Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Au menu d’aujourd’hui jeudi : énième sommet
européen des chefs d’Etat et de gouvernement ! On sait
déjà qu’ils aborderont de nouveau la même
lancinante question sans intérêt, puisque leurs débats
semblent se résumer à cela : quel axe de communication vont-ils
privilégier ?
Comment
vont-ils tenter d’illustrer leur contrôle d’une situation
qu’ils ne maîtrisent pas afin de présenter un front uni de
façade ? Jusqu’où vont-ils aller dans l’affirmation
aveugle de la seule désastreuse politique
d’austérité qu’ils parviennent à
énoncer et à laquelle ils se raccrochent ? Avec quelle
emphase vont-ils se réfugier derrière une pseudo-gouvernance
économique masquant une absence de stratégie ? Quelle
va bien pouvoir être, à ce sujet, la crédibilité
de la stratégie 2020 pour la croissance économique et la
création d’emploi, qui va en catimini succéder
à la précédente, la fameuse stratégie de
Lisbonne restée lettre morte ? En vertu de quel déni
vont-ils continuer d’affirmer que l’Espagne n’est le sujet
d’aucune inquiétude de leur part, et jusqu’à quand
vont-ils pouvoir tenir cette fiction ? La discipline, ce nouveau mot
magique, va faire son entrée en fanfare, mais elle ne se
prépare pas pour autant à être respectée.
Deux petits
rappels : 23 pays sur 27 sont désormais sous le coup d’une
procédure pour déficit excessif initiée par
Bruxelles, et la liste va encore s’allonger. Ne serait-il pas temps de
s’interroger sur la règle plutôt que de tenter de faire
rentrer des ronds dans des carrés ? Le marché obligataire
continue de se tendre là où cela fait mal, en Espagne et au
Portugal. Avec pour conséquence de placer la BCE devant la
décision politiquement scabreuse de poursuivre et
d’accroître ses achats de dette souveraine, ne suscitant comme
réponse officielle et publique qu’une nouvelle demande à
ces pays de prendre des mesures d’austérité accrues.
Devant
un tel afflux de questions, d’incertitudes et
d’absurdités, ne vaudrait-il pas mieux se résoudre
à rédiger par avance le compte-rendu de ce sommet, à la
manière des communiqués finaux bouclés avant que ne
débutent les réunions ?
Le
sujet des stress-tests des banques devrait finalement émerger, sous
l’impulsion des Espagnols qui jouent leur va-tout en réclament
une opération vérité sur leurs banques, car la poursuite
des rumeurs serait encore plus destructrice que la publication des
résultats de ces tests (qui peuvent être enjolivés).
Tardivement, les Allemands se sont au bout du compte ralliés à
cette idée, craignant d’abord la révélation de
l’état réel de leur système bancaire et le contre
coup de la réaction des marchés, si des mesures
concrètes et impopulaires d’aide n’étaient pas
ensuite mises en vigueur. La parole est désormais à ceux qui ne
se sont pas prononcés !
Par
ce biais, la dette privée se rappelle aux mauvais souvenirs, alors que
l’austérité et la lutte contre le déficit public
restent la ligne officielle que l’on martèle pour escamoter la
première.
Deuxième
pilier de ce semblant de politique, après
l’austérité érigée en valeur cardinale, les
gouvernements européens ne savent plus quoi inventer pour conjurer le
mauvais sort, en d’autres termes calmer les marchés.
Comme si ceux-ci étaient irrationnels, une appréciation
trompeuse qui ne fait qu’illustrer le refus complice d’affronter
leur rationalité dévastatrice ! Jean-Claude Junker, chef de
file de l’Eurogroup, vient de clairement
exprimer le puéril agacement des dirigeants européens, en
s’exclamant à propos de la dégradation de la note de la
Grèce, que « les marchés s’apercevraient dans
quelque temps qu’ils ont eu tort », faisant une entorse au
catéchisme libéral. Dans l’erreur, car ils battent en
brèche les malhabiles tentatives de colmatage.
Une
remarque dans la même veine que le projet d’agence de notation
européenne, illusoire tentative des gouvernements de mettre les
marchés de leur côté ou de les berner. Michel Barnier
se dépêche avec lenteur sur ce dossier, placé devant un
dilemme : comment cette agence pourra-t-elle être crédible
aux yeux des marchés et remplir la mission qui lui est confiée,
en raison même de celle-ci ?
De
Bruxelles, on entend également des échos de la
préparation de mesures européennes de régulation
financière, prenant tardivement la suite des décisions
américaines sur ce chapitre et n’offrant comme perspective peu encourageante
que de devoir remonter le courant. Le risque est fort – même avec
des propositions limitées – de heurter de plein fouet les
intérêts des Britanniques, qui s’y opposeront
résolument. Un rapport et des propositions sont annoncés pour
l’automne par Michel Barnier, le commissaire en charge.
En
attendant, le dossier de la taxe bancaire continue d’être
agité, dans la perspective d’un G20 la semaine prochaine,
où il a toutes les chances d’être enterré. Avec
pour conséquence de laisser les Européens devant le choix de
faire cavaliers seuls – et d’instaurer selon les banques un désavantage
compétitif avec leurs consoeurs et
concurrentes américaines – ou bien d’en faire autant
à leur tour. Seuls les Britanniques ont choisi de poursuivre
l’application de la loi adoptée sous le précédent
gouvernement. Tout va être question de mesure dans cette affaire,
c’est à dire d’assiette et de taux, une fois le principe
proclamé haut et fort pour la galerie.
Ce
n’est décidément plus à ce niveau des chefs
d’Etat et de gouvernement que sont prises les vrais
décisions. Une deuxième ligne pour l’instant plus solide
est déjà à l’oeuvre,
constituée par les banques centrales qui jouent aujourd’hui un
rôle prépondérant tant qu’elles ne seront pas
à leur tour dépassées. Contrairement à la
doctrine et à l’espoir que manifestent encore ses tenants de les
faire retrouver leurs leviers monétaires aujourd’hui
inopérants, leurs nouvelles responsabilités ne sont pas
provisoires mais tendent à s’installer, faisant fonctionner
vaille que vaille et en crabe un système financier toujours incapable
de retrouver seul son assise.
Depuis
les deux grands pôles financiers que sont Washington et Londres, les
banques centrales voient actuellement leurs prérogatives très
renforcées, accroissant l’ambiguïté de leurs
relations avec un système dont elle font
partie tout en acquérant la mission de le réguler. Dissimulant
sous le voile de leur indépendance la réalité de leurs
arbitrages. Loin des projecteurs et caméras qu’affectionnent
ceux qui, de temps en temps, ont encore des comptes à rendre.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
|