Tandis
que la France enregistre une nouvelle hausse du chômage et voit son
triple A menacé par les agences de notation, la classe politique
multiplie les propositions pour sortir de la crise. De l'UMP au Parti
socialiste, du Front national au Parti de gauche, un seul mot d'ordre :
défendre l'économie réelle, génératrice
d'emploi, contre les « dérives » de
l'économie financière et la concurrence « déloyale »
des pays émergents. C'est séduisant, ça sonne bien, mais
ce n'est pas si simple.
De
l'économie « réelle » aux
réalités de la finance
Cela
fait plusieurs années déjà que les politiques
français envisagent une taxation des transactions financières,
et aujourd'hui d'autant plus que le projet en a déjà
été adopté par la Commission
européenne en septembre et par le Sénat en novembre. Il existe
un large consensus en France sur la nécessité d’adopter
une telle taxe – abusivement baptisée « taxe
Tobin », du nom de cet économiste keynésien qui en
1972 ne suggérait de taxer, rappelons-le, que les transactions
monétaires, c’est-à-dire la conversion de montants
d’une monnaie à une autre sur un marché au comptant.
L'ennui,
c'est que les mesures destinées à limiter la spéculation
financière pourraient bien se retourner in fine contre
l'économie dite « réelle », pourtant
censée tirer profit du dispositif. Comme l'a expliqué le
chroniqueur économique Alexandre
Delaigue dans Libération – quotidien peu réputé pour
sa complaisance envers les traders –, une taxe sur les transactions
financières (TTF) ne pourrait empêcher la formation de bulles
spéculatives et accroîtrait au contraire la volatilité
des cours, le regroupement des transactions permettant d'atténuer la
pression fiscale sur les marchés.
De
plus, être assujetti à une taxe ne signifie pas que l'on s'en
acquitte : il est à craindre en effet que la TTF, comme la TVA et
selon un mécanisme analogue, soit répercutée sur les
derniers maillons de la chaîne, à savoir les ménages. À
trop vouloir défendre l'économie
« réelle », on se heurte aux
réalités de l'économie financière.
Acheter français ?
N'importe :
les politiques français tiennent à traquer les
spéculateurs, ne serait-ce que pour faciliter la reconstitution du
tissu industriel français. Et pour y parvenir, les propositions ne
manquent pas : de l'assouplissement des 35 heures à la
valorisation du « Made in France », en passant par les
allègements fiscaux et les taxes de réciprocité, tout
est bon – ou paraît l'être – pour
« réindustrialiser » l'Hexagone.
Mais
l'argument protectionniste doit être employé avec
précaution. Car si les Français sont nombreux à
prôner le patriotisme économique, ils sont plus nombreux encore
à s'inquiéter pour leur pouvoir d'achat. Les ménages se
souciant moins d'« acheter français » que
d'acheter ce qu'ils peuvent, le patriotisme économique restera
probablement une coquetterie de « consomm'acteur »
– quelque part entre le « commerce
équitable » et les céréales
« bio ».
Par
ailleurs, les Français ne savent pas ce qu'ils veulent : si le
protectionnisme leur paraît une réponse efficace à la
concurrence des pays émergents, la TVA sociale – aussi
appelée taxe anti-délocalisation – est à leurs
yeux synonyme de vie chère. Au mauvais protectionnisme, qui appauvrit
les ménages, répondrait le bon protectionnisme... qui appauvrit
les ménages tout autant ! Comment les candidats trouveront-ils le
chemin de l'Élysée dans ce labyrinthe de contradictions ?
Aussi
longtemps que l'on pourra se dire partisan du protectionnisme sans en payer
le prix, la mondialisation – qu’elle se manifeste par des
transactions financières ou par des échanges de biens – restera
ce phénomène dont on peut à la fois dénoncer les
méfaits et récolter les bénéfices, à
savoir, d’une part, la possibilité pour les entreprises de
trouver les financements nécessaires à leur
développement, et d’autre part une baisse générale
des prix rendant accessibles à la majorité des consommateurs
les biens et services longtemps réservés à une
minorité de nantis. C’est ce qui s'appelle avoir le beurre,
l'argent du beurre, et le sourire d'Adam Smith.
Mais
surtout, peut-on à ce point s'aveugler sur la réalité et
prétendre distinguer l'économie
« réelle » des abstractions
spéculatives ? En politique, oui. C'est toute la magie de la
rhétorique.
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