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Certains de mes amis
sont parfois surpris de mon optimisme quant à la dissémination des idées
libertariennes. Ne lit-on et n'entend-on pas tous les jours dans les médias
des tas d'idioties de la part des étatistes, de gauche ou de droite? Oui,
c'est vrai, et la multiplication des moyens de communications fait
probablement en sorte que la quantité d'idioties exprimées a été multipliée
ces dernières années. Mais il faut voir l'autre côté de la médaille: la
quantité d'information pertinente a elle aussi explosée, et elle est plus
facilement accessible que jamais dans l'histoire du monde.
Souvenez-vous qu'il
y a à peine vingt ans, la presque totalité des gens lisaient tout au plus un
quotidien par jour, peut-être aussi un magazine d'affaires publiques, et
s'informaient en écoutant l'un des quelques postes de télévision et de radio
disponibles. Les débats dans les grands quotidiens offraient rarement autre
chose que les lieux communs des principales factions politiques. Essayer de
faire passer un point de vue différent de ce qui était perçu comme légitime
dans l'un de ces médias était pratiquement chose impossible.
Quelques magazines
difficiles à dénicher offraient bien des perspectives plus marginales, mais
justement, il s'agissait de débats en vase clos au sein de groupuscules, qui
n'atteignaient que rarement la masse des gens. Trouver un livre relativement
rare n'était pas non plus chose facile, à moins d'avoir accès à une
bibliothèque universitaire. Et encore. Les plus vieux se souviendront de la
difficulté à trouver un livre sur un sujet précis en cherchant dans des
tiroirs remplies de petites fiches dactylographiées.
Pendant mes études
universitaires, je n'ai aucun souvenir d'un professeur qui ait parlé de
l'École autrichienne ou de libertarianisme dans un cours de science politique
ou d'économie. C'est en lisant un article du Financial
Times de Londres au début des années 1990 que j'ai pour la première fois
entendu parler de Ludwig von Mises. Ça a piqué ma curiosité. Heureusement, la
bibliothèque de l'Université McGill possédait une copie de Human
Action. Dès les premières pages, j'y ai découvert la perspective
méthodologique individualiste et subjectiviste sur les phénomènes sociaux que
j'essayais confusément de développer par moi-même depuis quelques années,
sans savoir que d'autres l'avaient fait bien avant moi (voir « Durkheim's
Collective Conscience »). D'autres textes sur le sujet (livres ou
magazines) étant difficiles à trouver et à obtenir, il m'a tout de même fallu
encore quelques années avant de pouvoir vraiment me familiariser avec tous
les aspects de cette pensée.
Lorsque j'ai pour la
première fois rencontré d'autres libertariens québécois, il y a exactement
dix ans, nous n'étions littéralement qu'une poignée qui connaissaient ces
idées dans tous le Québec. Il n'existait aucun moyen rapide de savoir si
d'autres pensaient comme nous. Dans un tel contexte, tenter de faire
connaître une philosophie inconnue ou de mettre sur pied un nouveau mouvement
politique s'avérait une entreprise ardue et de très
longue haleine.
Le déferlement de l'extrême gauche
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Il est vrai que les
idées d'extrême gauche se sont répandues comme une traînée de poudre au
Québec et ailleurs en Occident dans les années 1970. Mais cela a pu survenir
en grande partie grâce à l'appui institutionnel procuré par les universités
et les syndicats. Des dizaines de milliers d'étudiants en sciences sociales
endoctrinés par des professeurs marxistes et se préparant à être embauchés
dans la fonction publique constituaient de fait un terreau fertile pour de
telles idées. Les syndicats, renforcés en nombre par la croissance rapide du
fonctionnariat et en puissance par l'octroi de privilèges légaux toujours
plus nombreux, ont naturellement fait la promotion d'une doctrine qui les
avantageait.
Ce n'est bien sûr pas
une coïncidence s'il s'agit là de deux créatures essentiellement étatiques,
qui n'existeraient pas sous la même forme dans une société libre. Si nous
avions un État minimal, la presque totalité des étudiants aspireraient à se
trouver un emploi utile dans le secteur privé au lieu de rêver à une sinécure
dans le secteur public.
De même, dans des
universités privées où ils devraient payer le plein coût de leur formation,
beaucoup moins d'étudiants perdraient leur temps à apprendre les secrets du
marxisme, du keynésianisme, du structuralisme, du déconstructionnisme et de
la perspective lesbienne féministe sur les contes populaires des paysannes du
Guatemala. Des collèges et universités privés dynamiques, en concurrence les
uns avec les autres, s'arrangeraient pour offrir des formations pertinentes
et n'auraient sans doute pas engagé autant d'idéologues ignorants comme
professeurs.
