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Vite ! Nouez les bouts de ficelle !

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Published : March 19th, 2012
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Profitant d’une accalmie, la crise européenne est à un tournant. Après avoir accumulé échec sur échec, la stratégie qui a été jusqu’à maintenant péniblement suivie pourrait connaitre un premier infléchissement, mais ce n’est pas encore fait.


« Les peurs extrêmes sont derrière nous », s’est dernièrement félicité Frédéric Oudéa, Pdg de la Société générale et président de la Fédération des banques françaises (FBF), qui n’a pourtant cessé d’affirmer des mois durant que ces dernières étaient dans un excellent état. Rendant grâce la BCE et à ses largesses, il a conclu que « si des problèmes structurels demeurent dans la durée, nous avons préservé un peu de temps pour travailler ». On appréciera un « nous » renvoyant à des banques pourtant sauvées des eaux par qui de droit et on retiendra leurs « problèmes structurels », restés hélas dans le vague.


En Espagne et en Italie, elles se sont engagées dans de florissantes opérations de carry trade, achetant avec des fonds empruntés à 1 % des obligations d’État porteurs de taux restés élevés. Un cercle ayant toutes les apparences d’être vertueux est enclenché, les profits réalisés à cette occasion par les banques leur permettant de renforcer leurs fonds propres, comme exigé, tout en concourant à la diminution des intérêts versés par l’État.


Mais ce monde est ainsi fait que le même mécanisme recèle une nouvelle sérieuse embûche. La maturité moyenne de la dette espagnole diminue à la faveur des émissions à court terme que le gouvernement multiplie pour profiter de l’aubaine. Augmentant ses besoins ultérieurs de refinancement à court terme et fragilisant ses finances, au cas où la tendance à la baisse des taux obligataires s’inverserait. C’est dorénavant 131 milliards d’euros qui devront être refinancés par l’État espagnol, rien que cette année.


En obtenant une révision de ses objectifs de réduction de son déficit pour cette année, en contrepartie d’un respect dur comme fer du seuil des 3 % du PIB pour 2013, le gouvernement espagnol a gagné un peu de temps mais ne va pas empêcher l’asphyxie qui guette le pays. Prudent, le gouvernement Rajoy a décidé de ne pas demander d’efforts supplémentaires aux régions, qu’il va renflouer en empruntant 35 milliards d’euros aux banques sous forme d’un prêt syndiqué bénéficiant de la garantie du Trésor. Mais ce coup de pouce apure le passé, rien de plus.


Du côté grec, où le second plan de sauvetage est désormais sur les rails, les prémices du troisième sont déjà en discussion, en dépit de la sortie de Wolfgang Schäuble qui « ne voit pas de raison de poursuivre ce débat stupide, (car) nous nourrissons le marché avec nos propres spéculations ». Jean-Claude Juncker a été plus prudent dans ses formulations : « Si la Grèce continue de prendre des mesures effectives, applique le programme et réduit ses déficits budgétaires, je ne vois pas de nécessité pour un troisième plan de taille équivalent ». Cette dernière précision sur la taille étant l’essentiel du message. « Tout dépend comment le plan est mis en pratique », a-t-il conclu en laissant toutes les portes ouvertes.


Un rapport confidentiel de la Commission européenne a en effet livré son verdict : 12 milliards d’euros d’économies supplémentaires devront être trouvées afin d’atteindre les objectifs de réduction de la dette d’ici 2014, en dépit de la participation plus élevée que prévue des banques à la restructuration de la dette grecque, désormais descendue sur le papier à 117 % du PIB en 2020, au lieu de 120 %. Mais les recettes fiscales ne seront pas au rendez-vous, c’est déjà prévisible ! Il est donc à nouveau question de devoir couper dans les pensions, l’aide sociale, les dépenses de santé… et de la défense.


Antónis Samarás, le leader conservateur de Nouvelle démocratie, qui parle fort mais ne peut espérer une majorité parlementaire aux prochaines élections, est en phase avec cette perspective. Il propose d’externaliser certains services assurés par l’État, le dernier en date étant dans certains cas la collecte des impôts. Mais Nouvelle Démocratie et le Pasok ne recueilleraient aux élections de fin avril-début mai que 27 % des voix à eux deux, le même score que celui qui résulterait de l’addition des voix du KKE (communiste), du Syriza et de la Gauche démocratique… La formation du nouveau gouvernement s’annonce pleine de péripéties. Ce qui explique comment le commissaire européen Olli Rehn a observé celui du Portugal avec les yeux de Chimène en le donnant en exemple.


