Après la Grèce et l'Irlande, le Portugal a fait appel
à l'aide de la Zone euro (fond européen de stabilisation
financière) et du FMI qui prendra à sa charge un tiers de
l'aide octroyée, pour un montant de 75 à 80 milliards d'euros,
sur une durée de 7,5 ans, avec un taux d’intérêt
correspondant au coût du financement plus 2%.
Le véritable risque est celui de la contagion à
l’Espagne. La véritable question est de savoir si la crise de la
dette souveraine est réglée ou si elle s’approfondit.
La situation des pays de la zone de tempête :
la Grèce, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne
La crise en Grèce
est due à la dérive des finances publiques; en Irlande à
l’endettement privé et à sa conséquence
l’implosion de la bulle immobilière et la faillite de son
système bancaire qui a été nationalisé; quant au
Portugal la crise est due à l’endettement des entreprises.
A l'exception de la Grèce, ces pays souffrent d'une crise de
la dette privée, comme le montre les chiffres suivants ( Source : C. Lapavitsas et alii,
« The Eurozone between
austerity and default », RMF Occasional Report, SOAS, Londres, septembre 2010) :
en Grèce la dette publique (fin 2010) représente 144% du PIB et
la dette totale ( dette publique, dette des entreprises financières et
non financières et dette des ménages) 296% de ce dernier (fin
2009); en Irlande respectivement 78% et 490% et enfin au Portugal 86% et
479%.
Quant à l’Espagne, qui n’a pas fait appel à
l’aide de la Zone euro, c’est le pays qui a été le
plus touché par l‘implosion de la bulle immobilière et de
la bulle de l‘endettement privé, car l’immobilier et le
BTP constituaient le cœur de son économie. En effet la dette publique
représente 66% du PIB et la dette totale 506% de ce dernier.
Pourquoi parler de crise de la dette souveraine ? Après la
crise le secteur privé a réduit son endettement, ce qui a
obligé les États à faire augmenter leurs dépenses
publiques (afin de renflouer le système bancaire) et fait exploser le
déficit budgétaire (l’Irlande et l’Espagne avaient
des excédents budgétaires avant la crise).
La seule issue : la restructuration de la dette
Outre l’importance de l’endettement, ces pays sont dans
une situation équivalente. Ils doivent à la fois diminuer leurs
déficits budgétaires (condition essentielle des prêts
qu’ils ont reçus) de manière drastique et mettre en oeuvre des réformes structurelles visant à
améliorer leur compétitivité et à relancer la
croissance.
Le problème c’est qu’en réduisant leurs
déficits budgétaires, ils freinent la croissance et
l’emploi et réduisent leurs recettes fiscales. Ils sont donc
dans l’incapacité d’atteindre un objectif concerté
de réduction de leurs déficits. C’est le piège
mortel de la dette dans lequel était tombée l’Argentine
en 2002.
L’importance de l’endettement privé, est la
conséquence d’un déficit structurel de leurs balances
courantes, qui traduit leur faible compétitivité. Comme ils ne
peuvent procéder à une dévaluation nominale (baisse du
taux de change), ils sont obligés d’avoir recours à une
dévaluation réelle. Ils doivent réduirent
leurs coûts de production dont les coûts salariaux, de 20
à 30%, afin de relancer la croissance.
Si on tient compte de l’endettement total, il est impossible
à la fois de réduire leurs déficits budgétaires
(de manière drastique) et de procéder à une
dévaluation réelle.
La conclusion est simple : la Grèce, l’Irlande et le
Portugal seront obligés de restructurer leurs dettes. Quant à
l’Espagne, elle semble condamné
à dix ans de déflation, ce qui parait difficilement supportable
avec un taux de chômage de 20% et surtout de 46% pour les jeunes. Elle
sera obligée de faire appel à l'aide internationale.
La crise de la dette souveraine est, en
réalité, une crise de la dette bancaire
Commençons par une remarque technique. Le FESF est doté
d'un capital théorique de 440 milliards d'euros. Mais il faut tenir
compte du fait que la Grèce, l'Irlande, et le Portugal sont de facto
en dehors du système de péréquation. En outre, comme
tous les pays n'ont pas la note triple A (la meilleure). Il a fallu
sur-garantir les titres européens (120%) et maintenir des
réserves en cash. Il est donc doté effectivement d'un capital
de 240 milliards d'euros (auquel il faut ajouter 250 milliards du FMI et 60 milliards
de la Commission Européenne).
La principale lacune de ce fonds est qu'il a été
établi uniquement en fonction des besoins de financement connus des
États. Or la problématique des banques ne se résume pas
aux risques d’insolvabilité des établissements de la
périphérie de l’Europe. Les banques des pays du cœur
de l’Europe sont aussi en péril, à l’image des Landesbanken allemandes (banques régionales).
Elles détiennent, en effet, de la dette souveraine des pays
périphériques. Elles sont très exposées à
celle-ci au regard de leurs capitaux propres. Les banques allemandes ont
ainsi une exposition totale de 521 milliards de dollars au PIIGS, les banques
françaises de 491 milliards de dollars (si on tient compte des
compagnies d’assurances).
La situation serait gérable si l’Espagne n’est pas
emportée par la tempête. Son principal problème consiste
à restructurer les Cajas (caisses
d’épargne) qui ont été frappées de plein
fouet par la crise de l’immobilier. Le gouvernement espagnol estime le
coût de la restructuration à 20 milliards d’euros, alors
que des estimations plus réalistes font état d’un montant
se situant entre 50 et 90 milliards (Moody, Standard&Poor’s,
Morgan Stanley). C’est pour cette raison que l’agence Moody a
dégradé d’un cran sa note souveraine (en mars).
