|
Le
libéralisme économique et le libéralisme politique sont
de même essence, ils sont issus du même tronc et entrèrent
solidairement dans l'histoire. Ce n'est que dans la deuxième
moitié du XIXe siècle qu'on commença à
admettre que le libéralisme politique et la démocratie
pourraient, à la longue, s'allier utilement avec l'interventionnisme
de l'État en matière économique. Cette conception est
actuellement en honneur dans l'Europe occidentale et aux États-Unis.
Elle est à l'origine de la confusion de toutes les notions politiques
et économiques.
Nul
ne contestera que, dans ces dernières décades, le
discrédit du libéralisme économique est allé du
même pas que le discrédit du parlementarisme et la limitation
des droits des citoyens. La Russie soviétique, qui fut la
première à rejeter le libéralisme économique, a
également été la première à proclamer la
dictature, à qualifier le parlementarisme et la liberté de
« préjugés bourgeois », et à
supprimer toutes les institutions destinées à protéger
l'individu contre l'arbitraire du pouvoir. Aucun autre État n'a poussé
aussi loin la suppression de la propriété privée et le
despotisme des tenants du pouvoir. Cependant, d'autres États ont suivi
l'exemple de la Russie, moins complètement, il est vrai, et surtout,
avec moins de cruauté. D'année en année, la dictature
gagne du terrain et s'affaiblissent le parlementarisme et la
démocratie. Il n'y a pas longtemps encore, des Anglais affirmaient que
l'Europe occidentale, et les États créés par elle
au-delà des mers, étaient immunisés contre toutes les
tendances autoritaires. Ils étaient convaincus que les peuples qui ont
créé la civilisation moderne ne renonceraient jamais aux
éléments essentiels de cette civilisation, qui sont : le
gouvernement représentatif et les droits politiques des citoyens. Et
voici qu'aujourd'hui le système parlementaire est dangereusement
compromis en France, qu'en Angleterre, le pays de l'Habeas Corpus, la
dictature a des partisans, et qu'aux États-Unis, un écrivain de
renom, Sinclair Lewis, croit devoir mettre ses concitoyens en garde contre
les dangers qui menacent leurs libertés. Ces dernières
années, notamment, enregistrent, d'une part, les victoires
ininterrompues de l'interventionnisme, et, de l'autre, les progrès
constants de la dictature. Cette simultanéité, serait-elle
l'effet du hasard, ou bien, y aurait-il, à la base, quelque rapport
organique ? L'économie échangiste, basée sur la
propriété privée des moyens de production, est la
démocratie appliquée à l'économie. Chaque sou
représente un bulletin de vote. Ce sont les consommateurs qui dirigent
le mécanisme de ce système, soit qu'ils achètent, ou
qu'ils s'abstiennent d'acheter. Les producteurs et les capitalistes sont
obligés de se conformer aux exigences du marché. Au cas
où ils sont incapables d'y satisfaire aux meilleures conditions, ils
sont au-dessous de leurs affaires et finalement — au cas où ils
n'y remédient pas à temps — ils se trouvent
évincés de leur situation privilégiée et
relégués sur un plan où ils ne disposent plus des moyens
de production et sont, par conséquent, incapables de nuire. C'est le
marché qui choisit les producteurs et les capitalistes, il les
enrichit, et, au cas où ils ne savent pas s'adapter aux exigences des
consommateurs, il les ruine et les écarte. Il est vrai que, sur le
marché, le suffrage, bien qu'universel, n'est pas égal :
le riche y dispose de plus de voix que le pauvre. Mais cette supériorité
est elle-même déjà la conséquence d'un suffrage.
Elle n'est acquise et conservée que grâce à une
utilisation des moyens de production qui réponde aux exigences des
consommateurs. Dans un système capitaliste que rien ne bride,
l'appartenance à l'élite du monde des affaires est le
résultat d'un plébiscite des consommateurs spontané et
quotidiennement renouvelé, lequel confère un mandat
impératif et toujours révocable. La propriété
foncière provenant d'une époque antérieure à
l'ère capitaliste est, elle aussi, soumise à ce régime.
