Pourquoi la reprise des économies
occidentales, tant espérée par nos politiciens pour nettoyer
les écuries d'Augias de l'endettement public, ne sera-t-elle, dans le
meilleur des cas, que molle ? Pourquoi n'est il pas hélas
inenvisageable de croire à une nouvelle phase de récession ?
Parce qu'entre autres effets pervers de l'éclatement de l'actuelle
bulle immobilière, le pire de tous est peut-être le
"lessivage" complet du patrimoine des classes moyennes, observable
aux USA, comme nous allons le voir, mais que l'on peut certainement anticiper
de la même façon dans des pays tels que l'Espagne et la Grande
Bretagne, qui ont eux aussi usé et abusé du crédit
hypothécaire rechargeable pour financer non seulement des mal-investissements
immobiliers, mais de la sur-consommation basée sur des valeurs
artificiellement élevées des actifs immobiliers existants.
Le patrimoine net
immobilier au plus bas
Le graphique ci dessous (source: calculated risk blog, à partir de
données brutes FED) représente le solde de la valeur du
patrimoine immobilier américain minoré par la dette des
ménages, en pourcentage de la valeur totale du patrimoine:
Equity%= (P-D)/P ou encore E%=1-D/P
La situation observée depuis 2006 est unique, avec une chute du
patrimoine net de sa fourchette historique de 60-70% à 34% en 2009 et
encore 38% début 2010.
Dans les premières années de bulle, le ratio est resté
à peu près stable, ce qui montre que le prix immobilier a
purement et simplement suivi l'augmentation généralisée
de l'endettement. Puis en 2006, lorsque la capacité d'endettement de
nouveaux acheteurs a commencé à s'amenuiser, la valeur des
maisons dans les états les plus bullaires a commencé à
chuter, alors que la dette, elle, est restée. La légère
remontée de la fin de 2009 s'explique à la fois par le
début du désendettement des ménages, qui devrait se
prolonger, et un soutien gouvernemental aux prix des logements qui ne pourra
pas durer. Bref, le rebond ne traduit pas, selon moi, une tendance de fond.
Signification pour
la classe moyenne US
Or, il y a 75 millions de maisons principales aux USA occupées par
leur propriétaire aux USA, dont 24 millions "libres
d'hypothèques", soit 32% du total. Il n'existe pas de statistique
sur ces 32% de logements "libres d'hypothèques", on pourrait
admettre qu'ils représentent 32% de la valeur totale, mais la
réalité est sans doute plus proche de 28-30%: les dettes des
ménages dans les états les moins bullaires sont sans doute
moins élevées, plus vite remboursées, et les changements
de maison purement spéculatifs y ont été sans doute un
peu moins vifs qu'ailleurs.
En admettant que ces 32% représentent 30% de la valeur totale du
patrimoine immobilier américain, ce qui ne doit pas être trop
éloigné de la vérité, cela nous laisse 68% des
propriétaires avec une hypothèque sur le dos qui ont vu fondre
leur valeur patrimoniale nette moyenne à environ 8% de la valeur
totale du parc de logements US. Ce chiffre de 8% inclut les 14 millions de
ménages sur 51, soit 27% des ménages avec hypothèque,
qui sont actuellement considérés comme étant en
"negative equity", c'est à dire que leur dette est
supérieure à la valeur de leur maison.
La valeur du parc de logements US a fondu de 23 mille Md$ fin 2006 à
16,5 Mille Mds fin 2009. Dans le même temps, l'endettement
hypothécaire des ménages a atteint 10,5 KMd$.
La valeur nette totale du patrimoine des ménages (incluant les actifs
non immobiliers, essentiellement financiers) a quant à elle
décru de 64 KMd$ en 2005 à 54 KMd$ fin 2009 avec une
chute à 48KMd$ au premier trimestre 2009 (source PDF). Mais la
richesse financière, hors immobilier, a toujours été
fort inégalement répartie, les 80% des ménages les moins
riches n'en possédant que 7%, dont une bonne partie dans leurs comptes
épargne retraite 401K. La richesse immobilière nette
transférable de la classe moyenne américaine soumise à
une hypothèque (48% du total des ménages) sur sa maison est
donc tombée à environ 8% de 16,5 KMd$, soit... 1300 Md$,
à peine 2,5% du patrimoine net total des américains.
