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Profitant
d’une accalmie, la crise européenne est à un tournant.
Après avoir accumulé échec sur échec, la
stratégie qui a été jusqu’à maintenant
péniblement suivie pourrait connaitre un premier
infléchissement, mais ce n’est pas encore fait.
«
Les peurs extrêmes sont derrière nous », s’est
dernièrement félicité Frédéric Oudéa, Pdg de la
Société générale et président de la
Fédération des banques françaises (FBF), qui n’a
pourtant cessé d’affirmer des mois durant que ces
dernières étaient dans un excellent état. Rendant
grâce la BCE et à ses largesses, il a conclu que « si des
problèmes structurels demeurent dans la durée, nous avons
préservé un peu de temps pour travailler ». On
appréciera un « nous » renvoyant à des banques
pourtant sauvées des eaux par qui de droit et on retiendra leurs
« problèmes structurels », restés hélas dans
le vague.
En
Espagne et en Italie, elles se sont engagées dans de florissantes
opérations de carry trade, achetant
avec des fonds empruntés à 1 % des obligations
d’État porteurs de taux restés élevés. Un
cercle ayant toutes les apparences d’être vertueux est
enclenché, les profits réalisés à cette occasion
par les banques leur permettant de renforcer leurs fonds propres, comme
exigé, tout en concourant à la diminution des
intérêts versés par l’État.
Mais
ce monde est ainsi fait que le même mécanisme recèle une
nouvelle sérieuse embûche. La maturité moyenne de la
dette espagnole diminue à la faveur des émissions à
court terme que le gouvernement multiplie pour profiter de l’aubaine. Augmentant
ses besoins ultérieurs de refinancement à court terme et
fragilisant ses finances, au cas où la tendance à la baisse des
taux obligataires s’inverserait. C’est dorénavant 131
milliards d’euros qui devront être refinancés par
l’État espagnol, rien que cette année.
En
obtenant une révision de ses objectifs de réduction de son
déficit pour cette année, en contrepartie d’un respect
dur comme fer du seuil des 3 % du PIB pour 2013, le gouvernement espagnol a
gagné un peu de temps mais ne va pas empêcher l’asphyxie
qui guette le pays. Prudent, le gouvernement Rajoy
a décidé de ne pas demander d’efforts
supplémentaires aux régions, qu’il va renflouer en
empruntant 35 milliards d’euros aux banques sous forme d’un
prêt syndiqué bénéficiant de la garantie du Trésor.
Mais ce coup de pouce apure le passé, rien de plus.
Du
côté grec, où le second plan de sauvetage est
désormais sur les rails, les prémices du troisième sont
déjà en discussion, en dépit de la sortie de Wolfgang Schäuble qui « ne voit pas de raison de
poursuivre ce débat stupide, (car) nous nourrissons le marché
avec nos propres spéculations ». Jean-Claude Juncker a
été plus prudent dans ses formulations : « Si la
Grèce continue de prendre des mesures effectives, applique le
programme et réduit ses déficits budgétaires, je ne vois
pas de nécessité pour un troisième plan de taille
équivalent ». Cette dernière précision sur la
taille étant l’essentiel du message. « Tout dépend
comment le plan est mis en pratique », a-t-il conclu en laissant toutes
les portes ouvertes.
Un
rapport confidentiel de la Commission européenne a en effet
livré son verdict : 12 milliards d’euros
d’économies supplémentaires devront être
trouvées afin d’atteindre les objectifs de réduction de
la dette d’ici 2014, en dépit de la participation plus
élevée que prévue des banques à la
restructuration de la dette grecque, désormais descendue sur le papier
à 117 % du PIB en 2020, au lieu de 120 %. Mais les recettes fiscales
ne seront pas au rendez-vous, c’est déjà
prévisible ! Il est donc à nouveau question de devoir couper
dans les pensions, l’aide sociale, les dépenses de
santé… et de la défense.
Antónis Samarás,
le leader conservateur de Nouvelle démocratie, qui parle fort mais ne
peut espérer une majorité parlementaire aux prochaines élections,
est en phase avec cette perspective. Il propose d’externaliser certains
services assurés par l’État, le dernier en date
étant dans certains cas la collecte des impôts. Mais Nouvelle
Démocratie et le Pasok ne recueilleraient aux élections de fin
avril-début mai que 27 % des voix à eux deux, le même
score que celui qui résulterait de l’addition des voix du KKE
(communiste), du Syriza et de la Gauche
démocratique… La formation du nouveau gouvernement
s’annonce pleine de péripéties. Ce qui explique comment
le commissaire européen Olli Rehn a observé celui du Portugal avec les yeux de
Chimène en le donnant en exemple.
