S’il existait un prix Pulitzer
de l’imbécilité, je ne doute aucunement qu’il aurait été décerné au rapport publié
lundi par le New York Times, intitulé The
Unrealized Horrors of Population Explosion. L’ancien « journal
des records » voudrait nous faire croire que le ciel est la seule limite
à l’expansion de l’activité humaine sur notre planète. Qu’aucun obstacle ne
se présente devant nous. L’article, et la vidéo qui l’accompagne, ont été
préparés par une équipe de vingt-trois journalistes. Le Times mériterait un
autre prix pour avoir déniché tant d’idiots à qui affecter une seule tâche.
En plus de faire
pleuvoir les critiques sur le dos du biologiste de l’université de Stanford,
Paul Ehrlich, auteur de The
Population Bomb (1968), ce « rapport de crise »
on-ne-peut-plus imbécile passe à côté de tous les fiascos imaginables. C’est
certainement là ce qui se passe quand on ne perçoit le monde qu’au-travers de
l’écran de son téléphone.
Le point principal
développé par l’article est le problème de l’alimentation d’une population en
constante augmentation, point qui a soi-disant déjà été réglé par le
scientifique Norman Borlaug dans « Révolution verte », qui a donné
au monde ses plantations de céréales hybrides à haut rendement. Faux.
« Révolution verte » avait beaucoup plus à voir avec la conversion
d’énergie fossile en nourriture. Et qu’arrivera-t-il à la population du
monde quand même cela ne sera plus possible ? Nos vingt-trois
journalistes ont-ils pu se rendre compte que le monde ferait alors face à des
défis additionnels comme l’épuisement des réserves d’eau et la dégradation
des sols agraires ? Ou les modifications génétiques sont-elles désormais
nécessaires au maintien de la production de céréales ?
Ils ne s’en sont pas
aperçus, parce que le Times se tient fermement dans le camp du
techno-narcissisme, et croit dur comme fer que les conséquences
non-anticipées de la technologie et les surinvestissements sur le secteur
pourront être contrebalancés par davantage de technologie – une idée dont la
cousine voudrait que l’on puisse régler la dette globale en générant toujours
plus de dette. Si vous cherchez à comprendre pourquoi les débats concernant
nos problèmes les plus pressants sont complètement stériles, n’allez pas
chercher plus loin que cet article, qui vous ouvrira grand les yeux.
Les changements
climatiques ne sont mentionnés qu’une seule fois en passant, comme s’il ne
s’agissait que d’une autre célébrité aperçue dans un nouveau restaurant du
Meatpacking district. Ne sont pas non plus mentionnés le pic du pétrole
(duquel le Times s’est régulièrement moqué en qualifiant il y a un certain
temps déjà les Etats-Unis d’ « Amérique Saoudite »), la
dégradation des océans et des réserves de créatures qui y vivent, la
déforestation, l’instabilité politique dans des régions qui ne peuvent
supporter une explosion démographique, et les migrations désespérées de
peuples qui cherchent à fuir ces zones désolées.
Comme je l’ai expliqué
plus haut, le Times n’a aucune idée de la relation qui existe entre les
finances et les ressources. Les problèmes bancaires qui font surface tout
autour du monde sont l’expression directe des limites de la croissance, plus
spécifiquement des limites de la création de dette. Nous ne pouvons plus
continuer d’emprunter à l’avenir pour financer nos conforts présents, parce
que nous n’avons plus la certitude que ces dettes pourront un jour être
remboursées. Nous espérons certes pouvoir continuer ainsi, et les banquiers
centraux qui sont aux commandes du système aimeraient tout autant prétendre
que nous le pouvons en rendant négligeable le coût de l’emprunt monétaire et
de la fraude comptable. Mais cela n’a servi qu’à endommager les opérations de
marché et pervertir la signification des taux d’intérêts – et aura la
conséquence finale de détruire le sens des conséquences au sein des classes
dirigeantes du monde.
L’écaillage du système
financier sera le signe de l’échec du régime économique actuel. Le système
financier actuel est le plus fragile de tous les systèmes dont nous dépendons
(bien que les autres ne soient pas très solides non plus). C’est la raison
pour laquelle le prix du pétrole est si peu élevé, malgré le fait que son
coût de production n’ait jamais été plus important. Les consommateurs de
pétrole sombrent dans la banqueroute plus rapidement encore que ceux qui en
produisent. Doutez-vous encore que le niveau de vie diminue aux Etats-Unis,
malgré la pléthore d’applications smartphone à laquelle nous avons
accès ?
Le fait est que
l’aubaine énergétique de ces deux derniers siècles a donné naissance à une
matrice de systèmes complexes, ainsi qu’à une hypertrophie de la population
humaine. Ces systèmes complexes – les banques, l’agrobusiness,
l’industrialisation, le commerce international, l’éducation, la médecine, le
développement automobile, l’aviation commerciale et les banlieues – ont tous
atteint leur expansion maximale, et ces limites se traduisent par un désordre
global et une banqueroute universelle. Les auteurs du rapport du New York
Times pensent-ils que la situation de la distribution pétrolière est
stable ?
Il y a eu deux
attentats-suicide en Arabie Saoudite au cours de ces deux dernières semaines.
Quelqu’un s’est-il rendu compte de la signification de ces évènements ?
Ou que l’incident du 29 mai a pris pour cible une mosquée shiite, et que la
population shiite du pays se concentre dans la province orientale du royaume,
où se concentre également la production pétrolière ? (Ou que l’Etat
voisin du Yémen est 40% shiite ?) Nos vingt-trois génies du New York
Times ont-ils tenté de déterminer quelles seraient les conséquences sur
l’économie si l’Arabie Saoudite quittait le marché ne serait-ce que pour
quelques semaines ?
Paul Ehrlich avait
raison, exception faite qu’il ait commis une erreur de timing et n’ait pas
correctement anticipé les conséquences d’une croissance illimitée. Mais
n’est-ce pas dans la nature des évènements non-anticipés de ne pas pouvoir
être anticipés ?