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Vous avez dit Etat de droit? Eric Werner

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Published : January 05th, 2018
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Category : Editorials

La philosophie d’Eric Werner est influencée par Machiavel, Clausewitz, Raymond Aron, Carl Schmitt1, Hannah Arendt, Ernst Nolte, Alexandre Zinoviev et René Girard.

2017: l’État de droit comme réalité. Antipresse

Les années se suivent, et en règle générale se ressemblent. Les ruptures de continuité sont rares. Mais non complètement inexistantes. L’année 2017 en a connu une importante: elle concerne l’État de droit.

L’État de droit a toujours été quelque chose de très fragile, pour ne pas dire d’aléatoire. C’est, certes, une barrière contre l’arbitraire, mais une barrière que l’arbitraire, justement, n’a pas trop de peine à franchir lorsqu’il l’estime nécessaire (par exemple, quand les intérêts supérieurs des dirigeants sont en jeu). Simplement cela ne se dit pas. Les juristes s’activent pour sauver les apparences, et en règle générale y parviennent: Les apparences sont sauves. Sauf que, depuis un certain temps, les dirigeants ne se donnent même plus la peine de sauver les apparences.

On l’a vu en 2015 déjà, lorsque Mme Merkel, s’affranchissant des textes européens relatifs à l’immigration, a décidé d’ouvrir toutes grandes ses frontières à deux millions de migrants, répétant ainsi le geste de son lointain prédécesseur Bethmann-Hollweg, qui, en 1914, avait justifié l’invasion de la Belgique en comparant les traités internationaux garantissant la neutralité belge à un chiffon de papier. Mme Merkel n’a pas exactement dit que les Accords de Dublin étaient un chiffon de papier, elle a simplement dit qu’elle ne voulait plus les appliquer. Nuance.

Encore une fois, les dirigeants ont toujours fait tout ce qu’ils voulaient. Toujours, ou presque. Parfois, il est vrai, ils renoncent à faire certaines choses. Ou en font d’autres qu’ils ne voudraient pas faire. Cela arrive. Si les dirigeants faisaient toujours tout ce qu’ils voulaient, cela leur porterait à la longue préjudice. Les gens finiraient par se dire qu’on n’est plus en démocratie. Ou encore, comme Emmanuel Todd dans son dernier livre, que la démocratie libérale est un «concept creux, vidé de ses valeurs fondatrices, que furent la souveraineté du peuple, l’égalité des hommes et leur droit au bonheur» [1]. Certains le disent déjà. Mais ils pourraient être beaucoup plus nombreux à le dire. Le régime a beau faire la sourde oreille à ce genre de critiques: à la longue, ne contribuent-elles pas à le fragiliser? Les dirigeants se retiennent donc d’aller trop loin dans cette direction. Ils ne font pas toujours tout ce qu’ils veulent, juste presque toujours. Ce qui nous ramène au droit.

Fondamentalement parlant, le droit est un instrument de pouvoir: un instrument de pouvoir entre les mains du pouvoir, lui permettant de faire oublier qu’il est le pouvoir. Telle est son utilité. Or ce qui est apparu en 2017, c’est que le pouvoir se sentait désormais assez fort pour, justement, se passer de cet instrument de pouvoir. Le pouvoir continue, certes, à fabriquer du droit, à en fabriquer, même, en grande quantité. Mais le droit qu’il fabrique n’a plus grand-chose à voir avec le droit.

On l’a vu par exemple cet automne avec l’espèce de frénésie qui l’a conduit à inventer de nouveaux délits en lien avec le «harcèlement», les «comportements inappropriés», les «violences faites aux femmes», etc. Avec le renversement de la charge de la preuve, l’extension indéfinie des délais de prescription, d’autres atteintes encore aux principes généraux du droit, on sort ici clairement du cadre de l’État de droit. On a encore affaire, si l’on veut, à du droit, mais le droit ne masque ici plus rien. Il ne fait plus rien oublier. L’arbitraire, autrement dit, se donne ici directement à voir.

2017, on le sait, a aussi été l’année où le gouvernement français a normalisé l’état d’urgence en en transférant les principales dispositions dans le droit ordinaire. Il faut bien voir la portée d’une telle mesure. Les dirigeants se sont toujours considérés comme au-dessus des lois. Ils se sont aussi toujours comportés en conséquence. Mais cette fois c’est la loi elle-même qui le dit. C’est la loi elle-même qui dit que les dirigeants sont au-dessus des lois. D’une certaine manière, l’état d’urgence le disait déjà. Mais pour un temps limité seulement. L’état d’urgence trouvait son modèle dans l’institution du dictateur à l’époque romaine. Nommé pour six mois, il avait tous les pouvoirs. Mais pour six mois seulement. Après, on revenait à la normale. Or, dans le cas qui nous occupe, la voie du retour à la normale est barrée. La dictature n’est plus ici l’exception qui confirme la règle, elle se pérennise elle-même pour devenir elle-même la règle. Pourquoi non?

Quand, par conséquent, les dirigeants français actuels reprochent à leurs homologues polonais de porter atteinte à l’indépendance de la justice, au motif que l’actuelle majorité parlementaire en Pologne aurait édicté une loi soumettant la nomination des juges polonais à l’approbation du pouvoir exécutif, on pense irrésistiblement à la parabole de la paille et de la poutre: car eux-mêmes, à y regarder de près, vont beaucoup plus loin encore dans ce domaine. En Pologne, les juges sont peut-être nommés par le pouvoir exécutif, mais au moins continue-t-on à leur demander leur avis pour savoir si quelqu’un doit ou non être embastillé. Alors qu’en France, dans les affaires de terrorisme tout au moins, non: c’est le pouvoir exécutif qui dit si quelqu’un doit ou non être embastillé. Lui et lui seul. Il n’y a pas, en France, de contrôle judiciaire dans les affaires de terrorisme. Or, comme on le sait, il est très facile aujourd’hui de se voir étiqueter de «terroriste». Le terme est élastique à souhait.

En cette fin d’année 2017, la Commission européenne a engagé une procédure visant à priver la Pologne de son droit de vote dans les conseils européens pour atteinte à «l’État de droit». Des sanctions à son encontre sont également envisagées. Mme Merkel et M. Macron font chorus en demandant à la Pologne de rentrer dans le droit chemin. Ils invoquent les «valeurs européennes». C’est l’hôpital qui se moque de la charité.

Eric Werner, Diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris, docteur ès lettres, il a été professeur de philosophie politique à l’Université de Genève.

NOTE

Emmanuel Todd, Où en sommes-nous? Une esquisse de l’histoire humaine, Seuil, 2017, p. 12

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Voilà qui me rappelle la réponse désabusée de Giordano BRUNO, suite à sa condamnation à mort :
"J'ai demandé au pouvoir de réformer le pouvoir..............quelle naïveté ! ".
Pour ma part, je ne vois d'autre issue à ce cercle infernal qu'une Sageocratie post apocalyptique.
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L'histoire ne fait que se répéter. Démocratie (onction populaire des dirigeants), dictature, chaos, royauté (onction divine du monarque) et c'est reparti pour un tour après avoir viré le roi.
L'homme a toujours eu du mal avec sa spiritualité. Il finit tout le temps par se prendre pour un démiurge et se brûle les ailes. Le mythe d'Icare est éternel!
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LOUIS L. - 1/6/2018 at 1:05 PM GMT
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