Une solution monétaire pour la Russie

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Published : June 07th, 2017
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La proposition qui suit, si elle était entreprise, aurait un effet significatif sur l’or et sur la relation entre l’or et les devises émises par les gouvernements.

Une remonétisation de l’or par une puissance majeure telle que la Russe attirerait l’attention du public vers les lignes de faille qui naîtraient entre les devises fiduciaires émises par les gouvernements incapables de ou réticents à suivre son exemple, et les devises de ceux qui adopteraient l’or. Nous assisterions à un véritable schisme de l’ordre monétaire international basé sur le dollar.

Les objectifs monétaires de la Russie sont clairs : abandonner le dollar dans le cadre de toutes ses transactions commerciales, une ambition qu’elle partage avec la Chine et ses autres partenaires asiatiques. En plus de cela, sur le court terme, la faiblesse du rouble affaiblit l’économie russe en forçant la banque centrale du pays à imposer des taux d’intérêt élevés pour défendre sa devise et à accroître sa dette en devises étrangères. Il ne fait aucun doute que les sanctions économiques imposées par l’OTAN ont visé à porter atteinte à l’économie de la Russie en faisant plonger sa devise, un objectif auquel elles sont parvenues, le rouble ayant perdu quelques 30% contre le dollar depuis le début de l’année, un déclin qui semble encore se poursuivre aujourd’hui.

La Russie est très consciente du fait que la valeur du rouble en dollars sur les marchés des changes fasse d’elle la grande perdante de la guerre des monnaies dans laquelle elle est aujourd’hui engagée contre les Etats-Unis et ses alliés de l’OTAN. Une solution au problème a récemment été suggérée par John Butler, de chez Atom Capital, qui consiste à l’amarrage du rouble à l’or ou, plus simplement, à l’établissement d’un étalon de change or*. A premier abord, cette proposition peut sembler si tirée par les cheveux que personne d’autre qu’un non-conformiste tel que Butler n’aurait pu l’avancer. Le professeur Steve Hanke, de l’Université John Hopkins, a quant-à-lui proposé l'établissement d'une caisse d'émissions par la Russie en vue de stabiliser le rouble. Le professeur Hanke souligne le fait que la Russie du Nord a rattaché le rouble à la livre sterling avec grand succès en 1918 après la révolution Bolchevique, quand le Royaume-Uni et les autres pays allés ont envahi et brièvement contrôlé la région. Ce qu’il ne dit pas, en revanche, c’est que la livre sterling aurait à l’époque pu être acceptée comme substitut pour l’or au travers de la région, c’est pourquoi l’établissement d’une caisse d’émissions représentait alors l’équivalent d’un étalon de change or pour la Russie occupée.

Le professeur Hanke a conseillé, avec succès, à de nombreux gouvernements d’introduire des caisses d’émissions au fil des années, bien que pour le cas de la Russie, cette proposition puisse aisément être laissée de côté en raison du désir du pays d’abandonner toute relation avec le dollar. En revanche, en l’observant de plus près, la proposition de Butler de rattacher le rouble à l’or paraît certainement faisable. La dette externe du secteur public russe représente seulement 378 milliards de dollars pour une économie de 2 trillions de dollars, et les réserves étrangères de la Russie s’élèvent à un total de 429 milliards de dollars, dont 45 milliards sont conservés sous forme d’or. Cette année, le déficit budgétaire de la Russie devrait s’afficher autour de 10 milliards de dollars, soit considérablement moins qu’1% de son PIB. Ces relations suggèrent qu’un étalon de change or pourrait fonctionner si tant est qu’une certaine discipline fiscale soit maintenue et l’expansion du crédit modérée.

Une fois un taux établi, la Russie ne serait pas restreinte à l’achat et la vente d’or pour maintenir son taux de change. La banque centrale russe aurait le pouvoir de gérer la liquidité du rouble, et comme le souligne Butler, pourrait émettre des obligations à coupons plus intéressantes pour le public que l’accumulation d’espèces. Ces obligations permettraient au public d’obtenir des rendements liés à l’or qui seraient supérieurs aux taux d’intérêt sur l’or indiqués par les taux de prêts d’or du marché de Londres. Ainsi, à mesure que serait établi un environnement de monnaie saine, le public devrait ajuster ses affaires financières autour de taux d’intérêt considérablement inférieurs aux 9,5 à 10% actuels - mais dans un contexte de monnaie saine, ces intérêts doivent toujours être remboursés. La banque centrale russe aurait bien évidemment à contrôler l’expansion du crédit pour s’assurer à ce que la baisse des taux d’intérêt ne mène pas à une hausse dangereuse des prêts bancaires, et ne mette pas en danger le nouvel arrangement.

