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Sans hésitation, la
réponse est non : ils ne tiendront pas bien longtemps ! Tout
est en train de s’accélérer, les autorités
politiques et financières européennes voient graduellement et
irrésistiblement la maîtrise de la situation leur
échapper, après avoir définitivement perdu
l’initiative. N’ayant d’autre ressource que d’essayer
de faire bonne figure, on va voir comment.
Ces édiles surfaits
s’égarent dans les méandres du montage introuvable du
sauvetage impossible de la Grèce, dont l’insolvabilité
patente – niée contre toute évidence – illustre
l’impasse dans laquelle se trouve tout l’édifice
européen. Car le pays n’est pas le seul à se trouver dans
cette situation.
Rendues publiques par Martin
Wolf dans le Financial Times, les estimations du pourcentage
prévisible de la dette publique par rapport au PIB de Citibank sont
éloquentes : 180% pour la Grèce, 145% pour
l’Irlande, 135% pour le Portugal et 90% pour l’Espagne, sans que
leur diminution soit envisageable. Aux taux pratiqués par le
marché, de tels niveaux de dette ne sont pas soutenables et impliquent
obligatoirement, comme il le préconise en estimant que c’est la
dernière chance de sauver l’euro, une restructuration de la
dette.
Nos édiles cherchent
leur salut, ainsi celui que d’une stratégie condamnée,
dans l’étrange alchimie de la finance, qui a malheureusement
pour elles déjà donné tout ce qu’elle pouvait. A Rome,
puis à Paris ce mercredi, les mégabanques
tiennent l’une après l’autre de discrets conclaves afin
d’explorer l’art du possible et de fournir de nouvelles arguties
afin de trouver un moyen de participer au financement du sauvetage
grec sans qu’une situation de défaut ne soit créée.
L’institute of International Finance a
engagé ses travaux au siège de BNP Paribas ce mercredi, en
catimini et en présence de représentants des autorités
de plusieurs pays et de mégabanques. La
liste des participants n’est pas publique, pas plus que l’ordre
du jour de la réunion. On ne saurait trouver plus fort symbole de la
nature et des contours du pouvoir.
Michel Pébereau, pdg de BNP Paribas, a fourni un éclairage sur ce
qu’il a qualifié de discussions à propos de
« propositions techniques ». « La question
est de savoir ce qui se passera lorsque les obligations arriveront à
maturité », a-t-il expliqué. Sans dévoiler
les batteries, il s’est contenté d’affirmer
qu’ »Il appartient à l’autorité publique
de déterminer les solutions qui les satisferont dans leur principe,
tout en évitant un défaut ». Nous voilà bien
avancés…
Puisqu’il faut à
tout prix l’éviter, qu’à cela ne tienne ! Les mégabanques recherchent dans les fonds de tiroir
une issue s’apparentant aux règles comptables de complaisance
avec lesquelles elles sont accoutumées de jongler pour justifier de
leur bonne santé.
Oiseaux de mauvaises augures,
les agences sont écartées pour avoir baissé le pouce,
les mégabanques se retournent donc
auprès de l’International and Swaps Derivatives
Association (ISDA) londonien, gardien du temple des paris sur la dette (les
CDS), qui leur a donné aussitôt satisfaction. Le plan
français ne déclencherait pas, selon elle, le paiement des
contrats de couverture contre le risque de défaut, ce que l’on
appelle un « événement de
crédit ». Une décision d’autant plus facile
à prendre que le montant des CDS émis contre le défaut
de la dette grecque s’avère faible, de l’ordre de 5
milliards de dollars pour 350 milliards de dette selon la Depository,
Trust and Clearing Corporation (DTCC), qui a une des meilleures vues
d’ensemble sur le marché.
Outre l’ISDA, les
ressources ne manquent pas pour cerner la notion de défaut de
paiement, suivant l’angle sous lequel on se place et les
règles auxquelles on se réfère. On a vu que l’ISDA
avait les siennes, déterminées par un comité où
siègent les représentants des principaux intervenants sur le
marché des CDS, c’est à dire les mégabanques.
On n’ignore pas que les agences de notation ont les leurs, qui
entourent leurs méthodologies d’un certain mystère,
puisque c’est un élément de leur fonds de commerce.
L’international Accounting Standards Board, enfin, n’est pas en reste, grand ordonnateur
des normes comptables internationales, sauf lorsqu’il
s’agit de rien moins que les Etats-Unis… Ces derniers
déterminant les règles de dépréciations des
actifs. Dans tout ce fouillis, n’y aurait-il pas quelque chose qui
ferait l’affaire, si les agences de notation voulaient se calmer un
peu ?
C’est bien pourquoi de
partout fusent sur tous les tons leur mise en cause, la dernière
posture de disponible, qui consiste à les charger de toutes les
responsabilités pour mieux éluder les siennes. A titre
d’exemple, voici la liste non limitative des commentaires
qu’elles viennent de susciter, avec entre parenthèses leur
auteur : « Ce n’est pas le regard des agences de notation
qui va régler l’affaire de la dette souveraine »
(François Baroin); « Voyez-vous
la folie de ces prophéties auto-réalisatrices ?
« Stavros Lambrinidis,
ministre grec des affaires étrangères); « Cet
épisode malheureux soulève une fois de plus la question du
comportement des agences de notation » (l’un des
porte-parole de la Commission de Bruxelles) ; il faut « briser
l’oligopole des agences » (Wolfgang Schaüble)
ou les Etats et les organisations internationales « ne se
laisseront pas privés de leur liberté de jugement »
(Angela Merkel) ; et, pour finir
« criminel », « immoral » et
« insultant » (termes relevés dans la presse
portugaise après la dégradation de la note du pays).
