Il aura suffi
d'une conférence de presse à François Hollande pour
plonger les médias dans une de ces intenses méditations
politico-philosophiques dont la France a le secret.
Le discours du
Président sur le « pacte de
responsabilité » avec le patronat –
déjà évoqué dans ses vœux du 31
décembre – suscite les ricanements des commentateurs, qui ne
savent plus de quel nom d'oiseau affubler le chef de l'État : « social-libéral »,
« libéral »,
« pro-business », « de
droite » – les gardiens du « modèle
social » ont l'embarras du choix, certains
rappelant même que, libéral, Hollande l'est depuis 1985.
Ce n'est
pas sale, ton corps change.
Mais si le
socialisme français n'est plus ce qu'il était, faut-il pour
autant se plaindre – ou à l'inverse se réjouir –
d'un quelconque virage libéral ? Sûrement pas.
N'en
déplaise aux journalistes par trop tentés de faire un
événement d'un non-événement, le crédit
d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) n'est
pas plus d'inspiration libérale que ne le sont les aides
versées chaque année à la presse sous couvert de
pluralisme et de bien commun. L'allègement
des charges patronales promis aux entreprises ne peut davantage
être regardé comme une mesure libérale, à moins
bien sûr de voir dans les 5,4% de cotisations familiales
prélevées sur la masse salariale le dernier rempart contre le
néolibéralisme. Quant à l'insistance du Président
sur la compétitivité des entreprises, l'équilibre des
comptes publics ou encore la lutte contre la fraude sociale, on ne saurait y
voir une trahison sans accréditer la thèse – populaire à
droite – d'une gauche ou bien déconnectée du monde
réel, ou bien décidée à mener le pays à sa
perte.
La
vérité sera pour certains dure à entendre, mais
François Hollande n'a pas trahi la gauche, et pour cause : il y a
longtemps que ladite gauche – comme d'ailleurs la droite – a fait
siens les principes de l'économie mixte, ce compromis politiquement
optimal entre l'économie planifiée et l'économie de
marché dont la conférence de presse du 14 janvier a rappelé
les principes. Ce n'est pas sale, ami socialiste : ton corps change.
Virage ou
dosage ?
Le
modèle d'inspiration keynésienne auquel souscrit l'actuel
gouvernement repose sur la recherche et la préservation des
équilibres jugés à tort ou à raison les plus
conformes à l'intérêt général. Ajouter,
retrancher, étendre, restreindre, rendre, récupérer,
c'est là toute la grammaire des politiques interventionnistes !
Parler de virage quand tout n'est que dosage revient à postuler
l'existence de seuils critiques que le gouvernement ne peut franchir sans
basculer dans l'un ou l'autre camp.
Car dans une
économie mixte, une baisse des dépenses publiques n'indique pas
plus un volte-face libéral qu'une
augmentation des charges n'annonce le retour des bolchéviques.
Malheureusement, les mesures particulières adoptées par le
gouvernement pour corriger les effets indésirables de mesures
antérieures sont volontiers tenues pour symptomatiques d'une
« conversion », lors
même que la politique en vigueur reste inchangée dans ses
fondamentaux.
Ce n'est pas
le moindre paradoxe de la société française, qui ne jure
que par l'inégalable efficacité de son modèle social
mais déplore tous les ans que le gouvernement (de droite, de gauche,
peu importe) lui ait porté le coup de grâce en cédant aux
marchés, à Washington, à Bruxelles, quand ce n'est pas
aux fantômes de Reagan et Thatcher.
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