Si on tient compte de son endettement global (506% du PIB) et des
contraintes économiques auxquelles, elle est soumise : diminution
drastique du déficit budgétaire et dévaluation
réelle. Il semble difficile (voir impossible) de restructurer le
système bancaire espagnol sans faire appel à l’aide
internationale.
Poussons le raisonnement plus loin. Admettons que l'Espagne fasse
défaut sur sa dette et que la décote appliquée soit de
30%. Dans ce cas les banques allemandes (et françaises) seraient en
faillite, si leurs gouvernements respectifs ne les renflouaient pas. La crise
de la dette souveraine est, en réalité, une crise de la dette
bancaire dont l'épicentre se trouve en Allemagne.
2000 milliards d'euros pour sauver l'Europe :
Dans une remarquable étude (la dette des nations), Willem Buiter (chef économiste de CITI) part de
l'idée que la restructuration de la dette de la Grèce, de
l'Irlande et du Portugal est acquise et que l'Espagne fera appel à
l'aide internationale. Il s'agit donc d'empêcher la restructuration de
la dette espagnole.
Il propose donc de procéder à la fois à une
restructuration de la dette publique et bancaire, en déterminant
exactement quels établissements doivent être liquidés, et
en s’assurant que les États et les banques auraient accès
à des liquidités suffisantes. Il faudrait donc doter la Zone
euro d’un fonds global de 2000 milliards d’euros, ce qui
permettrait aussi de sécuriser la dette espagnole (sur 3 ans) ainsi
que la dette d'autres pays (Italie, Belgique, France), en cas d'attaque
spéculative ou de fuite des investisseurs.
En tenant compte des sommes disponibles, il n'y a que deux
possibilités : soit, faire appel à des fonds souverains non
européens, soit avoir recours à la BCE .
La première solution n'est pas envisageable d'un point de vue
politique, reste donc la seconde.
Plutôt que de monétiser systématiquement la dette
publique comme le fait la FED en faisant augmenter la base monétaire ( et donc la masse monétaire), il propose que la
BCE fasse augmenter son passif non monétaire : dépôts
à terme, bons... (ce qui
est équivalent d‘un point de vue économique), afin de
dégager les liquidités lui permettant de financer un programme
d'achat d'obligations. Dans ce cas on parlerait de
« stérilisation sémantique » plutôt
que de stérilisation effective (la BCE réduit son aide aux
banques du montant de ces achats d’obligations souveraines).
La BCE refusera une telle stratégie, car elle n'est pas neutre
fiscalement, elle suppose un soutien inconditionnel aux pays en
difficultés.
Il y a une autre solution : transformer le FESF en une banque qui
aurait un accès conditionnel aux facilités de la BCE. Elle
pourrait ainsi lui faire des prêts et racheter les obligations qu'il
émettrait (directement ou sur le marché secondaire). Cela
permettrait, en outre, aux
États de ne pas garantir l’ensemble de la dette (en fonction de
leurs quotes-parts) mais uniquement les dettes émises par le FESF.
Outre le problème de l'aléa moral, cela suppose une
révision fondamentale des traités. Mais y-a-t-il une autre
solution ? Si ce n’est la
dissolution de la Zone euro.
Dans l’état actuel des choses, la seule décision
qui a été prise, consiste à doter effectivement
d’un montant de 500 milliards d’euros, le Mécanisme
Européen de Stabillité
Financière (MESF), mécanisme permanent qui succédera au
FESF à partir de 2013.
On peut donc en conclure que dans tous les cas l’Espagne fera
défaut sur sa dette, ce qui provoquera une nouvelle crise
financière et obligera les pays du cœur de l’Europe
à renflouer leurs banques (essentiellement l’Allemagne).
L’Europe à la recherche d’un
nouveau compromis politique :
Il nous reste toutefois à éclaircir une énigme :
Pourquoi la Zone est-elle confrontée à une crise de la dette
souveraine ? Alors qu’elle a une meilleure situation budgétaire
que les États-Unis ou le Japon.
En effet selon les
travaux de Mundell (prix Nobel d'économie),
une Union Économique et Monétaire (UEM) optimale doit avoir une
politique monétaire mais aussi une politique budgétaire et
fiscale communes. Autrement dit, les différences de
productivité doivent être compensées, au moins en partie,
par des transferts budgétaires.
L’ancien compromis politique supposait que les PIIGS pouvaient
emprunter au même taux que l’Allemagne et que cette
dernière bénéficiait, en contrepartie, d’une
monnaie ayant un cours très inférieur à celui de leur
ancienne monnaie. Le nouveau compromis politique supposerait qu’il y
ait des transferts budgétaires des pays du cœur de l’Europe
vers ceux de la périphérie afin que la Zone euro puissent fonctionner correctement.
En conclusion, soit l’Europe se donne les
moyens financiers, à court moyen terme, lui permettant de sortir de la
crise de la dette souveraine et recherche à plus long terme un nouveau
compromis politique (gouvernance économique et politique
budgétaire et fiscale communes) ce qui suppose que le marché
marche au même pas que la démocratie; soit elle implosera avec
toutes les conséquences que l’on peut imaginer. L’avenir
des États-Unis d’Europe n’a jamais été aussi
incertain.
Paul Bara
Blog de la Finance et de l’Economie.com
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