Et la chute n'est
pas terminée.
Il semblerait que les banques, qui "trainaient" pour enregistrer
l'afflux de banqueroutes personnelles, aient
augmenté le rythme des ventes liquidatives.
Autrement dit, elles se sont servi du cadeau tombé du ciel, à
savoir le plan de sauvetage Paulson-Bernanke, pour reconstituer un peu de
trésorerie durant l'année comptable 2009, non sans omettre de
se verser de gros bonus (on ne sait jamais ce que l'avenir
réserve...), et maintenant que les normes comptables les obligent
à nouveau à enregistrer en temps "presque
réel" les pertes sur leurs prêts non performants, elles se
mettent à enregistrer les faillites de leurs clients plus rapidement.
Par conséquent, les "ventes à l'encan" vont reprendre
de plus belle, promettant une poursuite de la baisse de la valeur
patrimoniale du parc de logements US. Cette baisse affectera en premier lieu
les ménages sous hypothèque, dont le pourcentage en negative equity va
encore augmenter. D'autant plus que les programmes fédéraux
d'aides aux emprunteurs en difficulté vont bientôt atteindre
leurs enveloppes plafond.
La suspension des règles comptables strictes pendant un an et les
programmes de subventions aux ménages ont permis d'enregistrer le
léger rebond technique du patrimoine immobilier net observé fin
2009 : mon pronostic est que cela ne durera pas.
Conséquences
économiques
La classe moyenne américaine est le poumon de son économie.
C'est parmi cette classe que l'on trouvera les fondateurs et les financeurs
des nouvelles entreprises de demain. Sans cette classe moyenne prompte
à s'enthousiasmer pour nombre de jeunes entreprises dont certaines
deviendront des stars de la cote (Apple,
Microsoft, Intel, Wal Mart, Google... toutes fondées après
guerre), et dont des milliers constitueront une légion
d'entreprises moyennes faisant vivre et prospérer une grande
majorité des ménages, les innovations qui permettront de sortir
de la crise auront plus de mal à émerger que par le
passé.
Pour la première fois depuis que la statistique existe, la classe
moyenne est du point de vue de son patrimoine "lessivée" par
son surendettement. Par conséquent, elle ne pourra plus financer
comme elle l'a fait hier son écosystème de l'innovation.
La
stratégie gouvernementale visant à tenter de regonfler le
dénominateur P (patrimoine) de l'expression 1-D/P est un échec.
Le seul moyen de redonner à la classe moyenne la possibilité de
financer les emplois de demain, et d'en tirer profit, en quelque sorte, de
ressusciter le rêve américain, est d'en réduire la dette
D, c'est à dire d'accélerer les faillites inévitables,
pas de les retarder par des artifices qui ne laisseront derrière eux
qu'un peu plus de dette à la charge de l'état...
Bref, la
"reprise" que le rebond des marchés financiers est
censée nous annoncer, ne repose pas sur des fondations solides.
Il faut que les comptes des
ménages, des entreprises non financières et des banques
prennent en compte les prêts impossibles à rembourser, les
produits dérivés impossibles à honorer, enregistrent les
pertes correspondantes, provoquent les échanges
de dette contre capital que ces faillites
induisent, et qu'une fois cette purge faite, on s'interroge sur
l'environnement économique et institutionnel capable de garantir que
la croissance retrouvée se fera sur des bases plus saines, c'est à dire à
l'abri de la formation de bulles de dettes telles que celle que nous venons
de la vivre. Mais c'est une autre histoire.
Vincent Bénard
Objectif Liberte.fr
Vincent Bénard est Président de l'institut Hayek
(Bruxelles) et Senior Fellow de Turgot
(Paris), deux thinks tanks francophones dédiés à la
diffusion de la pensée libérale, et sympathisant des deux seuls
partis libéraux français, le PLD et AL.
Publications
:
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec
Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen",
2003, La doc française, avec Pierre de la Cos