Je trouve drôle de voir, dans
notre extase techno-narcissique nationale, qu’il soit plus difficile que
jamais d’accomplir quelque chose qui pour les générations passées était
simple comme bonjour : contacter quelqu’un par téléphone. Je trouve ça
particulièrement drôle du fait que les téléphones sont devenus une extension
de la main humaine et représentent en quelque sorte ce qu’il reste de la
culture humaine. Je tiens dans ma main un téléphone, donc je suis !
Ce que je trouve moins drôle,
c’est que les établissements auprès desquels il est le plus difficile d’établir
le contact avec un autre être humain sont l’antre des activités les plus
critiques, notamment n’importe quelle branche des services de santé. Les
hôpitaux opèrent désormais grâce à la promesse malhonnête qu’un système de
routage téléphonique soit le meilleur moyen de gérer les communications. Notez que, dans toute la logique de notre
système, aucune distinction n’est faite entre les affaires mondaines et les
urgences médicales. Tous ceux qui passent un coup de téléphone tombent sur le
même robot – qui est toujours une femme, soit dit en passant, certainement
pour donner l’impression d’une présence « bienveillante » à l’autre
bout du fil. Que vous téléphoniez au sujet d’une erreur de facturation ou
parce que vous avez disloqué votre pied dans un motoculteur, le message qui
vous accueille est toujours le même : « Votre appel est important
pour nous » (ou pas).
Je me penche sur ces problèmes
parce que j’ai passé un temps interminable la semaine dernière à essayer d’appeler
des hôpitaux et des médecins afin d’obtenir mes dossiers médicaux qui sont nécessaires
dans le cadre du procès que je lance contre le fabricant d’une prothèse de
hanche défective qui m’a fait souffrir d’une intoxication au cobalt et au
chrome. Nous avons trouvé le moyen de rendre impossible l’obtention de nos
propres dossiers médicaux.
Je vais maintenant vous
expliquer pourquoi il est si difficile de tomber sur un être vivant en
téléphonant à ce genre d’endroits : parce que plus le système médical se
transforme en racket, plus il cherche à éviter toute forme de responsabilité.
Plus le secteur médical se transforme en une entreprise criminelle, moins il
désire entendre parler de ses clients/victimes. Il en va de même pour toutes
les autres corporations des Etats-Unis. Aux Etats-Unis, notre problème n’est
pas le « capitalisme », mais le racket. Pourquoi nous manquons de
le réaliser n’est qu’un autre mystère de la vie contemporaine.
Juste derrière la médecine, le
deuxième plus gros contrevenant est bien entendu le secteur bancaire. Il ne
veut pas non plus entendre parler de vous. Il profite du privilège qu’est
celui de vous balancer au bout de paliers de remboursement, de taux d’intérêts
proches de zéro et de contrats de prêt pour lesquels aucun nantissement ne
peut être localisé, et ça lui va très bien. Il est bien trop occupé à
enregistrer des profits pour s’occuper de ses clients. Que ce soit pour le
secteur bancaire ou le secteur médical, même les derniers secrétaires humains
ne retournent plus les appels qu’ils reçoivent. « Votre appel est
important pour nous » (ou pas).
Voilà qui pose une série de
questions. Comment en sommes-nous arrivés là ? Et pourquoi ne
sommes-nous pas en colère ?
Dans une certaine mesure,
cette situation est la représentation des retombées et des conséquences
inattendues de la technologie. Dans une nation éprise de technologie, ces
effets entropiques sont souvent ignorés. Nous ne voulons pas en entendre
parler, et notre entichement pour les relations publiques et les baratins qui
y sont liés ne fait que dissimuler le problème. Il semblerait que nous
appréciions être trompés et ne voyions pas d’objections à être torturés.
Les robots qui nous répondent
au téléphone permettent aussi aux corporations de transférer les coûts de la
conduite de ses affaires à leurs clients, notamment en leur faisant perdre un
temps interminable. Ils se débarrassent également du coût représenté jusqu’alors
par le salaire d’un réceptionniste et ses allocations santé et chômage – une autre
manifestation de la disparition de la classe moyenne, puisque n’oublions pas
que de nombreuses femmes occupaient autrefois ces emplois (je n’aborderai pas
maintenant le problème de l’inégalité entre les sexes). Après quelques temps,
le privilège que tirent les sociétés en évitant toute forme de responsabilité
pour leurs actions pèse bien plus lourd dans la balance que les coûts de
licenciement de petits employés.
Il est évident qu'une
situation comme celle-ci ne pourrait se développer qu’au sein d’une société
corrompue, malhonnête et dégénérée, parce qu’il est nécessaire que le contrat
social la perçoive comme acceptable. Les médecins ne veulent pas que leurs
patients puissent les contacter, puisque cela renforce leur aura de
supériorité – et beaucoup d’entre eux sont aujourd’hui mêlés d’une manière ou
d’une autre à la matrice des corporations. Je suppose qu’il reste possible de
prier et d’espérer une réponse, puisqu’il s’agit là du système qu’ils tentent
d’émuler. Et après tout, notre société est particulièrement pieuse. Mais
tentez simplement de poser une question comme « Pourquoi me
facturez-vous 34.000 dollars pour quatre heures d’anesthésie ? »,
et on vous raccrochera au nez pour ne plus jamais prendre aucun de vos
appels.
Je suis franchement
époustouflé par les armées de lunatiques américains trop occupés à tirer dans
des écoles pour se rendre compte que suffisamment de gens sont déjà lésés,
ruinés, par l’industrie médicale et les banques.
Si vous avez une théorie à ce
sujet, je vous prie de m’en faire part dans les commentaires.