Les
spéculations ont fleuri lorsque la Commission a choisi de fermer les
yeux sur le non-accomplissement des objectifs de réduction du
déficit espagnol, le dissimulant afin de sauver les apparences
derrière l’exigence d’un nouveau pourcentage
supérieur à ce qu’avait réclamé Mariano Rajoy. On parlait alors du Portugal et de l’Irlande
comme étant sur les rangs pour obtenir une rallonge aux aides
déjà reçues (ce qui est toujours le cas), mais les
Pays-Bas les a devancés pour entrer dans la
brèche ouverte par les Espagnols et se préparer à
renégocier avec Bruxelles leurs objectifs de réduction du
déficit.
Le
parti travailliste hollandais (PvdA) a en effet
décidé de conditionner son vote du pacte budgétaire au
parlement, indispensable à sa ratification, à la modification
d’un projet de budget 2012 prévoyant de ramener le
déficit à 3 % du PIB en fin d’année, qui
prévoit d’importantes coupes budgétaires. Une situation
à l’espagnole est dans l’air, que Bruxelles va devoir
arbitrer, car le gouvernement conservateur de coalition s’appuyant sur
les chrétiens démocrates (CDA) et les libéraux (VVD) est
minoritaire aux Pays-bas et s’appuyait sur
une extrême-droite (PVV) qui lui fait dorénavant défaut
au parlement, en exigeant la sortie de l’euro du pays.
Insensiblement,
les dirigeants européens glissent sur une pente qui pourrait les
conduire à une révision stratégique, afin d’en
adopter au nom du réalisme une version de même nature mais moins
brutale, un plan A’ toujours bloqué par le gouvernement allemand.
L’élection de François Hollande pourrait accentuer cette
évolution, sa volonté de renégocier le traité
s’il est élu venant d’être appuyée par Sigmar Gabriel, le président des sociaux démocrates allemands. Restera alors
à affronter un débat déjà lancé par David
Cameron, Mario Monti et Mariano Rajoy, qui ont
dessiné les contours sans nuances d’une relance
d’inspiration très libérale.
Cherchant
à faire endosser la responsabilité du poids de la dette
publique à ceux qui auraient dépensé sans compter, le
courant libéral pur et dur n’a pas désarmé. Il a
pris appui sur la crise suscitée par sa politique même pour
exiger sa poursuite et son approfondissement. Les sociaux-démocrates
ne répondent à cette offensive qu’à la marge, en
cherchant à la moduler, tout en s’inscrivant comme
d’habitude dans le cadre qui a été tracé.
L’innovation
vient d’ailleurs ! Sans attendre que ce débat ne se
développe, David Cameron envisage de mettre à profit les taux
bas actuels sur la dette britannique pour anticiper une hausse
générale du coût de l’argent, en émettant
des obligations à « super long terme » : cent ans, voire
perpétuelles, c’est-à-dire jamais
remboursées… Ce ne serait pas une première, des obligations
perpétuelles ayant déjà été émises
aux lendemains de la premier guerre mondiale par le Royaume-Uni ; mais cela
éclaire sous un autre jour le lancinant problème de la dette
publique, qu’il serait donc possible de ne pas rembourser (mais de
rétribuer ad vitam aeternam).
Enfin,
que va-t-il se passer lorsque les banques seront à court de munition
pour acheter la dette souveraine espagnole et italienne, et soutenir leurs
cours ? La BCE va-t-elle se lancer dans une troisième opération
de prêts à trois ans à 1 % aux banques, en dépit
des « différences de vue » reconnues du bout des
lèvres par la Bundesbank, qui vient d’augmenter ses provisions
en raison des pertes qu’elle pourrait subir à cause des 27 % de
ses parts du capital de la BCE ?
Il
serait en tout cas grand temps de faire avancer les discussions sur le MES,
afin d’être en mesure d’accorder des prêts de
précaution aux pays nécessiteux et de nouer ensemble tous
les petits bouts de ficelle. Mais celles-ci semblent promises – en
raison de l’accalmie trompeuse – à n’aboutir
qu’à un compromis a minima entre ceux qui voulaient une très
forte augmentation des moyens financiers mobilisables, à des fins
dissuasives, et ceux qui freinent des quatre fers tout nouvel engagement
d’importance. Il serait question de simplement additionner les 500
milliards d’euros (en capital et en capacité d’emprunt) du
futur MES aux 192 milliards déjà engagés par le FESF et
de pouvoir ainsi afficher 700 milliards d’euros. La politique,
c’est l’art de l’affichage, on sait ce que cela donne !
Billet rédigé par
François Leclerc
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