(L'article original a été publié dans Moneyweek le
01/04/2011 sous le titre : Les chiffres de la faillite de la FED).
En premier lieu il faut rendre hommage au peuple japonais, à son courage
et à sa dignité.
J'expliquais dans un précédent article, les risque d'extension de la crise
de la dette souveraine aux États-Unis, le séisme et le tsunami au Japon nous
ont fait passer dans une autre dimension puisqu’il y a un risque de
catastrophe nucléaire.
Allons-nous vers une nouvelle crise?
La FED est-elle en faillite ? :
Dans un excellent article Moneyweek explique que la FED, depuis le 6
janvier 2011, s'est placé sous la protection du Trésor. En effet cette
dernière a acquis pour 1250 milliards de dollars de Mortgage-Backed
Securities (qui sont des obligations adossées à des hypothèques), alors que
ses fonds propres ne sont que de 50 milliards de dollars, soit un rapport de
25 (1250/50).
Le problème c'est que ces MBS ont été acquis à leur valeur faciale (et non
pas à leur valeur de marché), il suffirait donc que ces actifs financiers
baissent de 4%, pour que ses fonds propres soient absorbés. En tenant compte
de ses réserves, il faudrait une baisse de 10 %.
Vu la situation du marché immobilier qui s'enfonce dans la crise, on peut
considérer que les MBS ont perdu au minimum entre 30 et 40% de leur valeur.
Évidemment la FED n’est pas en faillite puisque le Trésor va convertir ces
dettes en dettes à long terme (de la FED envers le Trésor), avec un coût
exorbitant pour le contribuable américain.
Mais ajoutons à cela que le Trésor américain a décidé de vendre 142
milliards de dollars de titres adossés à des crédits immobiliers (Agency-Guaranteed
Mortgages-Backed Securities), à un rythme de 10 milliards de dollars par mois
si le marché le permet.
Décision qui paraît surprenante, vu les derniers chiffres du marché
immobilier, et qui traduit tout simplement les besoins de liquidités du
Trésor. Ceci devrait, en outre, aggraver la crise de l'immobilier américain.
Le scénario du krach des bons du Trésor se dessine
Dans ce contexte très particulier, le plus gros fonds obligataires du
monde (Pimco Total Return avec un encours de 230 milliards de dollars
environ), géré par PIMCO, a décidé de liquider sa position en obligations
d'État américaines.
Selon ses calculs la FED aurait acquis, depuis le début du QE2 (politique
d‘assouplissement quantitatif), 70% de la dette américaine.
" Qui va acheter des obligations de l'État fédéral quand la FED ne le
fera plus" s'interrogeait le patron de Pimco, Bill Gross, dans son
commentaire de mars. Sa réponse :"je n'en sais rien". Cela ne veut
pas dire que ces titres ne trouveront pas d'acheteurs, mais ceux qui se
présenteront, ne se contenteront pas du taux actuel pour la note à 10 ans :
3,36%. Il faut rappeler que leur taux suit la croissance nominale anticipée
du PIB, soit 5% selon le modèle de PIMCO commenté par Bill Gross dans sa note
de mars. Manquent donc 150 points de base (1,5%).
Ajoutons que ce scénario ne tenait ni compte du printemps arabe, ni de la
catastrophe au japon.
Les révolutions arabes après avoir provoqué la chute de Ben Ali (Tunisie)
et de Moubarak (Égypte) et fait chanceler Kadhafi, s’étendent au Yémen, en
Syrie, à Bahreïn et menace l’Arabie Saoudite. Elles traduisent la volonté des
peuples arabes (surtout de la jeunesse arabe) d’accéder à la démocratie ainsi
qu’à un partage plus équitable des richesses : la rente pétrolière ne suffit
plus à assurer la paix sociale. Les dirigeants de ces pays vont devoir
utiliser leurs réserves de change afin de développer des projets industriels
qui permettront de stimuler la croissance et l’emploi (notamment des jeunes).
