Le
pataquès bat son plein, l’élaboration du nouveau plan de
sauvetage de la Grèce joue les prolongations. Au moins
jusqu’à la prochaine réunion du 20 juin des ministres des
finances européens, si ce n’est jusqu’au sommet
européen des 23 et 24 juin. Au-delà, la zone euro entrerait
dans l’inconnu.
L’affaire
paraissait réglée du dire des Grecs, mais elle a rebondi avec
l’annonce par le FMI qu’il ne débloquerait la 5ème
tranche de 12 milliards d’euros de son prêt, attendue pour le 12
juillet à Athènes, qu’à la condition que les
Européens finalisent leur nouveau plan de soutien financier, afin que
son remboursement soit crédible. Puis les discussions sont reparties
entre eux, un moment facilitées par la concession faite aux Allemands
par la BCE de la possibilité d’un roulement de la dette
détenue par les créanciers privés, à condition
que ceux-ci ne subissent aucune perte financière et que ce soit sur
une base volontaire.
Mais
le gouvernement allemand a exigé davantage – un véritable
rééchelonnement de 7 ans de la dette grecque détenue par
les banques et les fonds d’investissement européens – sous
la pression du Bundestag qui pose ses conditions pour voter une nouvelle aide
publique.
Les
Français, pour leur part, restent figés dans leur strict refus
de tout ce qui pourrait être assimilé à un défaut,
après que les agences de notation Fitch et
Standard & Poor’s aient étendu
cette notion à tout rééchelonnement ou reprofilage
de la dette, fermant toutes les portes péniblement entrouvertes aux
cours des discussions.
Pourtant,
Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, a minimisé les
implications d’un tel défaut pour les banques
françaises : « Même en cas de scénario
apocalyptique, seule une petite fraction du Tier
One [les fonds propres] des banques françaises serait
compromise », faisant référence à leur
exposition à la totalité de la dette souveraine de
l’Europe du Sud, Italie comprise. On comprend mal la rigidité de
la position française s’il est dans le vrai…
De
leur côté, les banques freinent des quatre fers quand elles
s’expriment. La Fédération allemande des banques
privées a ainsi fait savoir que leur participation ne devait
être envisagée qu’en tout dernier recours,
s’alignant sur les positions de la BCE (à moins que ce ne soit
le contraire).
Analysant
le risque encouru par les banques, l’agence Fitch
a apporté un éclairage intéressant. Le vrai risque
serait indirect, pouvant se traduire par la défiance des investisseurs
à leurs égard, y compris entre les banques elles-mêmes,
leur créant de gros problèmes de financement et de
liquidité. Les banques n’ont pas de problème pour
actuellement émettre de la dette, cela pourrait ne pas durer, avec
comme conséquence une augmentation des taux qu’elles devraient
consentir. Le processus pourrait être initié par les banques des
pays faisant défaut, grands détenteurs de la dette de leur
propre pays. Les banques grecques détiennent ainsi 45 milliards
d’euros de la dette grecque, soit 160 % de leurs fonds propres. Le
défaut du pays entraînerait celui des banques et la contagion
s’en suivrait.
Mais
comment mettre en place un plan reposant sur le volontariat des banques, qui
n’y sont pas prêtes, alors que les analystes estiment qu’il
serait nécessaire pour que son succès soit assuré que
les trois quarts d’entre elles y participent ? Il faudrait pour
cela que les gouvernements soient d’accord pour les y inciter et que
les nouvelles obligations qui seraient échangées contre les
précédentes soient assorties de meilleurs garanties. Ce qui
leur permettrait d’obtenir plus de liquidités de la BCE en
contrepartie en les y mettant en pension. Mais un tel contexte reste
entièrement à créer.
