Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Faut-il
y voir une illustration de la crise de la dette publique qui monte et du
besoin qu’ont les Etats de réunir des fonds, ou bien
l’expression de la nécessité dans laquelle les
gouvernements occidentaux sont de répondre au moins symboliquement aux
attentes de leur opinion publique ? Le dossier de la taxation des banques est
quoiqu’il en soit en passe de revenir en force dans
l’actualité.
Le
coup d’envoi de la saison va être donné mercredi par le
gouvernement allemand, qui va dévoiler son propre projet en conseil
des ministres, en présence très médiatisée de
Christine Lagarde.
On
se rappelle que le FMI avait reçu mandat du G20 de fournir un rapport
à ce sujet en avril. Nous y sommes presque, et le FMI vient de
prévenir qu’il va ramasser les copies, afin de s’atteler
à la rédaction de la motion de synthèse. Car tous ou
presque s’y sont mis : les Américains, les Britanniques, les
Allemands, même les Suisses… Les Français étant
à la traîne.
Chacun
vient avec son projet, généralement encore très flou,
augurant d’une belle cacophonie que le FMI va avoir pour tâche de
réduire. Alors que l’enterrement d’une taxe sur les
transactions financières, dans la lignée de la taxe Tobin, est
désormais acquis, au profit d’une taxe sur les établissements
financiers. Ce qui est loin de simplifier le problème, tout au
contraire, comme on va le voir !
Dans son
rôle, après avoir mis les dernières pelletées de
terre sur la taxe sur les transactions financières, Dominique
Strauss-Kahn vient tout juste de plaider pour une « solution
globale », tout en reconnaissant que les propositions
recensées sont « sinon totalement, du moins partiellement
incompatibles entre elles ».
Il
y a donc foule de questions et autant de réponses, quand on essaye de
mettre à plat le dossier. Elles portent d’abord sur
l’identification de ceux qui vont y être assujettis. Les
Américains envisagent de ne taxer que leurs 50 plus grandes banques,
les Allemands voulant exclure au moins partiellement les caisses d’épargne
et les mutuelles, les autres ne disant rien à ce propos.
La
question se complique quand on évoque le montant de la taxe. Les
Américains voulaient, avant que la moulinette du Congrès
n’intervienne, qu’elle soit modulée suivant les prises de
risque des établissements et qu’elle permette à
l’Etat de récupérer jusqu’à 117 milliards de
dollars, montant maximal des pertes sur le plan de sauvetage du
système financier selon le Trésor. Les Allemands
prévoient pour leur part qu’elle rapporte un milliard
d’euros par an, afin de réunir de 1 à 2% du PIB, soit de
25 à 50 milliards d’euros, et envisagent aussi de la moduler,
cette fois-ci en fonction du rôle et du poids de chaque banque dans
l’économie.
La
tentation de l’inscrire dans une logique assurantielle est forte chez
certains, repoussée par les Britanniques et les Français qui y
voient un renforcement de l’aléa moral. Ces deux derniers ont
l’intention de verser le produit de la taxe au budget
général de l’Etat. Avec quelle affectation ? Les
Français évoquent sans plus de précision la lutte contre
le changement climatique ou le financement du développement. Les
conservateurs britanniques annoncent que s’ils sont élus la taxe
permettra de « rembourser les contribuables de l’aide
qu’ils ont apportée et de les protéger à
l’avenir ». Les Allemands prévoient la
création d’un fonds spécial qui servira à financer
des coûts de restructuration en cas de nouvelle crise.
La
montagne, suivant l’expression consacrée, risque
d’accoucher d’une souris. Car si l’on voulait éviter
tout renforcement de l’aléa moral, comme chacun va
l’annoncer avec force, il suffirait d’affecter le produit de la
taxe à la réparation des dégâts qui ont
été causés, comme une contribution à la
réduction du déficit public crée par le sauvetage des
banques privées.
Au
lieu de cela, il est prévisible que le produit de la taxe va
prétendre s’inscrire dans un dispositif préventif, au
caractère plus symbolique qu’autre chose. Les dispositifs les
plus sophistiqués ne vont pas manquer d’apparaître, afin
de combattre l’aléa moral, dont l’application risque de
poser plus de problèmes qu’ils n’en résoudront.
Celui
qui est en bonne place pour remporter le prix du plus loufoque a
déjà été formulé et consisterait à
tenir rigoureusement secrète la liste des établissements
financiers qui pourraient bénéficier des fonds recueillis, afin
qu’aucun ne soit incité à fauter ! On voit par avance
Goldman Sachs, JP Morgan, HSBC, Deutsche Bank et BNP Paribas
s’interroger gravement pour savoir s’ils figurent ou non sur la
liste avant de se lancer dans une opération financière plus
risquée que d’habitude… Bref, on cherche en vain le
caractère dissuasif de la taxe envisagée et l’on ne peut
y trouver qu’un renforcement de l’aléa moral, même
modeste, qu’elle va prétendre combattre.
On
compare ensuite les sommes qui pourraient être réunies avec
celles qui ont été déjà consacrées, non
seulement au renflouement proprement dit des établissements financiers
en détresse, mais aussi avec les montants des crédits
qu’il a été nécessaire d’allouer à la
réparation des dommages collatéraux que leurs errements ont
causés dans l’économie. On additionne ainsi les
coûts directs et indirects. Et l’on se pose la question : les
gouvernements occidentaux vont-ils essayer de faire croire que les quelques
dizaines de milliards d’euros ou de dollars qui auront
été amassés plus ou moins rapidement seront à la
hauteur de la tâche ? Et, question subsidiaire, qu’ils
seront réunis à temps ?
Un
consensus risque en effet vite de s’établir entre eux autour de
l’idée qu’il ne faut pas entraver par un
prélèvement trop important la capacité des banques ; on
devine que la taxe risque d’être assez symbolique au regard des
chiffres d’affaires et bénéfices des mégabanques.
L’impression
qui prévaut est que le projet de taxation des banques est avant tout
une opération de communication de même nature que l’a
été celle des paradis fiscaux, qui va occuper les dirigeants
mondiaux le temps de la photo. Et nous, par médias interposés,
nettement plus de temps.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
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le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
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Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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