Dans un État minimal,
il y aurait aussi évidemment beaucoup moins de fonctionnaires syndiqués. Dans
le secteur privé, les associations volontaires d'employés (c'est-à-dire des
syndicats dont les membres individuels seraient libres d'y adhérer ou non, au
contraire de la mafia syndicale qui impose légalement ses diktats à tous en
ce moment) s'occuperaient essentiellement de protéger les intérêts de leurs
membres, et non de servir de courroie politique aux apparatchiks qui gèrent
aujourd'hui ces organisations.
À moins d'être
Conrad Black et d'avoir des centaines de millions à investir dans une chaîne
de journaux, il est impossible d'avoir un tel impact au moyen d'institutions
privées. Conrad Black a pu changer la tournure des débats au Canada anglais
en achetant la chaîne de quotidiens Southam, en fondant le National
Post et en imposant une ligne éditoriale correspondant à ses vues (plus
libérales sur le plan économique mais aussi conservatrices sur les questions
sociales et néoconservatrices sur les questions internationales) à ses
nouveaux journaux.
L'arrivée d'Internet
a toutefois tout changé. Aujourd'hui, tous les journaux, tous les magazines
du monde sont disponibles en quelques clics de souris. Avec la numérisation
des bibliothèques qui est en cours, c'est toute la connaissance de l'humanité
qui sera bientôt sur le Web. En cherchant un peu, on peut rapidement
découvrir tous les points de vue imaginables. On peut se familiariser avec
une philosophie en une fin de semaine.
Les « barrières à
l'entrée » sont de même spectaculairement plus basses pour ceux qui veulent
disséminer leur point de vue. Plus besoin de capitaux importants, de contacts
difficiles à établir, de réseaux de distributions coûteux à développer. Faire
découvrir de nouvelles idées est maintenant relativement facile pour les
entrepreneurs intellectuels qui s'en donnent la peine et qui sont capables de
s'associer avec d'autres pour créer un produit de qualité.
Le QL
est passé en sept ans d'un petit site animé par quelques amis à l'un des plus
importants sites indépendants au Québec et dans la Francophonie(1).
Il reçoit plus de 80 000 visiteurs uniques du monde entier chaque mois,
compte des collaborateurs sur trois continents qui écrivent en deux langues,
et son message de mise à jour est envoyé à plus de 1000 abonnés. Le « page
ranking » très élevé que lui accorde Google (à cause du nombre important de
liens en provenance d'autres sites) lui assure une visibilité extraordinaire
sur le Web. Il est pratiquement impossible de faire des recherches sur des
questions économiques, politique ou sociales sur le Web sans tomber
régulièrement sur des articles du QL.
Des gens qui
n'auraient sans doute jamais découvert la philosophie libertarienne sans le
Web peuvent maintenant s'abreuver à cette source et à bien d'autres. Certains
qui étaient en fait des libertariens sans le savoir s'en rendent compte en
nous lisant. Nous recevons régulièrement des messages qui disent en gros:
« Je suis tellement heureux d'avoir trouvé votre site et découvert la
philosophie libertarienne. Ça fait longtemps que je pense comme vous, mais je
croyais être seul à avoir ces idées. » La seule existence d'une
alternative qui s'exprime change complètement la situation, en permettant de
mettre en contact des individus jusqu'ici isolés et sans voix, sans aucune
limite géographique.
Maintenant que nous
pouvons rivaliser plus directement avec les doctrines collectivistes et
étatistes, en contournant les médias conventionnels qui parlent encore peu de
nous (mais cela aussi change, les journalistes peuvent de moins en moins
ignorer un courant d'idées qui semble de plus en plus influent), il y a
toutes les raisons de croire que nos idées vont continuer à se répandre.
D'abord parce que
lorsque les idées libertariennes se retrouvent sur le même pied que les
autres sur le marché des idées, elles ont d'excellentes chances de s'imposer.
Les explications libertariennes sont conformes à la raison et aux faits,
alors que celles des étatistes sont fondées sur des mythes. Les illettrés
économiques de gauche n'ont par exemple aucune explication logique des
mécanismes économiques. Ils ne comprennent pas comment la croissance
économique se produit, ne portent aucune attention à des notions telles la
productivité, l'information contenue dans les prix ou les préférences
temporelles, et sont trop obsédés à dénoncer l'horreur du profit pour en voir
l'utilité économique (voir « À quoi sert
le profit? »).
Tous les modèles de
planifications centralisée et d'interventionnisme étatique ont échoué. Dans
notre société, l'économie privée se porte bien, alors que tous les secteurs
étatisés comme la santé et l'éducation sont constamment en crise. Il devient
de plus en plus difficile de nier que l'économie de marché est le seul
système possible qui favorise la prospérité. Les gens intelligents qui sont
enfin confrontés aux idées libertariennes vont s'en rendre compte de plus en plus.
