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La
dette grecque s’élève à près de 300
milliards d’euros (soit 142,8% de son PIB selon la BCE). Du coup, elle
n’est plus seulement un problème pour les contribuables grecs,
mais elle le deviendra pour les contribuables français, et aussi pour
les allemands. Pour certains sympathisants de l’économie de
marché, un défaut de la Grèce pourrait entraîner
l’euro et ainsi révéler l’incapacité
de la BCE et des gouvernements Européens à maintenir la
stabilité monétaire et financière de la zone. Les empereurs de la zone euro seraient
donc nus.
Pourtant,
le citoyen moyen ne verra probablement pas les choses de la même
façon. Certes, la crise grecque a le potentiel d'entraîner le
reste de l'Europe avec elle, ainsi que l’effondrement de l’euro. Elle
ne mettra cependant pas en évidence la cause principale de la crise,
à savoir le surendettement des gouvernements européens. En
effet, compte tenu de l’état des mentalités en Europe,
les échecs de l’Etat ne conduisent pas à une remise en
cause de son rôle mais au contraire à sa croissance. Loin
d’en sortir gagnantes, les institutions du marché libre
s’en trouvent fragilisées.
Le
cas de l'Argentine est emblématique à cet égard. Entre
1999 et 2002, l'Argentine se trouvait dans une position similaire à la
Grèce. Au début des années 1990, le gouvernement
argentin avait lié, par le biais d’une loi, le peso au dollar
à une parité 1:1 afin d'enrayer l'hyperinflation galopante
(206% par an à la fin des années 1980). Une telle parité
exigeait une bonne dose de responsabilité financière de la part
du gouvernement, responsabilité rapidement mise de côté
une fois le problème de l'hyperinflation résolu. Le
gouvernement, en raison des ambitions politiques du Parti Justicialiste de
Menem, ne parvint pas à réduire les dépenses et accumula
donc les déficits.
Au
même moment, le gouvernement argentin assouplissait les règles
concernant la création de crédit par les banques, menaçant
ainsi la parité peso-dollar et conduisant à un
épuisement progressif des réserves de change nécessaires
pour la soutenir. Pourtant, durant les années 1990, l'économie
argentine semblait, selon des données du FMI, en plein essor – tout
comme l'économie grecque apparaissait florissante pendant les 15 ans précédant
la crise de 2009. Les investisseurs étrangers et le FMI
n’hésitaient pas à financer les déficits argentins.
Le crédit – soutenu par des taux d’intérêt relativement
faibles (par rapport aux taux de l’époque hyperinflationniste
– coulait à flots. L’État argentin entra alors dans
une spirale de déficits publics suivis d’une expansion du
crédit bancaire, et d’une accumulation de dettes. Quand il fut évident
qu’il ne pourrait jamais payer sa dette, la crise éclata.
Au
lendemain de la crise, le peso avait perdu 75% de sa valeur face au dollar et
l'État argentin avait fait défaut sur plus de 132 milliards de
dollars de sa dette. La confiscation de
facto des comptes en dollars et la fixation d’un maximum de retraits
d’argent à 300 pesos hebdomadaires (l’infâme corralito) pour
tous les comptes, finirent par
donner le coup de grâce à l’économie argentine.
La
population argentine se révolta-t-elle pour autant contre les dépenses
excessives de l’État? Absolument pas. L’État fut
pointé du doigt, certes, mais avant tout pour ses connivences avec les
investisseurs financiers. Il lui fut reproché de ne pas avoir
dépensé davantage pour « éviter la crise ».
La crise signifiait, en effet, la réduction drastique de nombreux
avantages donnés aux fonctionnaires ainsi que des généreuses
dépenses sociales du gouvernement argentin. La population regretta
amèrement leur perte. En d'autres termes, le peuple ne vit pas que l'empereur
était nu, car cela allait de pair avec la mentalité populaire.
La
preuve en est que le couple Néstor et
Cristina Kirchner remporta les élections de 2003 (Néstor)
et de 2007 (Cristina) à partir d’un programme populiste promettant
une reprise des dépenses gouvernementales, dépenses financées
par une hausse des impôts des entrepreneurs et des salariés
productifs. Les gouvernements Kirchner n’hésitèrent pas non
plus à taxer les exportations agricoles qui avaient pourtant permis de
sortir le pays de la crise fin 2002.
Aujourd'hui,
même si l'Argentine a repris le chemin de la croissance (8,5% en 2010),
celle-ci reste fragile. Le pays est confronté à un taux annuel
d'inflation de plus de 21.7%, et à une nouvelle accumulation de la dette
publique. À l’évidence, les causes profondes de cette
situation difficile n’ont pas été identifiées dans
l’opinion publique argentine.
Le
risque est de voir se produire en Europe le même
phénomène, à savoir que la majorité des Européens
continue d’adorer une sécurité sociale
généreuse, des lois du travail rigides, des subventions, ainsi
que tous les « acquis » dits sociaux. Peu nombreux sont
ceux qui remarquent que les fluctuations des marchés financiers telles
que celles du marché des dérivés ne sont que les conséquences
de l’irresponsabilité fiscale des gouvernements. De plus en plus
de personnes tombent dans l’argument facile de la corruption des dirigeants
de l’État, au lieu de reconnaître que la structure
même d’un État dépensier mène à cette
corruption. Pour que la crise monétaire actuelle se solde par un véritable
changement de société, encore faudra-t-il que la
mentalité de la population moyenne évolue.
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