A
ce caractère démocratique de l'économie correspond, dans
la structure de l'État, la démocratie politique. De même
que le citoyen, en sa qualité de consommateur, décide qui
dirigera la production conformément à ses besoins, et de même
qu'il remplacera par d'autres hommes les producteurs et les capitalistes qui
ne répondent pas à ses exigences, ainsi également
l'électeur a le pouvoir d'écarter les chefs politiques qui
veulent le conduire là où il ne veut pas aller, et de les
remplacer par d'autres. De même que le marché libre veille
à ce que la production satisfasse aux désirs des consommateurs,
ainsi également la constitution démocratique veille à ce
que le pouvoir exécutif soit exercé conformément aux
idéals politiques des électeurs.
Mais
voici que la démocratie politique s'est prononcée contre la
démocratie économique. Qu'on le déplore ou qu'on s'en
réjouisse, il est indéniable qu'aujourd'hui l'opinion publique
tend à remplacer l'économie échangiste capitaliste par
un système où ce n'est plus le jeu des échanges, mais
l'intervention du pouvoir qui règle la production et la
répartition. Pour employer un slogan d'origine marxiste, nous dirons
qu'on en a assez de « l'anarchie de la production »,
c'est-à-dire du manque d'autorité, de la liberté du
marché. On s'enthousiasme pour l'interventionnisme, l'étatisme,
la socialisation. Les résultats de toutes les élections
prouvent à nouveau que les masses ne veulent plus du capitalisme, mais
de l'économie dirigée.
L'insoluble
contradiction de la politique des partis de gauche en Angleterre, en France
et aux États-Unis est qu'ils s'adonnent à l'économie
dirigée, sans se rendre compte que, par là, ils
préparent les voies à la dictature et à la suppression
des droits civiques. La confusion de toutes les notions est arrivée
à ce point qu'ils se proposent de sauver la démocratie avec
l'aide des soviets. En revanche, les partisans des dictatures dites fascistes
ont clairement reconnu et exprimé que l'organisation démocratique
et la liberté individuelle sont un non-sens dans un État dont
le gouvernement dirige l'économie. Ils argumentent comme suit :
Si le paysan n'est plus libre de cultiver sa terre comme il l'entend ni de
disposer des produits du sol, si le fabricant n'a plus le droit de diriger
son entreprise à son idée, alors il ne peut pas non plus
être question pour l'écrivain, l'artiste, le savant de
travailler en suivant ses vues particulières. Lorsque la vie
économique est toute aux mains de l'autorité, il lui est
loisible d'empêcher la publication de toutes les productions de
l'esprit qui la gênent, de supprimer l'exercice de tous les cultes
qu'elle n'approuve pas. Même l'affirmation expresse de la
liberté de conscience et du libre examen est alors inopérante.
La puissance de l'État totalitaire est telle qu'il peut, sans faire
d'éclat, priver tout non-conformiste de toute possibilité
d'activité.
Le
système du contrôle des changes ne peut jamais atteindre son but
qu'il se propose. Son utilité comme mesure de politique
monétaire est nulle. En revanche, partout où il est strictement
appliqué, il entraîne non seulement la nationalisation du
commerce extérieur et de toutes les relations économiques avec
l'étranger, mais il exerce également son emprise sur la
liberté personnelle du citoyen. Veut-on se rendre à
l'étranger, ou lire des publications étrangères, on ne
peut le faire que dans la mesure où les autorités
chargées du contrôle des changes accordent les devises
nécessaires. Le planisme en matière de production du papier et
de son emploi en imprimerie a pour conséquence que, seuls, peuvent
paraître les livres et les journaux approuvés par les pouvoirs
publics. Dans l'État totalitaire, l'activité créatrice
n'est permise qu'aux penseurs, poètes, artistes docilement soumis aux
vues de l'autorité. La puissance que l'économie dirigée
met aux mains des hommes chargés de son application est telle que
l'importance de toutes les institutions démocratiques et les droits
civiques en sont annihilés. Il faut s'en rendre compte : le monde
a le choix entre la démocratie politique et le système
économique basé sur la propriété privée,
d'une part, et, de l'autre, l'économie dirigée et la dictature.
La démocratie et l'économie dirigée sont inconciliables.
24hGold
www.24hGold.com
|
|