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Pour sortir de
la crise, l’État devra-t-il céder ses actifs ? Oui,
selon le député UMP des Hauts-de-Seine Patrick Devedjian, qui a
récemment jeté un pavé dans la mare en évoquant
les « recettes considérables » que
dégageraient d’éventuelles privatisations. Une mesure
nécessaire, mais insuffisante, et moins audacieuse qu’elle
n’en a l’air.
Certes les
privatisations partielles suggérées par Patrick Devedjian
feraient rentrer entre 15 et 20 milliards d’euros dans les caisses de
l’État, comme il l’a lui-même expliqué sur
Europe 1. Si on ne peut parler de « manque à
gagner » pour désigner le pourcentage de PIB que l’État
restitue aux contribuables par le biais du bouclier fiscal,
l’expression est en revanche tout à fait appropriée
concernant les actifs de l’État, que ce dernier a achetés
et qu’il peut donc revendre.
Mais il est
à craindre qu’une cession d’actifs, loin d’annoncer
l’abandon des dogmes interventionnistes, ne soit qu’une rustine
de plus appliquée sur un bateau à la dérive. Si le
gouvernement suivait le conseil de Patrick Devedjian, ce ne serait pas pour
faire un virage à 180 degrés, mais pour continuer tout droit,
en prenant l’argent où il se trouve – au lieu de
créer les conditions favorables à la production de richesses.
M. Devedjian
lui-même, quand il mentionne les entreprises concernées, prend
soin d’ignorer celles dont la privatisation, même partielle,
serait politiquement la plus périlleuse. Il évoque ainsi les
parts de l’État dans le capital de France Telecom (27%), Renault
(15,01%), Aéroports de
Paris (51,13%) ou Air France KLM (15,74%), mais se montre plus discret sur des
entreprises « sensibles » comme La Poste, la SNCF ou
encore EDF qui, avec leurs 526 filiales, totalisent 566 500 emplois
selon l’INSEE – autant d’opposants potentiels à ce
qu’une certaine presse appelle la « reprise des
privatisations ».
Patrick
Devedjian se dit porteur d’un projet décoiffant, et parce que
son projet ne suscite guère d’enthousiasme à l’UMP,
il croit peut-être bousculer les idées reçues sur le
rôle de l’État dans l’économie. Mais « prendre
l’argent où il se trouve » n’a vraiment rien de
novateur.
Il n’est
pas difficile de mal interpréter la proposition de M. Devedjian. Les
privatisations étant d’ordinaire associées au
libéralisme, on s’imagine qu’à travers le
député des Hauts-de-Seine, c’est l’aile
libérale de l’UMP qui se manifeste – cette aile
libérale que Nicolas Sarkozy prétendait ressusciter en 2007,
avec les résultats que l’on sait. Or une mesure d’inspiration
libérale, c’est-à-dire une mesure réduisant le
poids de l’État dans l’économie, peut tout à
fait s’inscrire dans le cadre d’une politique interventionniste
ce qu’il y a de plus ordinaire.
Ainsi
conçue, la privatisation serait inquiétante non de par ses
effets – en soi appréciables – mais de par sa fonction
politique. Autrement dit, privatiser serait pour le gouvernement un moyen de
préserver le système actuel (le « modèle
français ») en faisant quelques concessions mineures, sans
grande incidence sur le ratio public/privé. En l’occurrence, les
privatisations suggérées par M. Devedjian visent
essentiellement les entreprises dans lesquelles l’État n’a
que peu de parts, et ne sont pas de nature à transformer en
entreprises privées les entreprises publiques (une ouverture du
capital d’EDF étant compatible avec la conservation, par
l’État, de 51% des titres).
Dans ces
conditions, on peut se demander si M. Devedjian est le mieux placé
pour donner des leçons d’efficacité à ses coreligionnaires
de l’UMP. À moins que l’efficacité d’un
projet ne se mesure aux sommes qu’il peut faire rentrer dans les
caisses de l’État. Mais cela, le gouvernement y parvient
très bien sans l’aide de l’audacieux Patrick Devedjian.
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