De
financière et sociale, la crise grecque est entre-temps devenue
explicitement politique. Ni George Papandréou, ni les gouvernements
européens ne sont parvenus à obtenir le consensus qu’ils
cherchent à obtenir afin de mieux asseoir leur politique, associant la
majorité gouvernementale du PASOK et l’opposition conservatrice,
qui s’y refuse. Au sein du PASOK, une minorité de 16 députés
est proche de la dissidence, menaçant une faible majorité
parlementaire de 6 voix. Et surtout, dans la rue, les manifestations
géantes ont repris à Athènes et à Salonique, avec
comme slogan principal à l’adresse des autorités
: « Voleurs ! Voleurs ! ». Pis
encore, des drapeaux tunisiens, portugais, espagnols et argentins flottaient
aux côtés des drapeaux grecs dans la foule immense, donnant une
nouvelle dimension à ce qui n’était plus une protestation
mais un rejet.
Reconnaissant
que le pays se trouve à une période
« cruciale », le premier ministre hésite
à jouer son va-tout et à risquer un référendum au
résultat très incertain, alors qu’il cherche à faire
adopter de nouvelles mesures d’austérité
renforcées par le parlement, qui sont assorties d’un plan de
privatisation très impopulaire heurtant le fort sentiment national
grec.
L’Autorité
des statistiques grecques (ESA) a indiqué que le chômage
était passé en un an du taux de 11,6 % à 16,2 % en mars
dernier. 40 % des jeunes non scolarisés de 15 à 24 ans
étaient sans emploi en mars, contre 29,8 % il y a un an. Une femme sur
cinq est dans ce cas, mais l’écart entre hommes et femmes se
resserre.
La
corde est de plus en plus tendue. Seule voix discordante en Europe, celle de
Didier Reynders, le ministre des finances belge,
qui tout en recommandant aux Grecs de faire des efforts très
importants reconnaît qu’ »il ne faut pas
espérer que le pays meurt guéri. On ne doit pas pousser
tellement loin dans des efforts socialement inacceptables, et même
économiquement peu performants, parce que cela va ruiner la
croissance, que le pays n’arrive pas à se relancer ».
Seul dans ce cas avec Jean-Claude Juncker, il préconise le lancement
d’euro-obligations dont le principe est refusé partout ailleurs.
La
Commission européenne n’aurait pu choisir meilleur moment pour
mettre en garde l’Espagne, suspectée de ne pas pouvoir atteindre
ses objectifs de réduction du déficit public et
l’Allemagne, qui tarde toujours à remédier aux faiblesses
reconnues de son système bancaire. Les prévisions de croissance
espagnoles sont trop favorables, un défaut que le gouvernement partage
avec de nombreux autres. Notamment en raison des déficits des
régions, dont les nouveaux responsables du Partido
Popular vainqueurs des élections soulignent
qu’ils sont sont camouflés. La
restructuration du réseau des caisses d’épargne est quant
à elle loin d’être réglée, tout comme son
refinancement. Faute de pouvoir attirer comme espéré des
investisseurs privés, la Banque d’Espagne envisage
désormais un nouveau schéma, l’amenant à
nationaliser certaines d’entre elles pour les revendre ensuite en
garantissant les repreneurs contre les pertes que pourraient occasionner
leurs actifs. En d’autres termes, l’Etat continuerait de prendre
à sa charge le sauvetage du système bancaire espagnol
irrémédiablement plombé par le lent dégonflement
de sa gigantesque bulle immobilière. Accentuant son déficit
alors qu’il doit le résorber, en le masquant grâce aux
services de la Banque d’Espagne.
L’Europe
traîne un autre boulet, hors de la zone euro, dont on ne parle pas
assez. La Grande-Bretagne est au bord de la stagflation – combinaison
de la stagnation et de l’inflation – suite à
l’application du plan de redressement économique du gouvernement
de David Cameron. Encore un pays qui risque de mourir guéri,
l’austérité pesant sur la consommation tandis que
l’inflation mine le pouvoir d’achat et érode les marges
des entreprises. Cette constatation vient de conduire une cinquantaine
d’économistes britanniques à réclamer
l’adoption d’un « plan B », reposant sur
une réforme fiscale véritable, la lutte contre
l’évasion fiscale, la création d’emplois et
l’amélioration des revenus et du pouvoir d’achat.
Pendant
ce temps-là, le jeu du chat et de la souris se poursuit vainement
entre gouvernements et institutions européennes…
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*) Un «
article presslib’ » est libre de
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alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ » qui
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