La vérité est
qu’il n’y a plus de temps à gagner et que cela ne fait pas
l’affaire. Ainsi, donner un tardif rendez-vous fin septembre pour
boucler le plan de sauvetage de la Grèce – comme le fait
François Baroin, le nouveau ministre des
finances Français – c’est tirer des plans sur la
comète. Douze semaines, même d’été,
c’est l’éternité par les temps qui courent.
Les maudites agences, comme on
dit au Québec, ont donc encore frappé. Moody’s vient
d’envoyer le Portugal au purgatoire en reléguant dans la
catégorie « spéculative » la note du
pays, l’assortissant d’une perspective négative
(signifiant qu’elle pourrait encore l’abaisser). Moody’s le
justifie en anticipant que le Portugal ne fera pas face à ses
engagements en matière de réduction du déficit et aura
besoin d’un second plan de sauvetage, tout comme la
Grèce, au vu des taux qu’elle devra consentir sur le
marché, quand elle sera censée s’y représenter.
L’évolution du
taux portugais à dix ans, mercredi après-midi, ne lui donnait
pas tort, puisqu’il s’approchait brutalement des 13% contre
10,755 la veille au soir. Plus significatif de l’imminence des dangers,
le taux à deux ans montait à 16,399%, contre 12,335% la veille.
Moins spectaculaire, mais
annonciateur d’autres grands tracas à venir, le Frob – le fonds d’aide public aux banques
espagnoles – a du concéder un taux de
5,472% pour lever sur le marché deux milliards d’euros
destinés à recapitaliser d’ici septembre les caisses
d’épargne dans le besoin. Le gouvernement prétend
maintenant que seulement 15 milliards d’euros seront
nécessaires, espérant que la plus grande partie viendra
d’investisseurs privés. Mais ses tentatives de minimiser les
fonds nécessaires expriment avant tout son besoin de rassurer les
marchés. L’opération risque fort d’être
plus onéreuse, alors que les inquiétudes se multiplient en
parallèle à propos de la réalité du
déficit des régions, planqué sous le tapis selon le Partido Popular qui n’a
pas mis ses menaces de divulgation des comptes depuis qu’il en a pris
les rênes.
A propos de son voisin portugais,
où l’Espagne a de nombreux intérêts, Elena Salgado,
la ministre espagnole de l’économie, a fait immédiatement
valoir qu’il s’agissait de « deux économies
distinctes », ajoutant contre toute vraisemblance :
« Nous avons très peu à voir avec le Portugal,
hormis le fait de leur souhaiter qu’il aille bien, en tant que pays
ami »….
Mais, afin de ne pas
être accusé de jouer les Cassandre, ne suffit-il pas de se
pencher une fois de plus sur la situation grecque, qui se confirme avoir le
triste privilège d’être le catalyseur de la crise
européenne ? Non seulement parce qu’elle est insoluble, mais
parce qu’elle est en puissance une bouilloire qui menace
d’exploser. Le modèle des élections sortant les sortants
pour élire par dépit et avec force absentions l’opposition
libérale – dont le programme est de faire mieux,
c’est à dire pire – a fait long feu. C’est sur un
autre terrain moins piégé que commencent à se jouer
également les rapports de force.
Lorsque Jean-Claude Juncker,
chef de file de l’Eurogroupe, annonce aux
Grecs que leur souveraineté « sera énormément
restreinte », en évoquant le mécanisme de vente des
actifs du pays pour financer sa dette, a-t-il conscience de jouer avec le feu ? Lorsque les Finlandais évoquent les
îles grecques parmi les biens qui pourraient garantir les prêts,
ils font écho aux titres de la presse à sensation allemande
d’il y a quelques semaines. Il y a donc quelques raisons à ce
que le gouvernement grec se précipite aujourd’hui à
Berlin pour négocier les délais et les modalités de ce
volet du plan, avec un succès incertain…
Les Allemands continuent en
effet de battre la mesure. Tiraillée, la coalition au pouvoir tente
d’utiliser ses marges de manœuvre budgétaires en promettant
des baisses d’impôt pour mieux négocier en contrepartie le
financement du sauvetage de l’Euro et préparer les
élections de 2013. Ce qui ne fait pas l’affaire des Länder,
dont la santé financière n’est pas si florissante. Tandis
que la Cour constitutionnelle de Karlsruhe débute ses auditions, avec
comme jugement final prévisible la restriction au profit du Bundestag
de l’autonomie dont dispose le gouvernement dans sa gestion de la crise
de la dette européenne. Ce qui est en jeu est moins le danger que
soient déclarées illégales les aides déjà
effectuées que de voir corseté l’actuel fond de
stabilité financière et le futur mécanisme
européen de stabilité (MES), qui dépendraient au coup
par coup des décisions des députés allemands.
A sa manière, le
Parlement européen fait de même. Multipliant les votes contredisant
les chefs d’Etat et de gouvernement européens dans les domaines
les plus divers. Avant-hier, c’était à propos du
renforcement du Pacte de stabilité européen, hier au sujet de
l’interdiction des CDS nus sur la dette souveraine. Paul Jorion en a fait l’analyse.
Les exemples ne manquent pas
de dénis justifiés d’étrange façon. Inclure
dans les stress tests des banques l’hypothèse d’un
défaut sur la dette serait en reconnaître la possibilité nous
a-t-il été expliqué. Se préparer à un
défaut grec, comme l’a reconnu Wolfgang Schaüble,
le ministre des finances allemand, serait de même entériner ce
qui par ailleurs fait l’objet de dénégations les plus
déterminées, du genre : « Tout sauf une
restructuration ! ».
Et pourtant, nous y
courons !
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*) Un «
article presslib’ » est libre de
reproduction en tout ou en partie à condition que le présent
alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ »
qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions.
Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui
tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
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