Un excellent article de François Leclerc qui donne un éclairage
complémentaire à mon article "Zone euro : l'heure de vérité" .
« ... En réalité, plus ou moins ouvertement affichée, la priorité a été en
sourdine donnée au sauvetage des "poches" de banques défaillantes,
un objectif qui coïncide mal avec l’intense campagne de propagande menée en
faveur de la réduction des déficits publics, présentée comme la solution à
tous les périls. L’idée est qu’il a été laissé aux mégabanques le moyen de se
tirer d’affaires toutes seules, mais que le fond du panier doit être secouru
discrètement sur fonds publics.
» On a vu comment cet objectif avait été adopté en Irlande, le premier
ministre cherchant depuis à désespérément obtenir une révision à la baisse du
taux de son emprunt auprès de l’Union européenne, sans y parvenir. Puis
comment les Espagnols ont du s’y résigner à leur tour avec leurs caisses
d’épargne, les Cajas, après avoir longuement tenté de l’éviter. On découvre
aujourd’hui que les Allemands et les Portugais s’y engagent – ou s’apprêtent
à le faire – ces derniers dans le cadre d’un nouveau plan de sauvetage
européen en cours de négociation à Lisbonne.
» Le montant de celui-ci a déjà été évoqué, environ 80 milliards d’euros.
Avant-même que ses contreparties portugaises ne soient identifiées
(pudiquement dénommées "plan d’ajustement"), on étudie la mise sur
pied d’un "fonds de contingence pour la capitalisation des
banques", selon le Jornal de Negocios. Celui-ci viserait à "créer
des garanties qui assurent le succès des tests de résistance européens",
dont les résultats doivent être rendus publics en juin prochain. D’une
pierre, deux coups, la BCE pourrait enfin cesser de tenir ces banques à bout
de bras, son voeu le plus ardent, la tâche transférée à l’Etat portugais qui
en supportera le poids financier.
» En Allemagne, forcés et contraints, les Länder se sont engagés dans une
mise en conformité de leurs engagements dans les Landesbanken – les banques
régionales sinistrées – avec les règles de Bâle III et, dans l’immédiat, les
critères décidés par la nouvelle Autorité bancaire européenne pour les tests
de résistance des banques. Les gouvernements de Hesse et de Thuringhe vont
convertir leur silent capital (une forme d’actions préférentielles) dans la
banque Helaba en actions éligibles au "core tier one capital" (le
saint du saint du capital d’une banque). Ils ont ainsi suivi le chemin auparavant
emprunté par le gouvernement de Basse-Saxe, qui en avait fait de même pour sa
participation au capital de NordLB. Au terme de ce processus, le poids des
Länder au sein des Landesbanken s’accroît, réalisant ce qui n’est rien
d’autre qu’une forme d’étatisation partielle.
» Enfin, la Banque d’Espagne a approuvé le plan de recapitalisation
présenté par 13 établissements financiers, 9 caisses d’épargne ou unions de
caisse et 4 banques commerciales (les filiales de Deutsche Bank, et de
Baclays, ainsi que les espagnoles Bankinter et Bankpyme). Ces plans procèdent
par augmentations de capital ou émissions d’obligations convertibles.
» Des entrées en bourse sont envisagées, ou bien des entrées directes au
capital d’investisseurs privés, mais toutes les caisses concernées gardent
l’option d’un apport en capital du FROB, le fonds public destiné à intervenir
en dernier recours. Le calendrier prévoit que la mise à niveau des fonds
propres devra intervenir au plus tard le 30 septembre. Si un ratio de 8% de
fonds propres pour les entités cotées en Bourse (10% dans le cas contraire)
n’est pas respecté à cette date, le FROB interviendra.
» Toute perspective de nationalisation étant officiellement écartée, ce
sauvetage prendra alors la forme "d’une aide de caractère exceptionnel
et transitoire" d’une durée annoncée comme devant être de cinq ans
maximum. Cet habillage en vaut un autre.
» D’ores et déjà, il est estimé que le FROB devra intervenir à hauteur
minimum de 6 milliards d’euros, les besoins pouvant monter jusqu’à 16
milliards, si les autres solutions faisaient défaut. Le tout calculé en
espérant ne pas avoir à subir une nouvelle dégradation du marché immobilier,
hautement probable.
» Tous ces replâtrages à nouveau financés sur fonds publics ne sont pas
clamés sur les toits, on s’en doute. Ils font en effet désordre dans un monde
réglé par l’indiscutable nécessité de diminuer la dépense publique et de
privatiser ce qui peut encore l’être.
» Le moins d’Etat a trouvé une nouvelle raison d’être, à la faveur du tour
de passe-passe qui consiste à dissimuler derrière des dépenses déraisonnables
le coût du remboursement de la crise financière, qui passe en premier. Le
système financier ne prétend pas seulement sortir la tête haute de la crise
dans laquelle il a plongé le monde, mais il voudrait de surcroît en profiter
pour accroître en toute désinvolture le périmètre de son terrain de jeu.
» Les Irlandais, les Grecs et les Portugais sont mis au pilori, en
attendant que d’autres les rejoignent. Mais ce qui est exigé d’eux est
totalement irréaliste. Tôt ou tard, tous ces plans intitulés de sauvetage
(mais de qui ?) vont capoter et devront être revus, comme c’est déjà le cas
de celui des Grecs.
» La restructuration de la dette publique est en marche, remettant en
cause la stratégie qui voulait à tout prix épargner le système financier. Les
mégabanques vont devoir se battre pour n’être mises à contribution qu’à
minima et obtenir des contreparties. Le jeu va se compliquer, mais il y a un
commencement à tout !
» Les manifestations d’une crise sociale et politique multiforme se font
jour. Pour qui et pour quoi joue le temps que les dirigeants européens
cherchent à gagner ?
» Ceux-ci s’avèrent perdus dans leurs compromissions, parvenant
difficilement à camoufler leurs allégeances, à court de diversions crédibles,
incapables de concevoir et surtout d’admettre qu’un autre monde que le leur
puisse exister.
» Un comble les concernant : ils se sont tous seuls démonétisés. »
(François Leclerc, le 21 avril à 20h14)