Les États-Unis risquent donc de perdre un de leur principal bailleur de fonds
: les pays du golfe.
Quant au Japon il a été frappé par un tremblement de terre d’une puissance
inégalée, par un tsunami et une catastrophe nucléaire. Cette dernière est
moins grave que celle de Tchernobyl mais le lait et les légumes de la région
touchée ont été interdit à la vente et l’eau à Tokyo est considérée comme
impropre à la consommation des nouveau-nés. Le Japon va donc sortir des
radars de la mondialisation pendant au moins 6 mois avec toutes les
conséquences que l’on peut imaginer pour l’industrie électronique
(semi-conducteur), automobiles (pièces détachées) et en tant que centre
financier.
Les Japonais afin de stabiliser et reconstruire leur économie vont
rapatrier massivement leurs fonds, notamment les compagnies d’assurances. Le
Japon est le second plus gros détenteur de bons du trésor juste derrière la
Chine avec un en cours de 815 milliards de dollars (soit 20%). C’est pour
cette raison que le yen a atteint un record historique vis à vis du dollar.
Les États-Unis vont perdre leur second plus gros bailleur de fonds.
Enfin le printemps arabe et la catastrophe au Japon vont accentuer la
hausse du prix des matières premières agricoles ainsi que du pétrole. Quant à
la paralysie de l’économie japonaise, elle va faire flamber le prix des
semi-conducteurs et des pièces détachées automobiles. Ces tendances vont
accentuer le grand retour de l’inflation qui va frapper de plein fouet les
détenteurs d’obligations.
Le vrai rendement que voudront les acheteurs de bons du Trésor
Si on tient compte du retour de l'inflation, du printemps arabe et de la
catastrophe au Japon, il faut ajouter au taux de 5%, une prime de risque de
10%, soit un taux de 5,5%. Ce taux traduit la monétisation systématique des
déficits et l'augmentation du risque : le ratio service de la dette /
recettes fiscales va s‘envoler. Il y donc un risque non négligeable
d’implosion du marché des bons du trésor US, à partir du second semestre
2011. La FED, dans ce contexte, ne pourra prolonger au-delà du mois de juin
sa politique d'assouplissement quantitatif. Quant à la Chine, elle sera
réticente à continuer de financer la dette publique américaine. Voilà un
début de réponse à la question de Bill Gross.
En outre, ces tendances seront amplifiées par la crise de la dette
souveraine dans la zone euro, où rien n'est réglé; et la crise des muni bonds
(obligations réservées aux collectivités locales aux États-Unis) qui traduit
les difficultés financières des États fédérés (Californie, Wisconsin, Pennsylvanie
.......).
Un QE3 pour retarder le KO (krach obligataire) ?
Évidemment, il y a un autre scénario, car il faut tenir compte du facteur
politique : les États-Unis feront pression sur les États du Golfe et la Chine
afin qu’ils continuent d’acheter des bons du trésor et prolongeront leur
politique d’assouplissement quantitatif (QE3). Mais ce ne sera que partie
remise : les pays du Golfe savent que s'ils veulent survivre, ils doivent
répondre aux aspirations démocratiques et au développement économique de
leurs populations. Quant à la Chine elle mise, à long terme, sur l'euro et
l'or.
En conclusion, pour sortir de la crise, on a imaginé aux
États-Unis (et ailleurs), la stratégie suivante : les États se sont
massivement endettés afin de renflouer le système bancaire. Ils ont emprunté
(bien au-delà de leurs possibilités) des fonds, qu’ils ont prêtés aux
banques. Ces mêmes banques ont acheté des obligations d’Etat. On a créé une
bulle de la dette publique qui implosera inéluctablement quand les taux remonteront.
La faillite des États risque d’entraîner celle de la démocratie : difficile
d’expliquer aux gens, que ceux qui ont provoqué la crise, ont été renfloués à
coups de milliards, et que les autres doivent se serrer la ceinture. Mais le
pire n’est jamais certain, il n'est que probable.