Les spéculations ont fleuri lorsque la Commission a choisi de fermer les yeux sur le non-accomplissement des objectifs de réduction du déficit espagnol, le dissimulant afin de sauver les apparences derrière l’exigence d’un nouveau pourcentage supérieur à ce qu’avait réclamé Mariano Rajoy. On parlait alors du Portugal et de l’Irlande comme étant sur les rangs pour obtenir une rallonge aux aides déjà reçues (ce qui est toujours le cas), mais les Pays-Bas les a devancés pour entrer dans la brèche ouverte par les Espagnols et se préparer à renégocier avec Bruxelles leurs objectifs de réduction du déficit.


Le parti travailliste hollandais (PvdA) a en effet décidé de conditionner son vote du pacte budgétaire au parlement, indispensable à sa ratification, à la modification d’un projet de budget 2012 prévoyant de ramener le déficit à 3 % du PIB en fin d’année, qui prévoit d’importantes coupes budgétaires. Une situation à l’espagnole est dans l’air, que Bruxelles va devoir arbitrer, car le gouvernement conservateur de coalition s’appuyant sur les chrétiens démocrates (CDA) et les libéraux (VVD) est minoritaire aux Pays-bas et s’appuyait sur une extrême-droite (PVV) qui lui fait dorénavant défaut au parlement, en exigeant la sortie de l’euro du pays.


Insensiblement, les dirigeants européens glissent sur une pente qui pourrait les conduire à une révision stratégique, afin d’en adopter au nom du réalisme une version de même nature mais moins brutale, un plan A’ toujours bloqué par le gouvernement allemand. L’élection de François Hollande pourrait accentuer cette évolution, sa volonté de renégocier le traité s’il est élu venant d’être appuyée par Sigmar Gabriel, le président des sociaux démocrates allemands. Restera alors à affronter un débat déjà lancé par David Cameron, Mario Monti et Mariano Rajoy, qui ont dessiné les contours sans nuances d’une relance d’inspiration très libérale.


Cherchant à faire endosser la responsabilité du poids de la dette publique à ceux qui auraient dépensé sans compter, le courant libéral pur et dur n’a pas désarmé. Il a pris appui sur la crise suscitée par sa politique même pour exiger sa poursuite et son approfondissement. Les sociaux-démocrates ne répondent à cette offensive qu’à la marge, en cherchant à la moduler, tout en s’inscrivant comme d’habitude dans le cadre qui a été tracé.


L’innovation vient d’ailleurs ! Sans attendre que ce débat ne se développe, David Cameron envisage de mettre à profit les taux bas actuels sur la dette britannique pour anticiper une hausse générale du coût de l’argent, en émettant des obligations à « super long terme » : cent ans, voire perpétuelles, c’est-à-dire jamais remboursées… Ce ne serait pas une première, des obligations perpétuelles ayant déjà été émises aux lendemains de la premier guerre mondiale par le Royaume-Uni ; mais cela éclaire sous un autre jour le lancinant problème de la dette publique, qu’il serait donc possible de ne pas rembourser (mais de rétribuer ad vitam aeternam).


Enfin, que va-t-il se passer lorsque les banques seront à court de munition pour acheter la dette souveraine espagnole et italienne, et soutenir leurs cours ? La BCE va-t-elle se lancer dans une troisième opération de prêts à trois ans à 1 % aux banques, en dépit des « différences de vue » reconnues du bout des lèvres par la Bundesbank, qui vient d’augmenter ses provisions en raison des pertes qu’elle pourrait subir à cause des 27 % de ses parts du capital de la BCE ?


Il serait en tout cas grand temps de faire avancer les discussions sur le MES, afin d’être en mesure d’accorder des prêts de précaution aux pays nécessiteux et de nouer ensemble tous les petits bouts de ficelle. Mais celles-ci semblent promises – en raison de l’accalmie trompeuse – à n’aboutir qu’à un compromis a minima entre ceux qui voulaient une très forte augmentation des moyens financiers mobilisables, à des fins dissuasives, et ceux qui freinent des quatre fers tout nouvel engagement d’importance. Il serait question de simplement additionner les 500 milliards d’euros (en capital et en capacité d’emprunt) du futur MES aux 192 milliards déjà engagés par le FESF et de pouvoir ainsi afficher 700 milliards d’euros. La politique, c’est l’art de l’affichage, on sait ce que cela donne !



Billet rédigé par François Leclerc




 

 

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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