En clair, la banque centrale pourrait facilement limiter les échanges de roubles contre de l’or en faisant sortir des roubles de la circulation et en restreignant le crédit. Les roubles qui résident entre des mains étrangères devraient également être pris en considération, mais la situation actuelle semble favorable. Les spéculateurs des marchés étrangers ont de grandes chances d’avoir vendu leurs roubles contre des dollars et des euros en raison de la situation en Ukraine et face à la baisse du prix du pétrole. L’annonce de l’établissement d’un nouvel étalon de change or pourrait donc mener à une hausse de la demande étrangère en roubles au travers des marchés des changes étrangers, parce que ces positions auraient de grandes chances d’être fermées. Parce que l’appétit des marchés des capitaux occidentaux pour l’or physique est aujourd’hui limité, ceux qui possèdent des roubles sur le long terme n’auront que peu de chances de choisir de les échanger contre de l’or, et seront plus enclins à les échanger contre d’autres devises fiduciaires. Le moment est donc opportun pour introduire un étalon de change or.

La plus grande menace à laquelle ferait face une parité rouble-or prendrait probablement la forme d’une hausse des achats de roubles par les banques commerciales de Londres et de New York, en vue de les soumettre à la banque centrale russe en échange de métal physique pour couvrir leurs positions à découvert sur le marché de l’or. Cette menace pourrait être éliminée par l’établissement de réglementations limitant les échanges de roubles contre de l’or aux opérations commerciales légitimes, ainsi qu’en permettant l’émission de roubles en échange de métal physique dans le cadre d’échanges non-commerciaux.

La gestion d’un tel arrangement n’a donc rien d’impossible. Le taux de change pourrait être établi autour du niveau actuel de 60.000 roubles par once. Plutôt que d’intervenir sur les marchés des devises, la banque centrale russe pourrait utiliser ses réserves de devises pour établir et gérer des réserves d’or suffisantes pour contrôler le taux de change rouble-or.

Une fois un taux de change établi, l’or aurait de fortes chances de se stabiliser par rapport aux autres devises, et de voir son prix grimper à mesure que le métal se trouverait remonétisé. Après tout, la Russie dispose de 380 milliards de dollars de réserves de devises étrangères, dont une grande partie pourrait être redéployée pour acheter de l’or. Cette somme représente 10.000 tonnes d’or aux prix actuels. Pourront également y être ajoutés les revenus en devises étrangères tirés des exportations énergétiques. Si d’autres pays suivaient l’exemple de la Russie en établissant leurs propres étalons de change or, ils deviendraient eux-aussi des vendeurs de dollars contre de l’or.

Le taux de croissance du coût de la vie devrait commencer à ralentir pour la population russe à mesure que le rouble se trouverait stabilisé, notamment en matière de produits essentiels à la vie de tous les jours. Ce qui aurait des implications politiques positives en comparaison à l’inflation actuelle des prix des biens alimentaires, qui s’élève à 11,5%. Au fil du temps, l’épargne domestique pourrait gonfler, alimentée par la réduction des dépenses sociales de l’Etat, la stabilité monétaire de long terme et la réduction des taxes. En naîtrait un environnement idéal au développement d’une base manufacturière solide, comme l’a démontré l’expérience d’après-guerre de l’Allemagne, mais sans dépenses sociales élevées et les taxes qui leur sont liées.

Les économistes occidentaux qui se concentrent sur la gestion de la demande percevraient comme folie la décision de la banque centrale russe d’imposer un étalon or et d’abandonner la capacité d’élargir sa masse monétaire indéfiniment. Mais ils ignorent les preuves empiriques que nous offre la Grande-Bretagne de 1844. Ils ne comprennent pas que l’inflation monétaire génère une incertitude monétaire pour l’investissement en capital, et détruit l’épargne qui est nécessaire à son financement. Ils croient en l’idée fausse selon laquelle le progrès économique peut être géré au travers de la débauche de la devise domestique et de la négligence de la destruction de l’épargne.

