. Nous y voilà.
Les Britanniques ne sont pas
favorables à ce mécanisme, arguant du fait qu’il ne faut
pas forcer une banque à la liquidation. De manière
générale, les Européens proposent d’utiliser des
instruments financiers tels que les obligations contingentes,
automatiquement transformées en actions en cas de crise d’une
banque et selon un critère convenu d’avance, afin de renforcer
ses fonds propres. Ou des formules de sauvetage intitulées bail-in
– par opposition à bail-out – qui reposent sur le
mécanisme selon lequel une banque en péril se retournerait vers
ses actionnaires et créanciers, sans faire appel aux fonds publics ni
à une quelconque intervention des pouvoirs publics. Ce qui est beau
comme un camion.
Cela soulève de
sérieuses objections, car rien ne dit que les investisseurs se
précipiteront pour acheter ces nouveaux produits financiers
passablement scabreux : on n’attrape pas les mouches avec du
vinaigre ! Or il est prévu de faire appel à eux pour rester
dans les clous réglementaires, quand le respect des nouveaux ratios de
Bâle III deviendra obligatoire.
D’une manière plus
générale, les deux conceptions se heurtent au même
obstacle : faute de traité international, il sera difficile,
voire impossible, d’obtenir la coopération d’États
dont les banques devraient consentir de gros sacrifices pour avoir investi
dans l’une de leurs consœurs liquidée et
démantelée ou subissant un bail-in.
Les suites du sauvetage irlandais
de l’Anglo Irish Bank donnent un
avant-goût de ce qui pourrait se passer dans l’un ou
l’autre des deux cas de figure. Le sort de ses détenteurs
d’obligations non subordonnées n’est toujours pas
réglé. Le gouvernement tentant de mettre en place une
procédure de négociation à l’amiable entre la
banque et ces créanciers, afin d’aboutir à une
dépréciation qui serait votée majoritairement par eux et
s’imposerait à tous. La réaction des marchés,
réfugiés dans leur anonymat, est attendue sur le front des taux
obligataires que l’État irlandais devra consentir en
début d’année prochaine pour lever les capitaux dont il
va avoir besoin. A moins qu’il ne fasse finalement appel au fonds de
stabilité européen, en dépit de toutes les
dénégations de part et autre.
Le gouvernement grec ne vient-il
pas de reconnaître qu’il négocie
« informellement » un report de remboursement de sa
dette au FMI – ce que celui-ci a déclaré être
prêt à envisager si les Européens en sont d’accord
et font de même – tout en se refusant à admettre que
l’on appelle cela une restructuration, un terme trop grossier et
qui fait peur. Ce qui est vrai un jour cesse parfois de l’être le
lendemain.
Les mots ont encore un dernier
pouvoir, quand ils y parviennent. Celui de permettre des faux-semblants. Mais
leur usage alimente un art de gouverner offrant de moins en moins de
ressources.
Mais pour revenir à la
régulation financière, il y a donc loin de la coupe aux
lèvres ! Cahin-caha, l’échafaudage est monté, plus
ou moins solide, mais quand va venir le moment de serrer les derniers
boulons, il va falloir masquer qu’il repose sur du sable. Ne pas faire
appel aux fonds publics tout en n’affrontant pas les marchés
est une gageure.
Que va pouvoir dire le G20 sinon
une fois de plus se réfugier derrière de grands principes ?
Leurs modalités et calendrier d’applications risque
d’être aussi incertaines et lointaines que l’est la
réforme du système monétaire international. C’est
quand, le G20 suivant ?
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un «
article presslib’ » est libre de reproduction
en tout ou en partie à condition que le présent alinéa
soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est
un « journaliste presslib’ » qui
vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il
pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui
tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé
durant les dix dernières années dans le milieu bancaire
américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il
a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
|