Nous sommes à l'aube
d'une ère de dynamisme économique sans précédent dans l'histoire de
l'humanité avec la mondialisation capitaliste qui prend de l'ampleur et
l'intégration de la Chine et de l'Inde dans ce grand marché global. Il y a
une génération, l'Asie était encore affligée par les famines. Aujourd'hui,
des centaines de millions d'Asiatiques accèdent à une vie confortable grâce à
l'ouverture des marchés et au retrait graduel de la planification étatique.
Seule l'Afrique, encore largement à l'écart des réseaux de l'économie
mondiale et dominée par des tyrans liberticides, n'a pas encore compris la
recette du développement.
Parce qu'elles sont
fondées sur des mythes, les idées collectivistes ont également besoin
d'unanimité, de consensus. Toute la logique collectiviste dépend d'une «
conscientisation » des masses, d'une mobilisation collective en vue
d'atteindre des buts abstraits et inatteignables. Cette mobilisation est très
coûteuse sur le plan humain, difficile à maintenir longtemps, et il est de
toute façon impossible d'atteindre l'utopie visée. Lorsque ces mouvements
réussissent à atteindre en partie leurs objectifs politiques, il y a
d'ailleurs toujours des effets pervers à l'interventionnisme étatique, qui
font que les structures créées n'atteignent jamais les objectifs désirés,
sont constamment en crise et sur le bord de la faillite. Il faut soit les
renflouer avec des fonds publics, soit imposer de nouvelles mesures
coercitives, au risque de les voir s'effondrer, comme c'est arrivé à l'URSS
et au bloc communiste. C'est pourquoi les militants étatistes trouvent
constamment des raisons d'être déprimés, comme on peut le constater en lisant
leurs blogs et leurs magazines.
Au contraire, pour
marquer des points, les libertariens n'ont qu'à expliquer la logique de
l'action humaine dans un contexte de liberté et de coopération volontaire et
montrer à quel point la civilisation dans laquelle nous vivons s'appuie sur
ces notions et en dépend pour se perpétuer. Aucun besoin d'appel à l'action
collective et à la mobilisation. Un citoyen ordinaire qui croit à l'idéal
libertarien peut faire un tas de choses utiles tout seul chez lui. Cesser de
se laisser manipuler par la propagande étatiste des politiciens et des
groupes de pression. Rester indifférent lorsque la prochaine fausse crise
nécessitant une intervention urgente de l'État fera la manchette des
journaux. Se désengager de tout mouvement qui s'appuie sur ces mythes
collectivistes. Refuser de participer à toute action qui vise à augmenter le
pouvoir coercitif de l'État. S'organiser le plus possible sans faire appel à
l'État et toujours recourir à une alternative privée lorsqu'il y en a une.
Chaque fois que
quelqu'un, dans sa vie quotidienne, se prend ainsi en charge, se met à
l'écart des mouvements collectivistes et, dans la mesure du possible, hors de
portée de la pieuvre étatique, notre mouvement avance. Chaque fois qu'un
individu de plus exerce sa souveraineté individuelle, l'État et les
mouvements collectivistes reculent. Toutes ces petites actions ont l'effet
d'un acide qui dissout les pseudo consensus et la fausse unanimité sur
lesquels comptent nos adversaires pour faire avancer la tyrannie. L'utopie
(généralement sanglante lorsqu'elle est poussée à l'extrême) des
collectivistes ne peut se maintenir sans un appui enthousiaste d'une
proportion significative de la population. Simplement en leur refusant cet
appui, nous leur mettons des bâtons dans les roues. Et grâce à Internet, nous
sommes de plus en plus nombreux à le faire consciemment et délibérément.
Ce n'est sans doute
pas demain que nous pourrons vivre dans une société véritablement libérée des
diktats des apparatchiks qui cherchent par tous les moyens à contrôler notre
travail, notre éducation, notre santé, notre culture, notre alimentation, et
pratiquement tous les autres aspects de nos vies. Les États n'ont pas cessé
de grossir au 20e siècle, et ce n'est que très récemment que cette croissance
a ralenti. Mais il y a tout lieu d'être optimiste pour le 21e siècle. Pour
employer un jargon marxiste, les « conditions objectives » sont là
pour que nous assistions à une renaissance et à une radicalisation de la
grande tradition libérale qui a permis l'émergence de la civilisation.
Le site DixRank, un répertoire qui mesure le trafic et l'audience par le
biais d'outils de recherche et de barres d'outils, place le QL au 177e rang
parmi 33 000 sites francophones répertoriés.
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