Ils ont tendance à croire que la Russie a besoin de dévaluer ses coûts pour rendre l’extraction énergétique et minérale profitable. C’est, ici aussi, une idée fausse exposée par l’expérience des années 1800, alors que les intérêts étrangers du Royaume-Uni, qui fournissaient à l’Empire les matières premières dont il avait besoin, opéraient sous un régime sterling basé sur l’or. En refusant d’être accablée par une dette et des dépenses sociales trop élevées, et en maintenant des marchés du travail flexibles et peu règlementés ainsi qu’un budget équilibré, la Russie peut aisément couler les fondations d’un Empire eurasiatique et établit son propre étalon or. Comme la Grande-Bretagne après les guerres napoléoniennes, l’avenir de la Russie est désormais une question de nouvelles opportunités plutôt que de préservation d’anciennes industries et institutions.

Ce n’est là qu’un aperçu des raisons pour lesquelles la Russie devrait considérer une telle décision. Mais si elle saisissait cette opportunité et établissait un étalon de change or, d’autres ramifications seraient à prendre en considération en termes de relations économiques et géopolitiques entre la Russie et le reste du monde.

Un avantage important de l’adoption d’un étalon de change or est qu’il serait difficile pour les nations occidentales d’accuser la Russie d’avoir voulu saper le système monétaire basé sur le dollar. Après tout, on a bien dit au président Poutine, à l’occasion de la réunion du G20 à Brisbane, de laquelle il s’est retiré plus tôt que prévu, que la Russie n’est plus la bienvenue en tant que participante aux affaires internationales. N’oublions pas non plus que l’un des grands arguments de la Fed demeure que l’or n’a plus aucun rôle à jouer en matière de politique monétaire.  

Si elle décidait d’adopter un étalon or, la Russie soulèverait des questions fondamentales quant à la position des autres nations du G20 par rapport à l’or, et entraverait les tentatives des banques centrales occidentales de le démonétiser. Une telle décision pourrait marquer le début de la fin du système monétaire international basé sur le dollar en divisant les devises entre deux camps : celles qui suivront la Russie et son étalon or, et celles qui ne le pourront ou ne le voudront pas. L’élément déterminant en serait certainement le niveau de dépenses gouvernementales, notamment en matière sociale, parce que les gouvernements qui tirent trop de capital de leur population et risquent de voir grimper leurs dépenses sociales seraient incapables de satisfaire les conditions requises par un rattachement de leur devise respective à l’or. Nous pouvons inclure à cette catégorie une grande majorité des nations avancées, dont les devises sont notamment le dollar, le yen, l’euro et la livre sterling. Les pays qui ne souffrent pas d’un tel fardeau et profitent de taux d’imposition très bas auraient la possibilité d’établir lueur propre étalon de change or pour se protéger de crise fiduciaires futures.

L’examen au cas-par-cas de ces autres pays n’est pas l’objectif de cet article, mais les candidats potentiels incluent la Chine, qui travaille aujourd’hui à un objectif similaire. La Russie pourrait ne jamais établir d’étalon de change or, mais Vladimir Poutine semble aujourd’hui chercher à consolider le contrôle politique et économique de la Russie sur la région eurasiatique, et à tourner le dos à l’Amérique et à l’Europe occidentale. L’établissement de l’Union économique eurasiatique, la domination de l’Asie en partenariat avec la Chine au travers de l’Organisation de coopération de Shanghai, et les projets d’établissement d’un système bancaire alternatif au réseau SWIFT en sont des preuves suffisantes. Il serait donc imprudent d’ignorer la seule décision potentielle susceptible de mettre fin aux tentatives des pays étrangers d’affaiblir le rouble et l’économie russe : le déplacement des guerres des monnaies depuis les marchés des changes vers le marché de l’or, duquel la Russie et la Chine détiennent tous les atouts.

*Techniquement, un étalon de change or est un étalon monétaire basé sur l’or en tant que marchandise, au sein duquel les billets en circulation sont garantis par de l’or et les pièces d’or en circulation. Un étalon de change or permet également à d’autres métaux d’être utilisés sous forme de pièces, et à des devises et du crédit d’être émis sans garantie par du métal physique, si tant est qu’ils puissent être échangés contre de l’or sur simple demande auprès de la banque centrale.

 

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Pas de spéculation possible.
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